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INTRODUCTION.

'USAGE d'imprimer des catalogues de livres date déjà de fort loin; car, sans avoir besoin de remonter jusqu'à ces listes d'incunables que publièrent plusieurs imprimeurs allemands, de 1470 à 1475, listes dont à peine quelques exemplaires sont parvenus jusqu'à nous; sans nous arrêter même au catalogue des productions typographiques sorties des presses de Sweynheym et Pannartz, autre document curieux que présente la requête adressée au pape Sixte IV, au nom de ces deux typographes, les premiers qui s'établirent à Rome (1), nous trouvons dans un simple feuillet intitulé Libri græci impressi, imprimé par Alde l'ancien, en 1498 (2), un spécimen de ces sortes de catalogues, d'autant plus remarquable que le prix de chaque article y est coté, et que ces mêmes articles, au nombre de quatorze seulement, sont distribués en différentes classes, savoir: Grammatica, Poetica, Logica, Philosophia, Sacra Scriptura: ce qui peut être regardé comme un des premiers essais de

classement bibliographique appliqué à des livres imprimés (3). Il y a fort loin, sans doute, de ce modeste placard aux énormes catalogues que publient, depuis quelques années, les principaux libraires de Londres; cependant le petit feuillet d'Alde et les index bibliographiques en 2000 pages des frères Bohn doivent également leur naissance au besoin que, de tout temps, les imprimeurs et les libraires ont eu de provoquer l'attention des hommes studieux, soit sur les livres nouveaux qu'ils mettent au jour, soit sur les productions anciennes qui encombrent leurs magasins.

L'exemple donné par Alde Manuce, ce savant illustre dont les presses ont fait revivre avec tant de succès les chefs-d'œuvre littéraires de l'ancienne Grèce, et les ont mis pour la première fois à la portée des étudiants, fut bientôt suivi par les principaux libraires de l'Europe, et notamment par les Estienne, les De Colines, les Wechel, les Vascosan, et les autres célèbres typographes parisiens de la première moitié du 16 siècle, desquels Maittaire a reproduit les catalogues, dans les tomes II et III de ses Annales typographici. Toutefois, comme le nombre des articles contenus dans ces

(1) Cette requête fait partie du 5o volume de la divers catalogues est plus considérable que

glose latine de Nicolas de Lyra sur la Bible, édition

de Rome, 1472, in-fol.

(2) Ce morceau précieux se conserve à la Bibliothèque royale de Paris.

(3) Voir les Annales des Alde, de M. Renouard, 3e édit., p. 329.

dans le premier index d'Alde, dont nous venons de parler, les divisions y sont aussi plus multipliées. Ainsi, dans un catalogue de Robert Estienne, daté de 1546 (4), nous remarquons les classes suivantes : Hebræa, Græca, Sacra, Prophana, Grammatica, Poetica, Historica, auxquelles un peu plus tard, dans un autre catalogue, le même imprimeur ajouta Rhetorica, Oratoria, Dialectica, Philosophica, Arithmetica, Geometrica, Medica, ce qui compléta, à peu de chose près, la nomenclature des sciences qu'on étudiait et qu'on enseignait alors. A ces catalogues officinaux succédèrent bientôt ceux des bibliothèques particulières, et quelques autres ouvrages de bibliographie, d'une plus grande étendue et d'un intérêt plus général. Le premier en ce genre, qui mérite d'être cité, est la Bibliotheca universalis de Conrad Gesner (voyez ce nom dans notre second volume), imprimée à Zurich, de 1545 à 1549, in-fol.; ouvrage fort remarquable, dont la 2o partie, intitulée: Pandectarum, sive partitionum universalium libri XXI, est classée par matières, dans l'ordre suivant: 1. Grammatica; 2. Dialectica; 3. Rhetorica; 4. Poetica; 5. Arithmetica; 6. Geometria; 7. Musica; 8. Astronomia; 9. Astrologia; 10. De Divinatione et Magia; 11. Geographia; 12. De Historiis; 13. De diversis Artibus; 14. De naturali Philosophia; 15. De prima Philosophia, et Theologia Gentilium; 16. De morali Philosophia; 17. De aconomica Philosophia; 18. Politica; 19. De Jure civili et pontifico; 20. Theologia (ce titre devait être celui du 20° livre; mais la Médecine qui en aurait formé le 20°, n'ayant pas paru, on la remplaça par la Théologie). Cette nomenclature, assez bornée comme on le voit, suffisait du temps de l'auteur pour l'arrangement d'une bibliothèque bien composée. Gesner, en homme de bon sens, en a écarté ces réunions arbitraires de différentes sciences en une seule classe, qui ont séduit tant de savants, et qui, selon nous, ont été le principal écueil contre lequel sont venus échouer presque tous les auteurs de systèmes bibliogra phiques.

