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les sphères purement ecclésiastiques et religieuses qu'au milieu des conflits politiques: l'Église lui doit quelques années d'une administration forte au milieu des graves conjonctures du XIV siècle.

III.

S'il est permis de juger de l'importance d'une circonscription ecclésiastique d'après le nombre de bulles qui s'y rapportent, les diocèses de Cambrai, Liège, Thérouanne et Tournai doivent avoir occupé une place en vue au sein de l'Église. Liège, qu'on appelait le paradis des prêtres, et Bruges, qui était la Venise du Nord, rendent témoignage aux deux extrémités du pays de la prospérité et de la richesse de nos communes médiévales. Les prébendes dignes d'exciter l'envie des clercs abondaient dans nos collégiales et les villes comme les campagnes étaient semées de monastères assez opulents pour allumer la convoitise des seigneurs. Or le pape se faisait le dispensateur des plus beaux bénéfices, il était l'arbitre souverain dans les contestations difficiles, le défenseur des droits lésés et des revendications légitimes; aux Pays-Bas comme ailleurs les grands recouraient volontiers à lui pour obtenir des faveurs spirituelles; la Flandre était un des centres des opérations financières de la Chambre apostolique: il n'en faut pas davantage pour se convaincre de l'intérêt varié que présente pour l'histoire nationale la correspondance du Saint-Siège.

Nous n'avons pas à nous étendre ici sur la fiscalité pontificale au XIV siècle (1); les lettres que nous avons recueillies contiennent cependant des renseignements qu'il n'est pas permis de passer sous silence.

t. VI (1905), pp. 557-565 et 785. En terminant l'auteur rappelle l'appréciation des contemporains sur Benoît XII. Albert de Strasbourg l'appela Theologorum summus sed nullus in jure, et Ptolémée de Lucques le qualifia de Magnus magister in legibus et in divinitate.

(1) Voir à ce sujet l'ouvrage déjà cité de CH. SAMARAN et G. MOLLAT, La fiscalité pontificale en France au XIV siècle (période d'Avignon et grand schisme d'occident). Paris, 1905.

Nos provinces sont soumises à la plupart des impôts levés par le Saint-Siège. La constitution Vas electionis du 18 décembre 1336 (1) fixe le taux des procurations à toucher par les prélats visiteurs aussi bien dans les terres qui relèvent de l'empire que dans les domaines qui dépendent de la France; par la lettre Ad ea ex quibus du 27 mars 1338 (2), renouvelée le 20 février 1340 (3), la décime pour la croisade se trouve remplacée, dans les diocèses de la province de Reims, par une autre au profit du roi de France; le droit de dépouille est exercé dans le Cambrésis et le Tournaisis après la mort d'un profès du Carmel qui se disait évêque d'Apros et qui avait longtemps séjourné dans ces contrées (4); enfin si Benoît XII renonça aux annates (5), il exigea avec insistance et dès le premier jour de son règne (6) les revenus des bénéfices vacants dont la collation lui était réservée. Il crut nécessaire de les réclamer par lettre spéciale à Aire, au lendemain du décès du cardinal Pierre de Mortemer, qui était prévôt du chapitre de cette ville (7), ainsi qu'à Cambrai après la mort d'Arnaud de Via, cardinal de Saint-Eustache et archidiacre de Bruxelles (8); il chargea en même temps son chapelain Arnaud Regis, collecteur dans la province de Reims, de dresser la liste des bénéfices de sa collectorie vacants en cour d'Avignon et de faire rapport sur

(1) Voir n. 355.

(2) Voir n. 463.

(3) Voir n. 626. Cette lettre fait défaut dans G. DAUMET, Lettres closes, patentes et curiales de Benoît XII (1334-1342) relatives à la France. Paris, 1902. Nous en donnons le texte in extenso.

(4) Voir la lettre patente Ad nostrum nuper du 29 janvier 1338, n. 445; voir aussi au n. 446 la lettre patente Nuper intelleximus du même jour.

(5) Il ne réclama que celles qui n'avaient pas été payées ou perçues en entier sous son prédécesseur. Voir la lettre patente Dudum felicis du 23 mai 1335, n. 141.

