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V.

GUTENBERG S'ASSOCIE AVEC FAUST. 1450.

Par l'acte d'association souscrit à la fin d'août 1450, dont le texte a été conservé, association qui devait durer cinq ans, Jean Fust ou Faust (ad libitum) s'engage à avancer à Jean Gutenberg une somme de 800 florins d'or, à 6 pour 100 d'intérêts par an, pour la confection des ustensiles et des instruments nécessaires à une imprimerie, lesquels ustensiles et instruments devront rester déposés entre les mains de Fust comme garantie et sûreté de ses fonds, jusqu'à ce qu'il soit remboursé du capital et des intérêts.

Les bénéfices devaient être partagés par moitié.

De plus Fust a promis, mais cette clause n'est pas consignée dans l'acte, d'avancer chaque année à Gutenberg une somme de 300 florins d'or pour payer la location du local de l'imprimerie, les gages des domestiques, des ouvriers, le chauffage, l'achat du parchemin, du papier, de l'encre, etc. (1), en un mot pour payer les frais généraux.

Au cas où la société viendrait à se dissoudre, il fut convenu que Gutenberg pourrait dégager ses outils en remboursant à Fust 800 florins d'or, avec les intérêts qui pourraient lui être dus.

Comme on le voit, le très-habile banquier s'était arrangé de telle sorte qu'il avait beaucoup à gagner et rien, absolument rien à perdre, car en cas de non-réussite, il

(1) Vers 1366, le peintre Van Eyck, dit Jean de Bruges, avait inventé la manière de broyer les couleurs avec de l'huile plus ou moins cuite. C'était un acheminement à la fabrication de l'encre de l'imprimerie, qui se compose de noir de fumée et d'huile, réduite en vernis par la cuisson.

saurait bien s'approprier le matériel de l'imprimerie et ensuite l'exploiter lui-même ou le faire exploiter.

Nous verrons plus loin à l'œuvre ce protecteur de l'inventeur de l'imprimerie.

Plein de confiance cette fois, Gutenberg se met résolû ment à l'œuvre : il monte son imprimerie dans la maison Zum Jungen, qu'il habitait avec son oncle, laquelle plus tard prit le nom d'imprimerie; il consacre près de deux ans à se procurer les caractères, les poinçons, les presses, les moules, les matrices et le parchemin qui lui étaient nécessaires; toutes ces dépenses absorbèrent les 800 florins d'or déjà avancés par Faust, et il fut obligé d'en demander 800 autres au lésineux banquier; les 300 florins promis annuellement ne pouvaient suffire aux dépenses encore à faire pour terminer l'impression de la Bible de 36 lignes, qui était déjà commencée,

Il paraîtrait aussi que, malgré tous ses efforts, Gutenberg n'avançait que très-lentement dans l'impression de la Bible; qu'il ne pouvait toujours parvenir à surmonter les difficultés qui se renouvelaient sans cesse : de là des plaintes et des reproches journaliers de la part de Faust.

« Enfin, en 1453, Gutemberg et Fust trouvèrent une méthode pour fondre les formes de l'alphabet latin, formes qu'ils appellèrent matrices, et dans ces matrices, ils fondirent de nouveaux caractères de cuivre ou d'étain. » 'Malgré ce passage du témoignage si positif que nous venons de rapporter de Trithème, on a voulu attribuer exclusivement la gloire d'avoir inventé la fonte des caractères à un ouvrier de Fust nommé Pierre Schoeffer de Gernshein, qui peut-être, perfectionna plutôt qu'il n'inventa les procédés employés par Gutemberg et Fust.

A l'appui de cette opinion, M. Capelle, ancien inspecteur de la librairie et de l'imprimerie, mentionne ce qui suit dans son Histoire de la typographie, page 18 :

« Un jeune domestique, attaché à Fust, épiait depuis longtemps les travaux cachés auxquels se livrait son maître avec Gutenberg.

Né avec un esprit vif, entreprenant, placé, surtout par la pensée, audessus de la classe où le sort l'a fait naître, il ressent, au lieu d'une simple curiosité, cette avidité d'étude, cette infatigable attention qui n'appartiennent qu'aux grands hommes, et qui décèlent le feu sacré du talent véritable Schaeffer voit ses maîtres rebutés par d'inutiles tentatives, désespérer de l'entreprise, et déjà son âme vole au-devant du secret qu'il brûle de pénétrer, parce qu'on le dit impénétrable; il n'a rien encore saisi, qu'il croit d'avance réussir dans ce que son imagination lui dictera.

Tel que Newton, dans l'enfance, traça des lignes et des cercles, sans connaître les proportions, ni les mathématiques; tel que le bon et l'inimitable la Fontaine se reconnut poëte en lisant, par hasard, une ode de Malherbe; à l'exemple du Corrége qui s'écria qu'il était peintre à la vue d'un tableau de Raphaël, l'œil pénétrant de Schoffer a vu dans tout ce que le génie voudrait lui cacher; son impatience supporte difficilement l'idée de languir longtemps dans une vaine espérance, et donne l'essor à son imagination; il tente, il rejette, il combine, il réussit, et l'imprimerie est au nombre des arts.

Schoffer avait taillé des pièces d'acier pur et les avait gravées; avec des poinçons, il frappait des matrices d'un métal plus inaltérable, il avait su placer ces matrices justifiées dans le centre d'un moule, et obtenir des empreintes en relief au moyen du plomb, de l'étain et du cuivre qu'il avait mis en fusion dans son creuset.

