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communisme, c'est qu'ils ont eru voir que l'évolution des sociétés humaines y tend.

Ils ont d'avance l'instinct des nécessités historiques. Ils savent que les transformations sociales les plus profondes sont toujours les plus lentes. « Pour la maturité des corps politiques, écrivent-ils, comme pour celle des individus, soit animaux, soit végétaux, la nature a adopté une marche graduelle et progressive dont elle ne s'écarte que très rarement... D'ailleurs, le temps est si peu de chose pour elle ! Les siècles ne sont à ses regards qu'un point dans l'immensité. » Entre l'époque où Ponélano, conscient du but à atteindre, cominença ses réformes et celui où les citoyens du Vrai Bonheur pratiquent le communisme et célèbrent leur religion humaine d'amour et de bienveillance, où le culte de Dieu est associé au culte des grands hommes, l'intervalle est de quatorze cents ans. Quand elle s'égrène ainsi sur tant de siècles, l'utopie se détruit en quelque sorte par elle-même et toutes les possibilités deviennent vraisemblables. S'il est vrai que la loi de l'histoire est le changement, l'utopie la plus irréalisable serait d'imaginer une humanité qui ne se transformerait pas et de souder dans une mortelle immobilité l'avenir au présent.

RÉPONSE DU PRÉSIDENT

M. PIERRE BOYÉ

AU RÉCIPIENDAIRE

M. GEORGES PARISET

MONSIEUR,

Je ne soulignerai pas votre modestie excessive. Mon rôle serait pourtant de la mettre à l'épreuve, si vos titres n'étaient tels que le traditionnel supplice d'une pluie de fleurs, où se glissent de rares épines, fût aujourd'hui superflu.

Lorsqu'un départ que nous déplorons encore, eut laissé vide le fauteuil occupé pendant quatorze ans par M. Pfister, l'Académie a pu se féliciter d'y asseoir, en votre personne, un des collègues les plus distingués du professeur que Paris enlevait à l'Université lorraine. Vous ne dissipiez pas nos regrets. Vous nous apportiez une compensation. Vos travaux, votre enseignement furent une double recommandation aux suffrages de la Compagnie.

Notre fondateur eût volontiers, je crois, tenu compte d'une troisième. Au cours de veilles laborieuses, n'avez-vous pas vécu dans le commerce de ce Frédéric-Guillaume Ier qui accueillit, à l'heure d'une de ses pires détresses, Stanislas proscrit et fugitif? Je sais ce qu'il faut penser de l'hospitalité de Koenigsberg et que cette bienveillance fut manifestation rageuse d'un dépit politique. Il n'empêche que Leszczynski avait voué au monarque prussien une reconnaissance qui ne se démentit plus; et, sans doute, il eût pris un sensible plaisir à causer parfois avec vous de son vieil ami, du bon compère le Roi-sergent.

Le Roi-sergent! Figure singulière, digne de retenir l'attention du jeune historien qui, en 1888, arrivait à Berlin en quête d'un champ à défricher. D'excellents outils ne vous manquaient pas. Après de solides études poursuivies à l'École alsacienne de Paris, au lycée de Nancy, au lycée Louis-le-Grand et à la Sorbonne, vous veniez d'être reçu premier au concours d'agrégation d'histoire et de géographie. Vous étiez un des élèves préférés du maître qui s'appliquait à graver d'un burin puissant, en traits nets, incisifs, une des plus décevantes effigies qui soient. Vous aviez assisté à la genèse de ces beaux livres où allait ressusciter, dans une évocation prestigieuse, avec son froid génie et son pâle sourire, le Grand Frédéric avant l'avènement. M. Ernest Lavisse était l'instigateur de ce voyage. Il resta de loin votre guide.

Frédéric-Guillaume Ier a été très diversement jugé. On nous l'a peint comme un souverain ridicule, aux fureurs épileptiques, soudard grossier et entêté, avare

sordide, mauvais époux et mauvais père. L'unique mérite de ce fantoche couronné fut de laisser à son fils un trésor et une armée. Ses sujets passèrent des jours sombres et tremblants. Chacun fuit l'approche de la brute fantasque dont la canne, le poing, le pied, sans cesse levés, s'abattent au gré de son humeur sur les épaules et les échines. A ses sorties, les rues sont désertes. Il est le croquemitaine de son peuple. Tous les auteurs de mémoires du dix-huitième siècle ont contribué à accentuer, à forcer la caricature; et les propres enfants du prince, Frédéric II, la margravine de Bayreuth, ne furent pas des derniers à la pousser au grotesque. Mais, à la suite des victoires allemandes, un revirement complet s'est opéré. Tiré de sa tabagie, arraché à ses beuveries et à ses jurons, l'ivrogne est hissé sur un piédestal. On oublie ses lubies de déséquilibré pour proclamer la lucidité de ses vues, vanter la fermeté de ses desseins. Ce bafoué est un méconnu, qui prépara un avenir brillant à sa maison par la divination d'un esprit ouvert aux réalités de son temps. Était-il le bouffon tragique? Fut-il le glorieux précurseur? Quelle part faire à la légende burlesque; quelle part à la légende laudative? Vous fûtes tenté de nous l'apprendre et, séduit par les difficultés mêmes de la tâche, de retracer, comme en une ample fresque où les chaudes couleurs des contrastes eussent relevé la minutieuse précision des détails, la vie, l'œuvre de l'énigmatique Hohenzollern.

Votre conscience d'érudit modifia cependant ces projets. D'importants recueils relatifs à cette période étaient en préparation. La série des Acta borussica pro

mettait de multiples renseignements. En l'absence de ces matériaux, un jugement d'ensemble eût été prématuré. Sans abandonner ni l'époque, ni le pays, ni le personnage qui avaient fixé vos regards, vous vous confiniez donc dans des limites plus restreintes. Vous résolûtes d'envisager, sous tous leurs aspects, les rapports de l'État et des Églises durant le règne de Frédéric-Guillaume. Sujet large encore et fécond, puisque dans les possessions éparpillées du Rhin à la Vistule et de la mer Baltique au lac de Neuchâtel, qu'était la Prusse d'alors, se trouvaient représentées toutes les confessions et toutes les constitutions ecclésiastiques. Voilà comment, Monsieur, dans la cité qui est actuellement la plus irréligieuse de l'Europe, vous fûtes amené, compulsant les archives des consistoires, réunissant les biographies de deux cent cinquante pasteurs, à écrire un volume de mille pages, où il n'est guère question que de théologie, de clergé et de fidèles, de fabriques, de sermons et de liturgie. Si je ne puis songer à résumer cet ouvrage, ce n'est pas que ses dimensions doivent effrayer, ou son aridité apparente rebuter le lecteur. Vous y avez projeté de vives clartés, dégagé de la masse compacte des documents et des faits, de limpides conclusions. Il me suffira de rappeler que ce livre vous valut le grade de docteur, un prix à l'Académie française et votre nomination de professeur adjoint à la Faculté des lettres de Nancy, où vous aviez été chargé de cours en 1891 et où vous êtes, depuis 1901, titulaire de la chaire d'histoire moderne.

A l'élaboration de votre thèse se rattache le bénéfice d'un séjour dans une capitale où vous sûtes beau

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