(6) Par la constitution Attendentes gravia du 8 janvier 1335, n. 1 (texte dans G. DAUMET, ouv. cité, n. 1) ainsi que la lettre patente Dudum pro relevandis du 7 août 1337, n. 422.

(7) Lettre patente Volentes preposituram du 17 avril 1335, n. 124.

(8) Lettre patente Cum canonicatus du 1 décembre 1335, n. 219; voir aussi

les lettres patentes Relatu fide dignorum, Volentes dudum et Quia ex injuncte

du 1 août 1337, du 28 février et du 9 août 1338, nn. 418, 458 et 510.

leurs revenus tant d'après la taxation officielle que d'après la valeur véritable (1).

Ce n'était pas tout cependant de lever des impôts; il fallait en faire parvenir le montant à la trésorerie pontificale. Nos lettres nous font connaître à peu près tous les procédés en usage pour la transmission de l'argent au XIV siècle (2). Le 23 janvier 1335, quinze jours à peine après l'avènement de Benoît XII, Arnaud Regis est appelé à la curie pour rendre compte de sa gestion et verser ses recettes entre les mains du trésorier papal (3); mais le 10 avril 1337 il reçoit l'ordre d'assigner désormais les sommes qu'il aura perçues aux représentants de la maison des Acciajuoli de Florence dans la ville de Bruges (4); à ceux-ci une lettre curiale du même jour (5) confère le droit de les accepter et de donner quittance au collecteur. Arnaud use à trois reprises différentes de la faculté qui lui est accordée: le 12 août 1337 il assigne 250 écus, 480 royaux, 700 agneaux et 209 florins d'or, qui sont payés à la curie le 2 octobre suivant, avec une réduction de 8 écus, 14 royaux, 21 agneaux et 6 florins, à raison de 3% pour frais de courtage (6); le 25 janvier 1338 il remet entre les mains de Lotto Corbisi 800 écus, 220 royaux et 420 florins d'or, que la Chambre touche à son tour après déduction de 16 écus, 4 royaux, 8 florins d'or, 12 sols et 10 couronnes, le 21 mars de la même année (7); enfin il opère un troisième versement le 26 août 1339, valant, tous frais déduits, 1935 florins d'or, 3 sols et 7 deniers de petits tournois (8). Cette dernière somme fut transmise directement par les banquiers aux entrepreneurs de l'église cistercienne de Saint-Bernard que le pape faisait

(1) Lettre patente Dudum felicis du 1 juillet 1335, n. 179.

(2) Voir CH. SAMARAN et G. MOLLAT, ouv. cité, pp. 145 et suiv.

(3) Par la lettre patente Olim felicis, n. 32.

(4) Lettre patente Volentes quod, n. 385.

(5) Lettre Volentes quod, n. 384.

(6) Voir la lettre patente Cum dilectus du 2 octobre 1337, plus loin, n. 429, adressée aux Acciajuoli et leur servant de quittance.

(7) Voir la lettre patente Cum dilectus adressée aux Acciajuoli le 21 mars 1338, n. 461.

(8) Voir la lettre patente Cum secundum du 25 mars 1340, n. 636.

bâtir à Paris (1); ils en reçurent quittance le 25 mars 1340 (2). Outre ces assignations périodiques, Arnaud Regis dut encore verser entre les mains de Dinus Geri de Bruges par suite d'un ordre spécial du 18 août 1336, une somme de 2500 florins d'or et une autre de 4000 florins d'or par suite d'une instruction du 8 août 1338; nous avons les mandats et la quittance de la première opération qui s'effectua le 5 novembre 1336 (3) moyennant un courtage de 371, florins d'or (112 1/2 %); nous ne possédons que les mandats de la seconde (4).

