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SUR LE CONCOURS

POUR LE PRIX STANISLAS DE GUAITA

PAR M. ALEXANDRE DE ROCHE DU TEILLOY

MESSIEURS,

Un rapport sur le prix Guaita devrait n'inspirer à l'Académie de Stanislas que des idées gaies et souriantes, puisqu'elle a reçu l'enviable mission de signaler, de consacrer, à son aube, le talent naissant des jeunes poètes dont s'égaie coquettement le printemps tardif de notre austère Lorraine. Mais est-il possible de ne pas nous émouvoir au souvenir de l'un de nos derniers lauréats dont la couronne tressée par vos mains décore maintenant la tombe prématurée ?

Les belles feuilles toujours vertes

Qui gardent les noms de vieillir

avaient éclairé d'une radieuse fierté le candide front d'Alexandre de Metz Noblat, le fils de notre cher confrère, qui perpétuait dignement un des noms les plus illustres de notre compagnie, sa joie s'épa

nouissait dans une lettre qu'il écrivait à son vieux professeur, en daignant le remercier d'avoir contribué à développer en lui l'amour des bonnes lettres. Sans mériter ce compliment, car le talent est héréditaire dans sa famille, j'en faisais vanité.

Hélas! ce ne fut pas seulement le jeune Marcellus que l'ancêtre d'Auguste pleurait d'avance dans les vers mélancoliques du tendre Virgile:

Ostendent terris hunc tantum fata, neque ultra
Esse sinent.

Ce devait être aussi la race si fine, mais si fugitive, de ceux dont l'âme trop embrasée, le cœur trop palpitant, usent vite et consument les forces d'un corps offert en holocauste. Ils disparaissent

Comme on laisse en passant son ombre sur un mur,

a dit le miséricordieux Albert Glatigny; mais cette ombre, sombre d'abord, prend, sans s'effacer, avec le temps une sorte d'éclat qui attire les yeux et inspire le respect.

Aimez ce que jamais on ne verra deux fois,

s'écriait Alfred de Vigny : quoique les roses ne vivent que l'espace d'un matin, le printemps suivant nous en rend d'aussi étincelantes, tandis que jamais ne renaît plus une âme pareille à la personne aimée, admirée, œuvre d'art unique que Dieu n'avait produite qu'à un seul exemplaire.

Messieurs, ne nous laissons pas entraîner à ces pen

sées tristes qui risquent d'enlever le courage de vivre. Remercions plutôt notre province qui, pour distraire, sinon pour consoler notre deuil, s'empresse de nous fournir un autre jeune poète, digne aussi d'être couronné. Les baisers que donnent les parents à leurs derniers enfants, quand la mort a ravi l'aîné, ne font pas oublier l'enfant perdu, mais, forcément, ne laissent pas inactif leur besoin d'aimer ; malheur, au contraire, au père, à la mère qui pleurent un fils unique!

Un jeune cadet s'offre à nous, gentiment, nous tend une main affectueuse; son regard est vif, avec une teinte de tristesse qu'il a su prendre pour convenir à notre état d'âme; sa voix, bien que très vivante, s'adoucit sur un ton mineur, qui nous charme, sans que nous consentions à être égayés. Une douce mélancolie, dirait Alfred de Musset, voile les perfections de cette âme tendre et délicate. C'est encore Nancy qui nous le donne.

Le recueil de poésies que M. Georges Garnier vous présente dans un ravissant volume où la maison BergerLevrault et Cie, une fois de plus, a mis tous ses soins, -car là, tout fait honneur à la Lorraine, est intitulé Vers l'Idéal. Voilà un titre plein de promesses, énergique, où ressort et rebondit, non sans un légitime orgueil, ce qu'un psychologue anglais appelle le muscle de la volonté ! comme chez les héros et les héroïnes de Corneille. L'auteur, trop modeste, aurait pu signaler à votre sympathique attention ses deux précédents ouvrages: Au Fil de l'heure et Échos et Reflets, car c'est comme une trilogie: le poète adolescent s'est

laissé d'abord vivre au hasard des rencontres, se plaisant, par exemple, à railler avec une légère irrévérence les

Universitaires

Lecteurs assidus des Débats

Politiques et littéraires,
Ironiques et délicats.

Les années s'avancent; observateur moins malin et plus attentif, il écoute et s'étonne, s'enchante au spectacle des choses. Échos et Reflets, titre juste du deuxième volume; mais l'àme ne s'est pas assez repliée sur elle-même, n'a pas encore ressenti vivement le choc des passions. Entre ces deux premiers recueils et le troisième, Vers l'Idéal, remarquons la même différence qui éclate entre Odes et Ballades, Les Orientales et Les Feuilles d'automne, Les Voix intérieures. Évolution significative, qui peut se produire dans chacun de nous; mais, chez ceux qu'Apollon n'a pas daigné transporter sur Pégase dans le choeur des muses, elle se passe silencieusement et obscurément en prose.

Vers l'Idéal, fière ambition, belle carrière à parcourir dans les flots d'une poussière qui ne salit pas, en évitant la borne où risquent de se briser les automobiles, au terme de laquelle brille de loin et se conquiert la palme noble du triomphe! Ainsi, grâce aux coureurs, ne s'éteint point le flambeau de la vie. Nous surtout, messieurs, absorbés, quelquefois accablés, par les devoirs du métier qu'exerce notre main laborieuse, nous avons besoin des poètes pour nous égayer, nous élever, et nous les payons, à bon marché, par l'hom

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mage d'une couronne. Mais la poésie a maintenant des adversaires.

La Correspondance russe rapporte que le comte Tolstoï écrivait récemment au paysan Govrilaf : « Je suis d'avis que le mot qui doit servir d'expression à la pensée, à la vérité et à l'esprit, est quelque chose de si important, que l'on peut considérer comme un crime de le contraindre à la mesure et au rythme. Cela me donne l'impression d'un paysan qui, tout en poussant sa charrue, danserait et fausserait ainsi la droite ligne du sillon qu'il trace. A mon avis, rimer est une superstition stupide, même quand on le fait bien; mais, quand le vers, comme chez nos poétereaux, est mauvais et vide, la poésie n'est plus qu'une inutile et ridicule occupation. >>

Ce langage, prétend le Journal des Débats, est celui de la science même, pour qui la poésie est une forme primitive et aujourd'hui régressive de langage. Cette assertion me semble une calomnie; en tout cas, il n'y a qu'à répondre au comte Tolstoï, en s'appropriant la poésie d'Alfred de Musset:

J'aime surtout les vers, cette langue immortelle,
C'est peut-être un blasphème, et je le dis tout bas;
Mais je l'aime à la rage. Elle a cela pour elle
Qu'elle nous vient de Dieu, qu'elle est limpide et belle,
Que le monde l'entend et ne la parle pas.

« La pensée n'est qu'un éclair au milieu d'une longue nuit; mais c'est cet éclair qui est tout », a dit un géomètre nancéien, membre de l'Académie des sciences, et de l'Académie française, Henri Poincaré ; et le plus

SERIE VI, t. v, 1907

B

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