(4) En voici le titre : Libri in officina Roberti Stephani, typographi regii, partim nati, partim restituti et excusi. M. D. XLVI, IIII. id. maii.

Le premier Français qui se soit hasardé à présenter un de ces systèmes compliqués, est Christofle de Savigny, de qui nous avons décrit, à la page 211 de notre 4 volume, les Tableaux accomplis de tous les arts libéraux, imprimés en 1587 et réimprimés en 1619. La première planche de cet ouvrage curieux et devenu rare présente l'Encyclopédie, ou la suite et liaison de tous les arts et sciences. C'est un système figuré de toutes nos connaissances, antérieur de près de vingt ans, remarquons-le bien, à l'Arbre encyclopédique de Bacon, dont il a pu être le modèle. A ce tableau général succèdent seize tableaux spéciaux pour un pareil nombre de sciences, savoir: 1. Grammaire ; 2. Rhétorique; 3. Dialectique; 4. Arithmétique; 5. Géométrie; 6. Optique; 7. Musique; 8. Cosmographie; 9. Astrologie; 10. Géographie; 11. Physique; 12. Médecine; 13. Ethique; 14. Jurisprudence; 15. Histoire; 16. Théologie. La Poésie et la Chronologie ont été ajoutées en 1619. A la suite de chaque partition (c'est ainsi que sont nommées les classes principales) viennent des divisions et subdivisions en très grand nombre. On en compte environ 78 pour la Grammaire, 92 pour la Poésie, 37 pour l'Optique, plus de 100 pour l'Astrologie, 66 pour l'Ethique, etc. Les autres systèmes qui se produisirent vers la fin du 16° siècle et au commencement du 17o, n'eurent aucun succès: ni les Cent Buffets de La Croix du Maine (5), ni la triple division de Jean Mabrun, selon ces mots du Psalmiste : Disciplinam, bonitatem et scientiam doce me, n'obtinrent l'approbation du docte Naudé, qui, dans son Avis pour dresser une bibliothèque (6), s'exprime ainsi à l'occasion de ces inventions bizarres : « C'est pourquoy ne faisant autre estime d'un ordre qui ne peut être suivi que d'un autheur qui ne veut estre entendu, je croy que le meilleur est toujours celuy qui est le plus facile, le moins intrigué, le plus naturel, usité, et qui suit les facultez Théologie, Médecine, etc. (7) » Paroles pleines de bon sens, et

(5) Dessin ou projets présentez (par lui) au roy Henry III, en 1583, impr. à la fin de sa Biblioth. française, in-4.

(6) Edit. de 1644, pet. in-8., page 131.

(7) Cette seconde place donnée à la Médecine nous rappelle que Naudé était médecin.

qui sont tout aussi justes, tout aussi applicables aujourd'hui, qu'elles l'étaient il y a deux siècles. L'ordre que recommande là le bibliothécaire du cardinal Mazarin, est, à quelques modifications près, celui que lui-même a suivi dans le classement de la Biblioth. cordesiana (Paris, 1643, in-4.). Ce même système, il faut le reconnaître, se rapproche beaucoup de celui que Claude Clément, jésuite, né en Franche-Comté, a exposé dans un livre imprimé à Lyon, en 1635, in-4. (8), et qui donne pour principales divisions: Théologie, Droit, Philosophie, Mathématiques, Physiologie, Médecine, Histoire sacrée, Histoire profane, Polygraphes, Orateurs et Rhéteurs, Poètes, Grammairiens, etc. Ces classes, dont on n'a guère fait dans la suite que transporter les sections d'une place à l'autre, en en multipliant les subdivisions, se retrouvent dans presque tous les systèmes dont il nous reste à parler; et d'abord dans celui qu'a suivi le savant Ismaël Boulliaud, lorsque, vers le milieu du 17° siècle, il fut chargé de classer, par ordre de matières, le Catalogue de la bibliothèque de la famille des De Thou, que les frères Du Puys avaient déjà rangé par ordre alphabétique. Ce catalogue, publié seulement en 1679, sous le titre de Bibliotheca thuana, par Joseph Quenel, était sans contredit le meilleur qui eût paru jusqu'alors. L'ordre qu'il présente (9) est, à bien peu de chose près, celui qui a été suivi depuis à la Bibliothèque royale de Paris.

