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PROMENADES DANS NANCY

LES COUVENTS DES MINIMES

ET DE LA VISITATION

PAR

CHR. PFISTER

Depuis la construction de la Ville-Neuve de Nancy par Charles III jusqu'à son occupation par les Français, c'est-à-dire de 1590 à 1633, quatorze couvents y furent élevés, et l'on a pu dire, en forme de plaisanterie, que, des trois villes créées en Europe à la fin du seizième siècle, Livourne fut la ville des commerçants, Charleville celle des contrebandiers, Nancy-laNeuve celle des moines et des nonnes. De tous ces couvents, deux des plus connus furent érigés à l'extrémité nord de la cité nouvelle; i's ont été réunis, au début du dix-neuvième siècle, pour former le lycée. Nous voudrions faire ici l'histoire de ces deux monastères, l'un d'hommes, des minimes, l'autre de femmes,

des dames de la Visitation; et nous voudrions dire ce que les bâtiments en sont devenus depuis la suppression des ordres religieux en 1792.

I

Saint François d'Assise avait fondé au treizième siècle l'ordre mendiant qu'on appela l'ordre des Franciscains, et auquel lui-même donna par humilité le nom de frères mineurs. Il leur avait imposé la loi de la pauvreté absolue un franciscain ne devait rien posséder. Mais bientôt, parmi ses disciples, deux opinions contraires prévalurent; les uns prenaient à la lettre les recommandations du fondateur; ils prétendaient qu'au religieux rien ne devait appartenir que son corps même; les autres, au contraire, soutenaient qu'il fallait bien se loger et vivre : ils eurent des couvents et même des biens-fonds. Les réformés se séparèrent à diverses reprises avec éclat des conventuels et formèrent des ordres nouveaux, aux prescriptions plus dures. L'un de ces troncs qui se détacha de l'arbre des franciscains fut celui des minimes. L'ordre a pour fondateur un autre saint François, François de Paule, appelé ainsi du lieu de sa naissance en Calabre. François de Paule vécut en ermite et attira d'autres ermites autour de lui. Puis il se décida à bâtir un couvent et à se mettre à la tête d'un ordre, qui fut reconnu par le pape Sixte IV, en 1473. Saint François d'Assise avait créé les mineurs, au comparatif; saint François de Paule appela l'ordre nouveau les minimes, au superlatif. Les minimes

devaient observer un carême perpétuel, ils suivaient ce qu'ils appelaient la vie quadragésimale; non seulement ils devaient s'abstenir à perpétuité de toute chair, mais encore de ce qui a son origine de la chair, de fromage, de beurre, d'œufs. La règle ne permettait que le pain, les légumes, l'eau et l'huile. Les religieux devaient se consacrer à la méditation et à la prédication. Louis XI fit venir à Plessis-lez-Tours saint François de Paule dans l'espérance que celui-ci prolongerait sa vie; au temps de Charles VIII, un grand couvent de minimes fut créé à ce parc de Plessis, au lieu dit Les Montils, et bientôt l'ordre se répandit dans tous les royaumes de l'Europe chrétienne (1). Ce n'est pourtant qu'assez tard que les minimes furent admis en Lorraine. En 1588, Jean de Lenoncourt, chambellan du duc Charles III et bailli de Saint-Mihiel, créa pour eux un couvent à Serres, dans les environs de Lunéville (2); et bientôt après, ils furent appelés dans une série de petites villes de Lorraine, à Vézelise, à Nomeny, à Dieuze, à Bassing (3). Mais leur ambition

(1) HELYOT, Histoire des ordres monastiques, édit. Migne, t. II, col. 981-988.

(2) Canton de Lunéville-Nord. Cf. LEPAGE, Les Communes de la Meurthe, t. II, p. 587. Les minimes devaient y ouvrir une école gratuite qui préparerait les enfants à suivre les cours de l'Université de Pont-à-Mousson; Jean de Lenoncourt était conservateur des privilèges de cette Université. Abbé Eug. MARTIN, Histoire des diocèses de Toul, de Nancy et de Saint-Dié, t. II, p. 146.

(3) Bassing, canton de Dieuze. Le couvent de Bassing est toutefois un peu postérieur à celui de Nancy. Il a été créé le 11 février 1615 par Hercule de La Forêt, gouverneur de Marsal. Cf. A. BENOIT dans la Nouvelle Revue d'Alsace-Lorraine, 1888, PP. 299 et suiv.

fut d'avoir une maison dans la capitale même du duché, à Nancy, dans les terrains non encore bâtis de cette Ville-Neuve qui sortait du sol.

