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ADVERTISSEMENT

CONTRE

L'ASTROLOGIE QU'ON APPELLE IUDICIAIRE:

ET AUTRES CURIOSITEZ

QUI REGNENT AUIOURD'HUY AU MONDE.

PAR M. IEAN CALVIN.

A GENEVE

PAR IEAN GIRARD

1549.

Sainct Paul nous advertist d'une chose bien necessaire, à laquelle toutesfois peu de gens prennent garde: c'est que ceux qui ne tiennent conte de cheminer en boune conscience, se destournent et esgarent de la Foy. Car il signifie que ceux qui polluent leurs consciences en s'abandonnant à mal, ne sont pas dignes d'estre maintenus en la pure cognoissance de Dieu, mais plustost meritent d'estre aveuglez pour estre seduitz par divers erreurs et mensonges. Et c'est merveilles que nous y pensons si peu, veu que tous les iours nous en avons tant d'experiences devant noz yeux. Il est certain que Dieu n'oste iamais sa verité à ceux ausquelz il en a donné quelque goust, sinon d'autant qu'ilz l'ont mal receue, et mesmes en ont abusé ou en une folle ambition, ou à autres affections charnelles. De fait, puis que ceux qui ont de l'argent sont tant soigneux à le bien garder, c'estoit bien raison que ce thresor inestimable de l'Evangile, quand Dieu nous en a enrichis, fust comme enfermé en bonne conscience, qui est, par maniere de dire, le vray cofre, pour le tenir en bonne garde et seure, à ce qu'il ne nous soit ravy par Sathan. Et qu'avient [page 4] il au lieu de cela? la pluspart se sert de la parolle de Dieu seullement pour avoir de quoy deviser en compagnie. 1) Les uns sont menez d'ambition, les autres en pensent faire leur profit. Il y en a mesmes qui en pensent faire un maquerellage pour avoir acces aux dames. Beaucoup ne savent à quel propos ilz desirent d'y entendre, sinon d'autant qu'ilz sont honteux d'y voir mordre les autres, et qu'ilz soyent mesprisez par leur ignorance. Tant y a que quasi tous, ou peu s'en faut, convertissent ceste doctrine de salut en ie ne say quelle philosophie profane, qui est une pollution que Dieu ne peut porter, pourtant que c'est une chose trop sacrée que sa parolle, pour en abuser ainsi. Elle doit estre vive et d'une telle efficace qu'elle transperce les cœurs pour examiner tout ce qui est dedans

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l'homme, ouy, iusqu'aux mouelles des os, comme dit l'Apostre (Hebr. 4, 12). Si on s'en esbat et qu'on la face servir de plaisanterie, pensons nous que Dieu vueille souffrir un tel aneantissement de la vertu d'icelle? Elle doit redarguer l'homme, ainsi que dit sainct Paul (1 Cor. 14, 25), à ce qu'il aprenne à se condamner et donner gloire à Dieu en se humiliant. Si on la tourne à vanterie et vaine gloire, n'est-ce pas un desguisement qui merite grieve punition? Elle nous doit transfigurer [page 5] en l'image de Dieu (2 Cor. 3, 18), reformant ce qui est du nostre en nous. Si on prend occasion, souz ombre d'icelle, de s'entretenir en ses vices, ) ne faut il pas que Dieu corrige non seulement un tel abus d'avoir converty la viande en poison, mais aussi un tel sacrilege d'avoir fait servir la reigle de bien vivre à une licence de tout mal? Il n'est ia mestier de deschifrer par le menu la vie de la pluspart de ceux qui se disent avoir cogneu la verité de l'Evangile. Tant y a qu'on voit bien en somme qu'aucuns, au lieu de s'estre amendez, en sont plustost devenuz pires. Le reste va tousiours son train: 2) pour le moins on n'y aperçoit gueres de changement. Sainct Paul, parlant de la conversion qui doit estre aux Chrestiens, et des fruitz qui doyvent proceder de leur nouvelle vie, cux estans 3) reformez à l'image du Filz de Dieu, dit: Que celuy qui deroboit ne derobe plus (Eph. 4, 28). En quoy il signifie que si nous avons suivy mauvais train, si tost que Dieu nous a fait la grace de nous declairer sa volonté, il nous faut tourner bride. Au lieu de cela, ceux qui se disent auiourdhuy Chrestiens, se dispensent sans scrupule d'estre pour le moins semblables aux autres: tellement que celuy qui avoit accoustumé de paillarder ne laisse point de continuer en sa vilennie. Les [page 6] ieux, 4) les blasphemes sont autant debordez

