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observation, en descendant graduellement des quadrupedes jusqu'aux poissons, pour donner une dissertation particulière sur cet objet.

Ces remarques me conduisirent à appercevoir la différence réelle qui se manifeste dans la physionomie de l'homme, depuis son enfance jusqu'à l'âge de la plus grande vieillesse. Je ne pus cependant concevoir comment les anciens Grecs étoient parvenus à la beauté particulière et sublime qu'ils ont su donner à leurs figures; tandis que je ne trouvois parmi les ouvrages modernes aucune tête dont la forme pût y être comparée le moins du monde. Par les copies que j'en ai vues, je me suis néanmoins apperçu que la ligne de leurs têtes étoit la même que celle des nôtres, comme on peut s'en convaincre en comparant la Figure 5 de la Planche IX, laquelle représente une copie du César Auguste gravé par Dioscoride, avec la Figure 1 de la Planche II, dont elle ne diffère point.

Ayant eu l'occasion de voir des individus de plusieurs nations, je me figurai d'appercevoir une différence essentielle, non- seulement dans la saillie de la mâchoire supérieure, mais aussi dans la largeur des visages et dans la quadrature de la mâchoire inférieure; observation qui a été confirmée par l'examen d'un grand nombre de têtes décharnées de différentes nations que j'ai été à même de rassembler, ou dont j'ai fait des dessins exacts. Je possède, dans mon cabinet, outre des têtes d'individus de ma patrie et des pays voisins, celles d'un jeune Nègre d'Angola, d'un sujet âgé de la même contrée, d'une Hottentote, d'un jeune homme de l'ile de Madagascar, d'un Mogol, d'un Chinois, d'un habitant de l'île de Célèbe, et d'un Calmuque; par conséquent j'en ai de huit peuples de climats fort différens.

En 1786, j'ai dessiné à Oxford la boîte osseuse d'un Otahitien y

apportée par le capitaine King. Jusqu'à présent, je n'ai pas pu me procurer encore la tête d'un véritable Américain, ni même celle d'un Anglo- Américain, qui doit cependant offrir quelque chose de particulier, ainsi que me l'a fait remarquer le célèbre peintre West, qui est fort en état d'en juger, étant né en Pensylvanie. La tête de cette espèce d'hommes est longue et étroite; l'orbite se trouve proche de l'œil; de manière qu'ils n'ont pas la paupière supérieure aussi grande que la plupart des peuples de l'Europe; ce qui donne tant de charme au visage.

En plaçant à côté des têtes du Nègre et du Calmuque celles de l'Européen et du Singe, j'apperçus qu'une ligne tirée du front jusqu'à la lèvre supérieure, indiquoit une différence dans la physionomie de ces peuples, et faisoit voir une analogie marquée entre la tête du Nègre et celle du Singe. Après avoir fait le dessin de quelques-unes de ces têtes sur une ligne horizontale, j'y ajoutai les lignes faciales des visages, avec leurs différens angles; et aussitôt que je faisois incliner la ligne faciale en avant, j'obtenois une tête qui tenoit de l'antique; mais quand je donnois à cette ligne une pente en arrière, je produisois une physionomie de Nègre, et définitivement le profil d'un Singe, d'un Chien, d'une Bécasse, à proportion que je faisois incliner plus ou moins cette même ligne en arrière. Voilà les observations qui ont donné lieu à cet ouvrage.

Mon séjour dans la ville d'Amsterdam me fournit les moyens de rassembler des têtes de toutes les espèces, depuis celle de l'avorton jusqu'à celle de l'homme du plus grand âge possible. La comparaison de toutes ces têtes fit naître chez moi le désir de suivre le changement naturel qui se fait remarquer par l'accroissement des parties dans le jeune âge, et par leur dépérissement dans la vieillesse, et de connoître le moyen le plus sûr de représenter les' différens âges de l'homme. Ce fut là le second pas que je fis dans

cette carrière. J'y joignis un examen plus exact de la ligne que les anciens artistes ont employée dans leurs productions. Enfin, ayant fait de nouvelles recherches sur l'utilité de l'ovale et des triangles, comme facilitant le dessin des têtes, je trouvai, par l'examen et par la comparaison des têtes décharnées avec les mâchoires partagées en deux, une nouvelle manière de dessiner avec plus d'exactitude toutes les têtes d'hommes et de quadrupèdes.