Cependant il n'y avait pas que l'argent de la collectorie de Reims qui passât par les maisons financières de Flandre. Par une quittance du 15 juillet 1341 (5) nous apprenons que le banquier Dinus Geri, que nous connaissons déjà, était dépositaire d'une somme de 2550 florins d'or de Florence appartenant à l'archevêque de Riga en Livonie, Frédéric de Pernstein, et par un mandat de perception du 20 mai 1335 (6) nous voyons que les évêques norvégiens de Stavanger, Oslo et Hamar ont à mettre en dépôt différentes valeurs au couvent des Dominicains à Bruges. Le même jour le nonce apostolique Pierre Gervais reçoit un sauf-conduit (7) pour aller les dégager et les porter à Avignon; le 23 mai 1336 il reprend la route du Nord afin de prendre possession des sommes, comptes et écritures que le collecteur de Pologne Pierre d'Auvergne y avait assignés dans les succursales des grandes maisons

(1) Voir dans VIDAL, art. cité de la Revue d'histoire ecclésiastique, t. VI, p. 557, note 3, l'indication de quelques autres sommes consacrées à cet édifice.

(2) Lettre Cum secundum déjà citée, n. 635.

(3) Lettres patentes Cum intellexerimus et Volentes quod du 18 octobre 1336, adressée la première à Arnaud Regis, la seconde à Dinus Geri, nn. 333334; lettre quittance Nuper fuit du 2 avril 1337, n. 383, adressée aux Acciajuoli.

(4) Lettres patentes Cum dilecti du 8 août 1338, nn. 508 et 509, adressées la première à Arnaud Regis, la seconde à Lotto Corbizi et Barthélémi Corsini.

(5) Lettre patente Intelleximus nuper adressée à François Acciajuoli, n. 697. (6) Lettre patente Cum venerabiles adressée à Pierre Gervais, n. 137. (7) Lettre patente Cum nos, n. 138.

financières des Bardi, des Peruzzi, des Bonacorsi de Florence (1): ces banquiers étaient accrédités comme les Acciajuoli auprès de la Chambre apostolique; enfin le 18 avril 1339 nous apprenons que Gervais a fait déposer des valeurs importantes originaires du même pays chez un simple bourgeois, Guillaume Best, qui avait accordé l'hospitalité à un débiteur polonais (2). Les relations financières entre la collectorie de Pologne et les banques de Flandre se sont d'ailleurs continuées sans interruption durant le pontificat de Benoît XII. Le 9 août 1336 le nonce apostolique Gaillard de Carceribus, prévôt de Titel, est prié d'assigner aux Bardi de Bruges le produit de ses perceptions fiscales (3); l'évêque de Breslau, obligé de faire transporter dans cette ville des sommes de provenances diverses, mais également dues à la trésorerie pontificale, s'excuse de ne pouvoir s'acquitter en temps opportun et se voit octroyer un délai de payement (4) qui expire peu de temps après le 13 mai 1337 (5); les magistrats et les citoyens de Cracovie ont à diverses reprises des versements à effectuer à la succursale brugeoise des Acciajuoli, car depuis le 20 septembre 1336 jusqu'au 1 juillet 1340 nous ne rencontrons pas moins de huit lettres patentes ayant trait à des transactions entre eux (6). De cet argent venu de contrées lointaines les banquiers font le même usage que de celui de la collectorie de Reims: tantôt la maison d'Avignon verse à la Chambre apostolique, contre quittance et après déduction du courtage, une somme équivalente à celle qui a été encaissée par la maison de Bruges: tantôt celle-ci transmet directement à des tiers des sommes déterminées, conformément aux prescriptions spéciales

(1) Voir les lettres patentes du 23 mai 1336, Cum dilectum, Intelleximus quod et Cum de pecuniis, adressées les premières à Pierre Gervais, la dernière aux banquiers de France, de Picardie et de Flandre, nn. 294-296.

(2) Voir la lettre patente Intelleximus quod du 18 avril 1339, n. 563, adressée aux Acciajuoli de Flandre.

(3) Lettre patente Volentes pecuniam, n. 314; voir aussi la lettre patente Cum inter Cameram adressée aux Bardi le 23 août, n. 316.

(4) Lettre patente Exhibita nobis du 28 novembre 1336, n. 350.

(5) Voir la lettre patente Cum venerabilis du 13 mai 1337, adressée aux

Acciajuoli de Flandre, n. 396.

(6) Voir les nn. 324, 409, 536, 550, 583, 584, 635, 645.

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