Quoique le système de la Bibliothèque des Jésuites du collége de Clermont, par le Père Jean Garnier, ait été mis au jour en 1678 (10), c'est-à-dire, un peu avant celui de la Bibliotheca thuana, il est réellement moins ancien que ce dernier, et lui est fort

(8) Musei sive bibliothecæ tam privatæ quam publicæ extructio, instructio, etc.

(9) La Théologie et la Jurisprudence y sont suivies de l'Histoire, terminée par les traités généraux de Politique. La Philosophie, accompagnée des Mathématiques, qui comprennent la Musique, l'Astronomie, etc., forme, avec les Arts, la Médecine et l'Histoire naturelle, une seconde partie, à laquelle succèdent les Belles-Lettres (Litteræ humaniores.)

(10) SYSTEMA bibliothecæ collegii parisiensis Societatis Jesu. Parisiis, excudebat Sebast. MabreCramoisy, 1678, in-4.

inférieur, selon nous (11); il mérite toutefois d'être étudié, ne fût-ce que pour le comparer à celui qu'on attribue presque généralement au libraire Gabriel Martin, et pour se convaincre du peu de rapport que ces deux systèmes ont entre eux (12). Le second, celui que nous croyons devoir appeler, et que nous nommerons désormais Système des libraires de Paris, est réellement dû au savant Prosper Marchand, connu surtout par son Histoire de l'imprimerie et son Dictionnaire historique, et non pas à Martin. Prosper Marchand le mit en pratique, pour la première fois, en 1706, dans la Bibliotheca bigotiana, vol. in-12, dont le titre porte les noms des libraires Boudot, Osmont et Gabr. Martin. L'année suivante, le même système, légèrement modifié dans l'ordre et le nombre des divisions secondaires, servit encore à la disposition de la Bibliotheca Johannis Giraud, catalogue rédigé par Marchand, pour le libraire Robustel, à Paris, ainsi qu'il le dit formellement dans la préface de son Catalogue de Faultrier, publié en 1709, et comme Martin lui-même l'a reconnu en plusieurs occasions (13). Cependant Marchand, peu satisfait du nouvel ordre qu'il venait d'introduire, en classant les livres en cinq grandes sections, savoir: Théologie, Jurisprudence, Philosophie (autrement, sciences et arts), Belles-Lettres et Histoire, à peu près comme nous le faisons nousmême dans la table ci-jointe; Marchand, disons-nous, imagina bientôt un autre système, dans lequel il refondit les cinq classes du premier en trois grandes sections, sous les dénominations suivantes : 1. Philosophie ou Science humaine, comprenant la Gram

(11) Il est divisé en cinq grandes classes: 1. Theologia; 2. Philosophia (cette classe comprend les Litteræ humaniores, mais non pas l'Histoire naturelle); 3. Historia, dont un chapitre, le 26o, renferme l'Histoire naturelle, et un autre, le 27o, ce que le P. Garnier nomme Historia artificialis, où se trouvent placées les fictions en vers et en prose, et même les tragédies et les comédies qui ont un but moral; 4. Eunomia, sive Jurisprudentia; 5. Heterodoxia.

(12) Plusieurs bibliographes ont avancé que le système du P. Garnier avait servi de base celui de Martin.