Comme je ne rencontrai que rarement, ou, pour mieux dire, jamais de véritables amateurs du dessin, et sur - tout des recherches dont il est question ici, je négligeai de continuer mes observations jusqu'à l'année 1767, que me trouvant, avec mon ami, M. F. Van Hemsterhuis, chez M. de Bentink, à la Haye, j'y fis remarquer la différence que présentoit le travail des Grecs et des Romains sur les pierres gravées et les camées qu'on nous faisoit voir. On me demanda, à cette occasion, comment j'avois acquis cette connoissance? Je satisfis à cette question, en citant les principales recherches que j'avois faites. Sur quoi je fus invité à mettre par écrit mes idées sur ce sujet, afin qu'on pût en tirer quelque fruit.

M'étant rendu à ma maison de campagne en Frise, pour me délasser de mes travaux académiques, j'entrepris le pénible ouvrage qu'on m'avoit imposé. Je découvris bientôt des difficultés sans nombre je fus non-seulement obligé de faire les dessins de différentes espèces de têtes; mais il me fallut trouver aussi le moyen de rendre ces dessins de la plus grande correction; ce que j'eus le bonheur d'exécuter. Je dûs réduire ensuite ces dessins sur une même échelle. Je me vis de même forcé d'étudier les plus belles têtes antiques et les gravures des meilleurs maîtres, pour comparer entr'elles; ainsi que de lire les écrivains anciens et

les

modernes sur l'histoire naturelle de l'homme et sur l'art du dessin, afin de pouvoir me pénétrer de leurs différentes idées.

Comme ce travail s'étendoit à mesure que je m'en occupois, il devint d'une utilité plus générale. Je me flattois de satisfaire par là, non-seulement les amateurs des chefs-d'oeuvre de l'antiquité, mais de me rendre, en même tems, utile à ceux qui s'occupent de l'histoire naturelle, et particulièrement aux jeunes peintres et aux jeunes statuaires. Le plan de cette dissertation se trouva tracé à la fin du mois d'Août de l'année 1768.

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Flatté de mes découvertes, ainsi que cela arrive assez généralement aux écrivains, je communiquai mes idées à différens amateurs de la peinture. On pensa qu'il seroit utile de me faire prononcer sur cet objet un discours public dans la salle de l'académie de dessin d'Amsterdam. Je me rendis à la demande de MM. les directeurs de cette institution, et j'exposai mes idées le premier ́et le 2 d'Août 1770. MM. les directeurs me témoignèrent à ce sujet leur satisfaction, en me donnant une médaille d'or.

Seize ans se sont passés sans que mes occupations m'ayent permis de donner quelque attention à cette dissertation; et la difficulté de trouver un habile et savant graveur m'empêcha ensuite de la publier telle que je la présente aujourd'hui, avec les gravures du célèbre M. Vinkeles, dont le burin est si avantageusement connu par les personnes de goût.

PREMIERE PARTIE.

CHAPITRE PREMIER.

DE la Difference naturelle qu'on remarque dans les traits de la physionomie des principaux peuples connus.

S. I.

LORSQUE, dans une grande ville de commerce, telle qu'Amsterdam, il se trouve rassemblé, dans quelque place publique, des hommes de presque toutes les parties du monde, il est facile de distinguer, du premier coup-d'œil, non-seulement les Nègres des Blancs, mais encore, parmi ces derniers, les Juifs des Chrétiens, les Espagnols des François, les François des Allemands, et ces derniers des Anglois. Il est même possible de reconnoître les habitans de la partie méridionale de la France de ceux de la partie septentrionale de ce même pays, lorsqu'ils ne se sont pas trop mêlés par des mariages réciproques. L'Écossois diffère de l'Anglois, et celui-ci, à son tour, a une figure qui n'est pas la même que celle de l'Irlandois. Les habitans des villes de Hollande n'ont plus leur ancienne physionomie nationale. Ceux des îles ont conservé leurs traits caractéristiques. En Frise, les citoyens de Hindelopen, de Molkwerum et de Koudum ont encore le visage étroit et la mâchoire inférieure longue; tandis que ceux du Bildt se font remarquer, entre leurs plus proches voisins, par une figure courte et ramassée.

Le peuple de chaque pays offre par conséquent quelque chose

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