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plus il sent le besoin de frapper; il a autant de craintes que les victimes. Au surplus, il n'existe qu'un sentiment, la peur; qu'une opinion, la peur; qu'un parti, celui de la peur. Jacobins, patriotes, aristocrates, tous se regardent comme destinés à être atteints tôt ou tard.

Depuis 15 jours, la moitié de Paris, ne vivait que de pain, et d'herbes bouillies, mais pas une plainte. On finit par me répéter, ce qui est maintenant bien inutile à dire, et que j'eus l'honneur de vous exprimer dès le mois de mars, c'est que l'effet d'une défaite, et d'une marche rapide des alliés eût été et serait encore incalculable; mais le comité ne l'appréhende guère, et connaît parfaitement la situation où les alliés se sont réduits par leur opiniâtreté à persister dans les mesures médiocres et décousues, qui leur ont déjà coûté deux campagnes.

Depuis que les Suisses ont fermé leurs frontières à l'exportation des objets nécessaires au comité, celui-ci diminue chaque jour de tendresse à leur égard, et s'il continue à être victorieux, il ne tardera pas à leur montrer que la reconnaissance n'est pas une vertu républicaine. Il ne leur déclarera pas la guerre, mais il attaquera de front leur tranquillité; il les inondera d'incendiaires et soutiendra les premiers perturbateurs qui se déploieront. La contrebande de l'Allemagne continue avec d'immenses accroissemens. 20,000 bœufs ont été achetés par les Français en Souabe: il en est déjà sorti 3,000 qui traversent la Suisse: même trafic pour les blés. La friponnerie des préposés et l'avidité des propriétaires allemands soutiennent ce commerce en dépit des ordonnances du cercle.

Milord ELGIN.

II.

À Monsieur D. S. CURTIS à Paris.

Monsieur,

Vous avez sans doute lu quelques ouvrages sur la révolution française dans lesquels se trouve rapportée l'arrestation de la famille royale à Varennes; les différentes versions diffèrent plus ou moins entre elles. Je pense que vous lirez avec plaisir la seule vraie qui a été écrite par l'aîné des six enfants de mon grand-père; mon oncle Simon Fouché, né à Metz le 3 janvier 1772, était le 20 juin 1791, âgé d'un peu plus de 19 ans et se trouvait en état de rendre un compte exact de ce qu'il a vu et entendu ce jour-là et les suivants.

Ses deux sœurs aînées, mes tantes, m'ont raconté plusieurs fois ce qui s'était passé et différaient du récit de mon oncle en un seul point; suivant elles, mon grand-père ignorait, quand il s'est adressé à la reine, à qui il parlait, mais Drouet et son ami Guillaume, seuls, le savaient. J'avais lu cette relation en 1852, lors d'un voyage que je fis à Epinal (Vosges), ville dans laquelle mon grand-père et les deux aînés de la famille ont terminé leurs jours: ce n'est qu'après le décès de ma tante Catherine, arrivé en 7bre 1860, que l'idée m'est venue de chercher dans ses papiers cette relation qui ne s'y trouvait plus, parce que son auteur en avait fait don au commissaire de police d'Epinal, lequel a bien voulu permettre au plus jeune de mes oncles et à moi d'en prendre copie.

Agréez en même temps l'assurance
de ma considération distinguée,
S. FOUCHE

Paris, rue Neuve des Petits Champs, 6.

THE KING ARRESTED.

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Relation du voyage de la famille royale à Varennes.

Le 20 juin 1791, à onze heures du soir, ma sœur entendant du bruit dans la rue, en avertit mon père, qui, à demi habillé, sort de la maison, et se trouve vis-à-vis de Mr Drouet maître de poste de Ste Menehould accompagné de Mr Guillaume.- "Vous êtes le commandant de la garde nationale?—Oui.—Eh bien! Deux voitures qui se trouvent à l'entrée de la ville vont arriver; c'est la famille royale qui fuit, il faut l'arrêter; faites battre la générale, et assemblez la garde nationale, pendant que j'irai chez le procureur de la commune et que je barricaderai le pont."

Mon père rentre chez lui, passe son uniforme, m'avertit d'en faire autant, et nous nous rendons à l'auberge du bras d'or, où Leblanc et son frère Poulot déjà avertis se trouvaient sur la porte; le tambour qui demeure vis-à-vis reçoit l'ordre de battre la générale et le bruit des deux voitures se fait entendre.

Drouet, les deux Leblanc, mon père, moi, et deux autres personnes avec le procureur de la commune, Sausse, à l'arrivée des voitures, se trouvaient comme un poste, et mettant la main sur la bride des chevaux, l'un de nous cria: "Halte là! vos passeports."

Une voix de femme avait crié, de la voiture, de passer outre ; mais il fallut montrer le passeport au nom de Mme la Bne de Korff signé Montmorin.

Après la lecture qui en fut faite, Drouet dit; que quoique le passeport fût bon, cependant il y manquait la signature du président de l'assemblée nationale pour passer à l'étranger; qu'ainsi il fallait de toute nécessité s'arrêter puisque l'on n'avait point de chevaux de rechange, Varennes n'étant point un lieu de poste et que d'ici à demain on chercherait à se procurer des chevaux. On descendit donc de la voiture; l'auberge ne convenant pas pour s'y arrêter, Mr Sausse offrit son logement.