(13) Catalogue de Barré, no 6469, et Catal. de Bellanger, no 3451.

maire, la Logique, la Poétique, et ce que l'on a depuis désigné sous le titre général de Sciences et Arts. (La Jurisprudence s'y trouve placée entre l'Economie et la Politique.) 2. Théologie, ou Science divine. 3. Histoire, ou Science des événements. Ces trois classes sont précédées de la Bibliographie, qui leur sert d'introduction. On y retrouve une grande partie des subdivisions des deux précédents catalogues, subdivisions où figurent plus d'un emprunt fait aux systèmes de Clément, de Boulliaud et de Garnier. Mais, pour bien apprécier le second système de Marchand, le seul auquel jusqu'ici se rattache positivement son nom dans la mémoire des bibliographes, il faut lire la préface latine fort curieuse qu'il a mise au commencement du Catalogue de Joachim Faultrier, déjà cité. Là, après avoir développé son plan avec précision, il a donné d'excellents préceptes sur la manière de lever avec exactitude les titres des livres, et de les disposer méthodiquement dans un ordre convenable, en réunissant de suite les différents formats, au lieu de les séparer comme cela s'était pratiqué presque toujours jusqu'alors (14). Ces préceptes, dont l'expérience de plus d'un siècle a suffisamment démontré la sagesse, furent tout d'abord parfaitement appréciés par Gabriel Martin, homme instruit, d'un esprit judicieux et méthodique; et lorsqu'en 1711 Marchand se détermina à quitter la France, pour cause de religion, G. Martin se trouva être l'homme le plus propre à remplacer celui-ci dans la rédaction des catalogues de livres à vendre, objet qui l'avait déjà occupé lui-même dès l'année 1705. Cependant ce libraire, ayant à choisir entre les deux systèmes successivement pratiqués par son prédécesseur, se décida pour le premier, qu'il jugea d'un usage plus commode que le second; et, après y avoir introduit quelques heureuses modifications, il l'appropria à l'arrangement du Catalogue de l'excellente bibliothèque de Bulteau, qu'il publia en 1711, sous le titre de Bibliotheca bultelliana (en 2 vol. in-12); et dans la préface duquel il s'exprime ainsi, au sujet de la

(14) Cependant, dans la Bibliotheca thuana, les formats se trouvaient déjà réunis.

méthode qu'il venait d'adopter : « In libris disponendis illum seculi sumus ordinem, qui systemate nostro bibliographico mox exponetur, quod si non doctum aut erudite elaboratum, saltem clarum et perspicuum conati sumus efficere, ex iis qui nos in hoc labore antecesserunt, quædam, ut censemus, meliora seligentes, quædam immutantes et addentes. » Dans ce passage remarquable, Martin parle bien à la vérité des emprunts qu'il a faits à ses prédécesseurs, mais il se tait sur les obligations particulières qu'il avait à Marchand, alors réfugié en Hollande, auquel il devait non seulement son système presque tout entier, mais encore la plupart des améliorations de détails qu'on peut remarquer dans ses catalogues. Toutefois sachons-lui gré d'avoir mis fin à l'espèce d'anarchie qui existait alors dans le classement de ces sortes d'ouvrages; et surtout félicitons-le d'avoir fait preuve d'un jugement plus sûr que Marchand lui-même, en préférant un système peu scientifique, à la vérité, mais assez logique, et, ce qui est mieux encore, fort clair, à une donnée plus philosophique peut-être, mais d'une application beaucoup moins facile (15). Le système que Martin, à quelques exceptions près, a suivi constamment dans les nombreux catalogues qu'il a eu à rédiger, depuis 1711 jusqu'à sa mort, arrivée en 1761, fut également adopté par Boudot, son émule; par Marie-Jacques Barrois, autre savant libraire, à qui l'on doit plusieurs bons catalogues; par l'auteur de la Bibliographie instructive; enfin par MM. Debure père et fils, parents de ce dernier, lesquels, pendant plus de soixante ans, ont exercé honorablement et avec un succès constant, les fonctions de libraires experts-vendeurs. C'est de cette manière que le système des libraires de Paris, éprouvé par une longue pratique, reçut

(15) Voici le jugement que, dans un spirituel feuilleton consacré à notre Manuel, M. Nodier a porté de la classification bibliographique dont il s'agit : « Elle est simple, elle est claire, elle est facile; elle embrasse, sans trop d'efforts, toutes les innombrables et capricieuses subdivisions qu'il

a plu à la fantaisie humaine d'introduire dans la forme littéraire du livre; et, ce qui me paraît de plus grande importance encore, elle est consacrée par d'excellents catalogues, devenus classiques dans leur genre.

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