En l'année 1591, ils s'adressèrent à Charles III, et celui-ci, par lettres patentes du 2 janvier 1592, accueillit leur requête (1). Il leur donna permission de

(1) A. D., H. 1038. Charles, par la grâce de Dieu duc de Calabre, Lorraine, Bar, Gueldres, marchis, marquis de Pont-à-Mousson, comte de Provence, Vaudémont, Blàmont, Zutphen, etc., à tous ceux qui les présentes verront, salut. Savoir faisons que, pour le zèle et piété qu'avons à l'honneur de Dieu et à la propagation et manutention de la sainte foi et religion catholique, apostolique et romaine, au salut et consolation spirituelle de Nous, de notre maison et subjects, et affin d'évocquer et introduire en nos pays et villes quelque nombre de religieux de l'ordre des frères minimes institués par saint François de Paule, à ce que Nous et les nôtres puissions participer aux mérites, prières, grâces et privilèges dudit ordre et religieux d'icelui, Nous avons promis et octroié, promettons et octroyons par ces présentes que soit construit et érigé en ceste ditte ville de Nancy, sur la rue de Saint-Jean pour la largeur, contenant icelle largeur trente-six toises et de rue à auttre, et de longueur en mesme largeur quarante toises finissant à la muraille de la place donnée à l'archer de Hault, laquelle place et lieu Nous avons donné et assigné, donnons et assignons par ces présentes audict ordre des minimes, à la réquisition et prière que nous en faict le révérend père, frère Guillaume le Ber, provincial dudit ordre en la province de France, sous l'autorité duquel et de ses successeurs ledit couvent demeurera tenu et subject, comme les autres de la dicte province, la susdite place franche et quitte de toutes censes, rentes, subjections et debvoirs tant en notre endroit, de nos successeurs, ducs de Lorraine que des corps et communaulté de la dicte ville, hormis et excepté que lesdits minimes conviendront avec les propriétaires de la dicte place de gré à gré ou selon qu'il a esté ordonné sur ce faict, et à cet effect Nous voulons que les propriétaires de la dicte place ne fassent aulcuns reffus de céder le droit qu'ils peuvent avoir en icelle ausdits minimes, ou aultres pour eux, nonobstant la licence qu'avons donnée par cy devant ausdits propriétaires de bastir sur leurs fonds et terres contenues au dict enclos. A quoi

bâtir près des remparts de la Ville-Neuve, du côté nord. Entre leur maison future et ces remparts, ils devaient laisser l'intervalle d'une rue qu'on nomma la rue Saint-Jean, puisqu'elle venait se heurter contre le bastion de ce nom. Ce fut au dix-huitième siècle la rue de la Poissonnerie, aujourd'hui la rue Gambetta. Les propriétaires étaient obligés de laisser le terrain aux religieux, au prix fixé par les commissaires, même si primitivement ils se proposaient de bâtir; les minimes pouvaient élever des maisons et des boutiques le long des trois rues sur lesquelles devait donner leur couvent, et les louer à des particuliers pour avoir des rentes.

On avait ainsi désigné un terrain aux religieux, mais il leur fallait l'acheter; ils avaient aussi besoin d'argent pour construire. Ils demandèrent un fondateur qui leur procurât les ressources nécessaires; il se présenta en la personne de Christophe de Bassompierre et de sa femme Louise de Radeval.

Cette famille de Bassompierre, d'origine allemande, s'était établie depuis longtemps en Lorraine. Son nom

Nous avons dérogé et dérogeons par ces présentes pour ce seul lieu et place sans préjudice des aultres; et d'autant que la dicte place est sur rues de trois parts, sera loisible ausdits minimes pour l'ornement et commodité de la dicte ville faire bastir aux lieux plus commodes sur les dictes rues quelques petits logis et bouticles, desquelles ils seront propriétaires à tousjours et en pourront tirer quelques censes, rentes ou louage tant du fond que maisons pour subvenir à la nécessité dudict couvent et religieux. (Dans la suite des lettres Charles III renonce à tout droit d'amortissement.)... Données en notre ville de Nancy le deuxiesme jour de janvier mil cinq cens quatre vingt et

douze.

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