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AUX OBSÈQUES

DE SON EMINENCE

LE CARDINAL MATHIEU

MEMBRE HONORAIRE

PAR M. PIERRE BOYÉ

PRESIDENT

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MESSIEURS,

Appelé au triste devoir d'adresser un suprême adieu au membre éminent que vous perdez, le président de l'Académie de Stanislas ne saurait songer — surtout après la voix éloquente qui vient de se taire (1), — à retracer la carrière du prince de l'Église, ni à mettre en relief les mérites de l'écrivain qui s'asseyait au fauteuil des Perraud, des Benserade et des Chapelain. Je ne vous parlerai pas de l'historien du Concordat de 1801. Encore moins suivrai-je dans ses anxiétés, ses espérances, peut-être ses regrets, le témoin attentif de cette consultation solennelle qui se nomme un conclave.

(1) Oraison funèbre prononcée en l'église cathédrale de Nancy par M Rumeau, évêque d'Angers.

Il me sera cependant permis de vous redire l'ample place que Son Eminence le cardinal Mathieu occupa dans votre Compagnie.

Le 25 mars 1879, un professeur du petit séminaire de Pont-à-Mousson sollicitait, en des termes d'une modestie parfaite, son admission au nombre de vos associés-correspondants. Il n'avait, disait-il, qu'un titre à faire valoir une étude récemment parue; et ce titre, il craignait qu'il ne fût d'un faible poids. L'abbé Désiré Mathieu se trompait doublement. Sa signature était toute une recommandation. Plusieurs d'entre vous fréquentaient le jeune prêtre. Ils savaient la ferme indépendance de son caractère, la noble allure mais la sûreté de son jugement, sa verve primesautière, l'originalité de ses déductions. A la porte de la silencieuse maison où l'abbé rendait à gros intérêts l'enseignement qu'il y avait reçu, se brisaient les bruits du siècle. Mais cette porte, M. Mathieu l'avait souvent entr'ouverte. Il en avait laissé passer de l'esprit du temps ce qu'il fallait pour le bien comprendre.

Quant à son livre : L'Ancien régime dans la province de Lorraine et Barrois, il avait obtenu au candidat le grade de docteur ès lettres. Par deux fois l'Académie française allait lui décerner une de ses récompenses les plus recherchées. Les échos de cette soutenance, où vous aviez assisté à une joute nourrie de science et d'humour, n'étaient pas éteints. A Paris, en province, la presse continuait à saluer de ses applaudissements l'œuvre de votre ami. Les principaux organes de l'opinion rendaient le plus complet hommage au souffle si

libéral qui animait ces pages, pages de sagace critique et de pleine sincérité. On pouvait se demander si l'auteur était de l'école de Taine ou s'il était de l'école de Tocqueville. Vous appréciiez qu'il fût de celle de la vérité.

Votre accueil fut empressé, et la venue à Nancy de M. Mathieu comme aumônier du couvent des Dames Dominicaines vous fournit, peu après, l'occasion de l'élire membre titulaire, le 23 janvier 1880. Bientôt votre nouveau confrère prononçait son discours de réception. L'orateur vous entretint d'un homme qui a été mêlé à des luttes fameuses, qui vécut dans le sillage et le reflet de Lamennais, qui conquit par ses travaux une notoriété voisine de la gloire et contribua à répandre jusqu'aux confins de l'Europe la réputation de Nancy, de la ville où, à l'âge de quarante-six ans, il avait conçu, et réalisé dans un ouvrage en vingt-neuf volumes composé par lui seul, cette ambition d'une histoire universelle de l'Église catholique, en comprenant sous ce nom la société juive et les sociétés primitives, c'est-à-dire en reculant sa tâche de plusieurs milliers d'années. Sujet austère, s'il en est, et austère figure que l'érudit Rohrbacher. Pourtant, comme naguère à l'amphithéâtre de la Faculté des lettres, rarement séance publique fut aussi brillante. La même année, M. l'abbé Mathieu vous présentait un romancier lorrain du douzième siècle, curieux d'étranges aventures, de récits merveilleux, et pour lequel il réclamait une place d'honneur dans l'histoire de la littérature populaire, le moine Jean, auteur du Dolopathos, qu'un trouvère s'avisa de tra

duire en un poème français de quelque treize mille

vers.

Secrétaire de la Compagnie en 1885, M. Mathieu vous charmait de son rapport alerte. Mais qu'était l'agrément de ces lectures, trop courtes, en comparaison des joies de son commerce, des surprises renouvelées de sa conversation? Il se tenait alors, dans un humble appartement de la rue de Strasbourg, un véritable bureau d'esprit. Pendant les dix années que l'aumônier vous resta, ce fut pour ses intimes un plaisir continuel que la montée de cette sève pétillante, que la limpidité de cette intelligence, que cette bonhomie légèrement railleuse. Telle sous une écorce un peu rude l'assurance d'un fruit délicat, son ironie déguisait mal une bonté profonde. Déjà, vous ne pouviez plus vous dissimuler, Messieurs, que l'enfant d'Einville eût dérobé à son terroir natal une poignée de ce sel qu'il répandit dans tous ses livres, dont il laissera tomber quelques grains au seuil même de Saint-Pierre, et dont, sous les ombrages du Vatican, Léon XIII, dit-on, goûtait la saveur piquante.

Lorsqu'en 1890 M. l'abbé Mathieu fut désigné pour le ministère paroissial et qu'en vertu de votre règlement il rentra dans la classe de vos associés, vous ne vous fites pas illusion. Ce départ était définitif. Le presbytère de Saint-Martin de Pont-à-Mousson ne devait être que l'étape nécessaire pour s'élever à de hautes destinées. Destinée magnifique. En moins de neuf ans, le curé-doyen gravit les échelons de la hiérarchie ecclésiastique!

Le titre de membre honoraire que vous confériez le

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21 juillet 1899 à l'ancien membre titulaire, ajoutait donc fort peu à ses dignités. Vous acquittiez plutôt une sorte de dette. Je dirais volontiers que la Compagnie usait de coquetterie envers soi-même. Le Cardinal vous appartenait de façon si étroite! Votre Société a pu s'enorgueillir de compter sur ses listes des personnages considérables, qui figurèrent entre les premiers dans la magistrature, l'armée, les sciences, le clergé. La fortune était ici plus rare. Ils entraient pour la plupart dans votre Compagnie avec une illustration acquise hors de vous, loin de vous. Vous ne les possédiez que sur le tard. Son Éminence, au contraire, fut vôtre presque dès les promesses de ses débuts. Vous pouviez vous flatter de l'idée que vos suffrages avaient contribué à mettre le professeur plus complètement en lumière et que la qualité d'académicien de Stanislas n'avait pas été inutile au futur académicien de Richelieu. Votre confrère lui-même l'avouait avec une bonne grâce exquise.

MT Mathieu ne peut que très exceptionnellement reparaitre à vos réunions. Mais, à chacun de ses voyages, il éprouve une réelle satisfaction à s'entretenir avec vous et de vous.

Quand un hasard heureux lui fait découvrir dans sa cathédrale la sépulture du roi René, et que, penché sur cette poudre de quatre siècles, sur ce néant où brillent le sceptre et la couronne, l'évêque d'Angers sent bouillonner le flot tumultueux des souvenirs historiques et s'évoquer en sa mémoire le passé de sa chère province, c'est vous, Messieurs, qu'il souhaite à ses côtés. « Combien je regrettais d'être le seul Lor

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