1) Si quis ab eo ipso quasi autore occasionem arripiat suis flagitiis indormiendi atque in iis adhaerescendi. 2) Caeteros in instituto tanquam in luto adhaerescere. 8) quand ils sont reformez 1566 suiv.

4) ioci, ludorum commissiones, omnia oblectamentorum

genera.

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stition diabolique. De fait, elle a esté reiettée d'un commun accord comme pernicieuse au genre humain. Auiourdhuy elle se remet au dessus, en sorte que beaucoup de gens qui s'estiment de bon esprit, et aussi en [page 8] ont eu la reputation, y sont quasi ensorcelez. Quand Dieu ne nous auroit revelé de nostre temps la pureté de son Evangile, toutesfois, veu qu'il a resuscité les sciences humai

entre eux qu'au paravant. Les superfluitez1) et les pompes sont excusées comme choses indifferentes, iaçoit qu'on voye qu'elles ne servent qu'à orgueil, ambition et à toute vanité. D'avantage, chascun estat a son Evangile à part, selon qu'ilz s'en forgent à leur appetit, de sorte qu'il y a aussi grande diversité entre l'Evangile de court, et celuy des gens de iustice et advocatz, et celuy des marchans, comme entre les monnoyes forgées de coingznes, qui sont propres et utiles à la conduite de bien differens: sinon que tous ont une marque semblable, assavoir qu'ilz sont du monde. Et en cela ilz n'ont rien de convenance avec Iesus Christ, lequel nous en veut separer.

Parquoy c'est bien raison que ceux qui deshonnorent ainsi la doctrine de l'Evangile soyent confuz, 2) et que Dieu les expose à la moquerie de chascun,) attendu qu'ilz ont esté occasion que son sainct Nom fust blasphemé. C'est bien raison aussi qu'il les eslourdisse et prive de toute raison et sens humain, consyderé 4) qu'ilz n'ont peu faire leur profit de ceste Sagesse, laquelle est admirable aux Anges de Paradis. Voyla d'où procedent auiourdhuy tant de folles opinions, ou plustost resveries ausquelles il n'y a nulle couleur ny apparence, et toutesfois sont receues [page 7] comme si c'estoyent revelations venues du ciel. Brief, puis que arrogance est la droite racine de toutes heresies, fantasies extravagantes, fausses et meschantes opinions, ce n'est pas merveilles si Dieu laisse tomber en tant de folies ceux qui n'ont point tenu le vray regime pour perseverer en l'obeissance de sa verité, qui est de s'humilier en sa crainte. sa crainte. Or, d'autant que ce vice est aussi commun auiourdhuy qu'il fut iamais, nous en voyons aussi les fruitz, tellement que tous les erreurs qui volent par tout le monde sont autant de punitions de ce que lon a abusé de la saincte parolle de Dieu. Combien que mon intention n'est pas de faire un long recit de tous, pource que le nombre en seroit infiny. Ie me contenteray donc d'un seul exemple.