On accepta, on descendit la rue, on entra d'abord au rez de chaussée qui servait à la fabrique de chandelles; il y sentait le suif, les femmes se plaignirent qu'il était impossible de supporter cette odeur; on leur dit qu'on préparait la chambre qui leur était destinée, et un moment

après on y monta par un escalier tournant et étroit. Mon père me dit alors: "Tu resteras dans la chambre; tu m'avertiras si tu vois des dispositions de fuite, je serai à la porte de la maison." Je suivis donc la famille royale dans cette chambre assez grande qui donnait sur un jardin ou une cour, il s'y trouvait des bancs et des chaises, deux fauteuils, une table, un lit à colonnes, une cheminée, un portrait du roi en plâtre colorié; le roi prit place dans un fauteuil qui se trouvait au milieu de la chambre, les dames sur les bancs et les chaises adossées aux croisées, les 3 gardes du corps au coin. Quand toute la famille fut placée, le procureur de la commune vint avec sa femme demander quels ordres on avait à lui donner; et regardant le roi, le comparant au portrait, il dit: "Sire, je vois que j'ai le bonheur de posséder la famille royale, et je viens vous offrir mon respect et mes services.— Oui, je suis votre roi, voilà mon épouse, mes enfants et ma sœur, nous vous conjurons de nous traiter avec les égards qui nous sont dus et nous nous reposons sur votre loyauté." Cette espèce d'effusion passée, la reine demanda de l'eau chaude, des œufs, du vin, des draps de lit, que l'on plaça pendant que l'on mangeait et après ce repas improvisé les 2 enfants furent couchés et presque aussitôt ils s'endormirent.

La générale battue, la garde nationale fut bientôt sur pied; les messagers envoyés dans les villages avec ordre de communiquer partout la nouvelle de l'arrivée du roi à Varennes en amenèrent de toutes parts.

Les postes placés aux entrées de la ville n'avaient pu refuser aux 40 hussards de Lauzun de passer pour retourner à leur quartier. Mon père, les voyant arriver et s'arrêter dans la rue qu'il occupait, les fit mettre en bataille au lieu de rester en colonne, aborda l'officier qui les commandait et lui ordonna de conduire sa troupe au quartier; l'officier, au lieu d'exécuter cet ordre, remit son commandement à un maréchal des logis et partit.

Cette troupe après être restée 16 heures à cheval ne demandait que du repos et les hussards se trouvèrent heureux de recevoir l'ordre de retourner aux Cordeliers (leur caserne).

Ils y allèrent donc en criant vive la nation, et mon père fit adosser sa garde aux maisons pour les laisser passer. En se débarrassant de ces hommes suspects, il faisait place aux détachements qui arrivaient, renforçait les postes à mesure et fermait les issues de la ville. J'étais donc de planton dans la chambre. J'y vis arriver successivement des officiers qui venaient très humblement se justifier auprès de la reine; elle paraissait très irritée; le roi

DEPARTURE FROM VARENNES.

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restait sur son fauteuil, regardait ses trois gardes du corps couchés l'un sur l'autre et ronflant; ce qui excitait son sourire.

Messieurs de Goguelat, Charles de Damas et de Choiseul se trouvant réunis, le roi se leva, prit place près de la reine, et, pendant que ce conseil délibérait, madame Elisabeth vint à moi, me prit par les revers de mon uniforme, m'attira près du lit où les enfants dormaient, et me dit: "Ne serait-ce pas dommage qu'il arrivât malheur à ces innocentes créatures?—Il faut espérer, madame, qu'il n'en arrivera pas.-Vous le croyez ?-J'en suis persuadé. Vous pensez donc que nous pourrons continuer notre voyage?-Je le présume." Elle me retint assez longtemps en me faisant diverses autres questions. Mais je n'étais pas dupe du motif qui m'éloignait du conseil ; elle voulait m'empêcher d'entendre ce que l'on y disait et je ne pus entendre que le nom de Bouillé souvent répété.

Après que les officiers furent sortis, vers cinq heures du matin, Mr de Romeuf et son compagnon, en assez mauvais équipage, arrivèrent en se disant envoyés par l'assemblée nationale et portant l'ordre d'arrêter le roi et sa famille et de les ramener à Paris. Cette déclaration fut comme un coup de foudre; la reine surtout en paraissait indignée; le roi dit alors: "Il n'y a plus de roi en France."

La chambre donnant sur la rue était pleine de monde; on la fit évacuer. On demandait à voir le roi, et le procureur de la commune vint prier le roi de vouloir bien se montrer à la croisée de cette chambre. Il y alla, non pour entendre l'acclamation qu'il attendait sans doute, mais le cri de vive la nation, que toute la garde nationale jeta à sa vue. Il prononça quelques paroles et retourna à la chambre de derrière, d'où bientôt après il descendit pour monter dans sa berline et partir pour son retour à Paris.

Lorsque l'heure du départ, vers 7 heures, fut arrivée, Messrs de Choiseul et de Damas rentrèrent et redescendirent avec la famille royale; les voitures étaient devant la porte; la rue était encombrée de gardes nationales, enfin le roi et sa famille y reprirent leur place et elles partirent fort lentement.

Peu de gardes nationales de Varennes suivirent les voitures, bien assez d'autres le firent. Mais le fils de Mr Georges, le commandant d'honneur, Poulot Leblanc et d'autres les accompagnèrent jusqu'à Paris. Lorsque ces deux jeunes gens furent présentés par la commune de Paris à l'assemblée Natle et accueillis par elle, on admira leur courage et on leur en fit compliment. Mais Mr Georges fils ne pouvait se parer des plumes qui ne lui appartenaient pas;

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