Ainsi Schoffer fut le premier qui fondit dans l'airain les signes de la parole, les lettres que l'on pouvait assembler d'une manière indéfinie. C'est d'après ce procedé que l'on appela types les caractères destinés à l'impression, et que l'on donna à cet art le nom de typographie.

A cette version, généralement adoptée, on ajoute que Schaffer inventa (1) aussi l'encre propre à imprimer, et que Fust fut si charmé de cette découverte, qu'il lui donna sa fille Justine en mariage et l'intéressa dans son entreprise. »>

Écoutons maintenant le récit de Trithème.

Cet écrivain, né en 1462, mort en 1516, nous donne,

(1) Ou plutôt perfectionna, car enfin Gutenberg avait déjà tiré des impressions quelconques.

dans ses Annales, un récit circonstancié de l'invention de l'imprimerie, mais qui doit naturellement être favorable à Pierre Schoeffer (Opilio), de qui le chroniqueur déclare tenir ses renseignements :

« A cette époque, dit-il, ce fut à Mayence, ville d'Allemagne près le Rhin, et non pas en Italie, comme quelques-uns l'ont faussement prétendu, que fut imaginé et inventé par Gutenberg, citoyen de Mayence, ce art mémorable, et jusqu'alors inconnu d'imprimer les livres au moyen de caractères en relief.

Gutenberg après avoir risqué pour le succès de son invention presque tous ses moyens d'existence, se trouvant dans le plus grand embarras, manquant tantôt d'une chose, tantôt d'une autre, et sur le point d'abandonner par désespoir son entreprise, put cependant, à l'aide des conseils et de la bourse de Jean Faust ou Fust, comme lui citoyen de Mayence, achever son œuvre.

Gutenberg et Faust imprimèrent d'abord un Vocabulaire appelé Catholicon, en caractères écrits régulièrement sur des tables de bois, et avec des formes composées.

Mais ils ne purent se servir de ces formes pour imprimer d'autres livres, puisque les caractères ne pouvaient se détacher des planches, mais étaient sculptés à même, comme je l'ai dit.

D'autres inventions plus ingénieuses succédèrent à ce procédé, et ils trouvèrent les moyens de fondre des formes de toutes les lettres de l'alphabet latin.

A ces formes, ils donnèrent le nom de matrices, dans lesquelles ils fondaient les caractères d'airain ou d'étain qui avaient la dureté nécessaire pour supporter toute pression, lesquels caractères étaient auparavant gravés par eux à la main.

En effet, ainsi que je l'ai entendu dire, il y a environ trente ans à Pierre Schoffer de Gernsheim, et citoyen de Mayence, qui était gendre du premier inventeur (1), ce procédé d'impression offrait de grandes difficultés à son début. Car, avant d'avoir achevé le troisième cahier de quatre feuilles de la Bible latine qu'il s'agissait d'imprimer, ils avaient dépensé plus de quatre mille florins.

Mais Pierre Schaeffer, alors ouvrier, et ensuite gendre, comme nous

(1) P. Schaeffer, comme on le voit déjà, désignait comme premier inventeur de la typographie son beau-père, Jean Faust.

L'avons dit de Faust, unissant l'habileté à la prudence, inventa une manière plus facile de fondre les caractères et compléta l'art, en le portant au point où il est aujourd'hui.

Tous trois gardèrent quelque temps le secret de cette manière d'imprimer, jusqu'à ce qu'elle fût divulguée par leurs ouvriers, sans l'aide desquels ils ne pouvaient pratiquer cet art, d'abord à Strasbourg, et peu à peu dans les autres pays du monde.

Ce que je viens de dire sur cette ingénieuse merveille d'imprimer est suffisant.

Ses premiers inventeurs furent des citoyens de Mayence.

Or ces trois premiers inventeurs, Jean Gutenberg, Jean Faust et Pierre Opilio (Schaeffer), gendre de ce dernier, habitaient à Mayence la maison connue sous le nom de Zum-Jungen (1), qui ensuite prit le non d'imprimerie qu'elle conserve encore. »

« Tout paraît être parfaitement exact dans ce récit de Trithème, pourvu qu'on ne confonde pas ce qu'il dit d'un Vocabulaire appelé Catholicon avec le Catholicon de Jean Balbus de Janua (Gènes), gros volume in-fol. de 373 feuilles, imprimé en caractères mobiles, et qui porte la date authentique de 1460, date postérieure au Psautier de Mayence, imprimé par Schoeffer et Faust en 1457, et même à la Bible de quarante-deux lignes. Il est très-probable que ce nom de Vocabulaire ou Catholicon aura été donné soit à quelque petit lexique destiné aux enfants, comme la grammaire d'Ælius Donat, soit même à quelque Donat xylographique dont Ulrich Zell nous dit que Gutenberg eut connaissance; ouvrages qui servirent d'essai et qui ne nous sont pas parvenus.

On remarquera que, du temps de l'abbé Trithème, qui acheva cette chronique en l'année 1514, deux ans avant sa mort, personne ne disputait à la ville de Mayence, l'honneur d'avoir inventé l'imprimerie. Il est vrai que quelqu'un avait écrit que cette belle invention venait d'Italie, mais c'était bien légèrement et sans aucun fon

(1) Gutenberg seul, habitalt cette maison avec son oncle,

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