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nostre vie, et, en servant à nostre utilité, peuvent aussi servir à sa gloire, encore auroit-il iuste raison de punir l'ingratitude de ceux qui, ne se contentans point des choses solides et bien fondées, appetent, par une ambition outrecuidée, de voltiger en l'air, Maintenant, puis qu'il nous a eslargy tous les deux, c'est qu'il nous a remis les ars et sciences en leur entier, et sur tout nous a restitué la pure cognoissance de sa doctrine celeste, pour nous mener iusques à luy et nous introduire en ses hautz secretz et admirables, s'il advient qu'aucuns, au lieu d'en faire leur profit, ayment mieux de vaguer à travers champs que de se tenir entre les bornes, meritent ilz pas d'estre chastiez au double? Ce qui advient de fait, lors qu'ilz sont si hebetez ou plustost abestiz d'appliquer toute leur estude à un abus frivolle où ilz ne font que se tourmenter sans nul profit. Ie say les beaux tiltres dont ilz fardent une si sotte superstition. Nul ne peut nier que la science d'Astrologie ne soit honnorable. Ilz se couvrent donc [page 9] de ce manteau. nomment Mathematiciens, lequel mot vaut autant à dire que Professeurs des ars liberaux. Tout cela n'est point nouveau: car leurs predecesseurs ont bien pretendu le semblable pour abuser le monde. Mais quand nous aurons veu à l'oeil qu'il n'y a nul fondement en toute leur sottise, ne d'Astrologie, ne de science aucune, il n'y aura point occasion de nous ebahir de ces masques, sinon qu'ilz en fissent peur aux petis enfans. Mesme toutes gens de moyen savoir n'auroyent point fort affaire de mon advertissement pour estre instruitz de s'en garder. Ainsi, ce present traité sera plustost pour les simples et non lettrez, qui pourroyent aisément estre seduitz par faute de savoir distinguer entre la vraye Astrologie et ceste superstition de magiciens ou

sorciers.

Ilz se

Voyons donc, en premier lieu, iusques où s'estend la vraye Astrologie, qui est la cognoissance de l'ordre naturel et disposition que Dieu a mise aux Estoilles et Planettes, pour iuger de leur office, proprieté et vertu, et reduire le tout à sa fin et à son usage. Nous savons ce que dit Moyse (Gen. 1, 14), que Dieu a ordonné le Soleil et la Lune pour gouverner les iours et les nuitz, les moys, les ans et les saisons. En quoy il comprend tout ce qui attouche à l'agriculture et à [page 10] la po

lice. 1) Or, quant à ce regime et conduite dont il parle, vray est que les ignorans en ont bien quelque goust et apprehension: mais la science d'Astrologie, outre les effectz, monstre aussi les causes. Exemple: les plus rudes et idiotz voyent bien que les iours sont plus cours en hyver qu'en esté, qu'il fait chaud en esté et froid en hyver: mais ilz ne parviennent pas si haut de iuger comment ne pourquoy cela se fait. Les eclypses du Soleil et de la Lune sont cogneues à tout le monde: mais les causes en sont cachées, si ce n'est qu'on les apprenne par doctrine. Il ne faut point aller à l'escole pour voir qu'il y a des Estoilles au ciel. Mais ce n'est pas à tous de comprendre la mesure 2) de leurs cours, leurs revolutions, leurs rencontres et autres choses semblables, ") car cela requiert un savoir special. Par ainsi, l'Astrologie sert à determiner le cours des Planettes et Estoilles, tant pour le temps que pour l'ordre et situation: le temps, dyie, pour savoir quel terme il faut à chascune Planette et au firmament pour accomplir leur circuit; la situation, pour iuger combien il y a de distance de l'une à l'autre: discerner les mouvemens droitz, ou obliques, ou quasi contraires: de là savoir monstrer pourquoy le Soleil plustost") est plus loing de [page 1] nous en hyver qu'en esté; pourquoy il fait plus longue demeure sur nous en esté qu'en hyver; de savoir compasser à l'endroit de quel signe du Zodiaque il est chascun moys, quelles rencontres il a avec les autres Planettes, pourquoy la Lune est pleine ou vuyde selon qu'elle se reculle du Soleil ou en approche; 6) comment se font les eclypses, voire iusques à compasser les degrez et minutes. Ce fondement mis, s'ensuyvent les effectz que nous voyons icy bas; lesquelz par l'Astrologie on cognoist provenir d'en haut, et non seulement quand ilz sont passez, mais pour en estre advertiz devant le temps. Il n'y a celuy qui ne voye les pluyes, les gresles et neiges, et qui n'oye le bruit des ventz: mais nul ne sait les causes que par le moyen de l'Astrologie, laquelle, comme i'ay dit, en donne mesme quelques coniectures pour l'advenir. Combien qu'on n'en peust pas faire une reigle perpetuelle. Ie parle donc du cours ordinaire, qui n'est point empesché d'autres accidens survenans d'ailleurs.

Or, voicy le noeud de la matiere que nous avons à deduire: car noz Astrologues contrefaitz 7)

1) quae ad rei publicae gerendae rationem atque prudentiam attinent.

2) L'édition Lacroix porte: nature.

3) interstitionesque.

4) raram ac singularem.

5) plustost est omis 1611.

6) quam ob rem luna ortum aut obitum accessu aut re

cessu solis accipiat.

7) adulterini.

prennent une maxime qui est vraye: que les corps terrestres et en general toutes creatures inferieures sont subiettes à l'ordre du ciel pour en tirer quelques qualitez. 1) [page 12] Mais ilz l'appliquent tresmal. Qu'ainsi soit, l'Astrologie naturelle monstrera bien que les corps d'icy bas prennent quelque influxion de la Lune, par ce que les huyttres se remplissent ou se vuydent 2) avec icelle; pareillement, que les os sont pleins de mouelle ou en ont moins selon qu'elle croist ou diminue. C'est aussi de la vraye science d'Astrologie que tirent les medecins ce qu'ilz ont de iugement pour ordonner tant saignées que breuvages, pillules et autres choses en temps opportun. Ainsi il faut bien confesser qu'il y a quelque convenance entre les Estoilles ou Planettes et la disposition des corps humains. Tout cecy, comme l'ay dit, est compris souz l'Astrologie naturelle. Mais les affronteurs ) qui ont voulu, souz ombre de l'art, passer plus outre, en ont controuvé une autre espece qu'ilz ont nommée Iudiciaire, laquelle gist en deux articles principaux: c'est de savoir non seulement la nature et complexion des hommes, mais aussi toutes leurs avantures, qu'on appelle, et tout ce qu'ilz doyvent ou faire ou souffrir en leur vie; secondement, quelles yssues doyvent avoir les entreprises qu'ilz font, traffiquans les uns avec les autres; et en general de tout l'estat du monde.

Traitons premierement de la complexion [page 13] de chacun selon sa naissance. 4) Or, comme il n'y a iamais mensonge si lourd ne si impudent qui n'emprunte quelque couleur de verité, ie confesse bien, quant à la complexion des hommes, et sur tout aux affections qui participent aux qualitez de leurs corps, qu'elles dependent en partie des astres, ou pour le moins y ont quelque correspondance. 5) Comme de dire qu'un homme soit plus enclin à colere qu'à flegme, ") ou au contraire. Toutesfois, encores en cecy il y a plusieurs choses à noter. Noz Mathematiciens, ausquelz ie parle, assoyent leur iugement sur l'heure de la naissance. Ie dy, au contraire, que l'heure de la generation est plus à considerer, laquelle le plus souvent est incogneue. Car la mere n'a pas tousiours terme prefix pour enfanter selon qu'elle a conceu. Quelque replique qu'ilz ayent, si est-ce que ilz seront convaincuz par raison qu'en l'enfantement les astres

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4) quae ad cuiusque ex natali die habitudinem constitutionemque attinent.

5) aut certe consensum et, ut Graeci appellant, ovμnáJela quandam.

6) ad bilem atram propensior quam ad pituitam.

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