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soumission de leurs élèves laïques; ne contraignant personne et se bornant à obtenir un certain respect extérieur; concession d'autant plus facile qu'ils excellaient dans l'art de s'attacher la jeunesse. Les écoles des jésuites se distinguaient par les soins donnés aux élèves malades, par l'heureuse proportion des récréations et du travail, par mille recherches intelligentes, qui caressaient la tendresse des mères et flattaient l'amour-propre des parents. Chez eux on enseignait l'escrime, la danse, la musique; chez eux d'imposantes solennités soutenaient le zèle, élevaient l'effort; les distributions de prix, honorées des plus augustes présences, étaient célébrées par des harangues, par des comédies, des tragédies et même des ballets, que représentaient ou dansaient les élèves. » Un tel programme semble peut-être un peu mondain aux lecteurs qui entendent certaines gens regretter chaque jour l'influence austère et chrétienne de l'éducation donnée par les jésuites à nos pères, et déplorer les effets de l'enseignement universitaire, avec une sorte de douleur triomphante : δακρύσεν γελάσασα.

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M. de Viriville, qui a rendu justice à l'enseignement moral de la compagnie, traite peut-être avec trop de faveur son système d'éducation. « Ce qui spécifie et recommande le mieux leur règle, dit-il, c'est un éclectisme nouveau pour le choix et le perfectionnement des moyens ainsi que des méthodes. Par un phénomène bien digne d'attention, cette société, dont le vice essentiel aux yeux de la philosophie moderne est d'avoir méconnu, dans son application générale, la loi de changement et de progrès qui régit l'humanité, fut la première qui rendit un hommage aussi éclatant et aussi fécond à ce grand principe, circonscrit à la culture intellectuelle de la jeunesse. En des temps de routine, où l'Église enseignante tremblait devant la langue ancienne, les jésuites prescrivirent hardiment l'étude du latin, du grec, de l'hébreu. Nous ne pouvons accepter ce jugement

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sans réserve. Il nous paraît douteux qu'une pensée de progrès ait inspiré le programme d'études du célèbre institut'. Qui devons-nous en croire plus que le fondateur de l'ordre lui-même? Nous avons sur ce point sa profession formelle. On lit dans sa Vie, par le P. Bouhours (p. 251): « S'il apprenait que quelques-uns des professeurs d'Espagne, d'Italie et de Sicile suivissent des opinions particulières, écartées de celles qui sont communément reçues dans l'école, il les retirait des études, quelques bons esprits que ce fussent, et il disait que, s'il vivait mille ans, il ne cesserait de crier contre les nouveautés qui s'introduisent dans la théologie, dans la philosophie et dans la grammaire. La perfectibilité n'a jamais été plus hautement réprouvée par personne. Sur ce point, d'ailleurs, les conséquences sont d'accord avec les prémisses, les faits répondent aux principes. Si nous en croyons M. de Viriville, les jésuites avaient prescrit hardiment l'étude de l'hébreu et du grec. Ils ne tardèrent point à se repentir de leur audace, à propos du moins de cette dernière langue. Lancelot venait de publier le Jardin des racines grecques. Le P. Labbe composa un livre intitulé: Les étymologies de plusieurs mots français contre les abus de la secte des hellénistes de Port-Royal. Au dire du P. Labbe, cette damnable secte qui s'appelait légion comme le démon, semblait vouloir, en infectant de grec les jeunes esprits, empêcher le commerce que nos Français avaient eu avec Rome depuis douze cents ans. De nos jours, M. de Maistre a tenu en beau français précisément le même langage. Dans la science, les jésuites ne redoutaient pas moins le perfectionnement (nous rappelons l'expression de M. de Viriville). Condorcet, racontant que La Condamine fit sa philosophie sous le P. Brisson ajoute: « Il y avait plus de trente ans que le

1. Voy. un article de la Liberté, 1849.

2. Voy. le Pape, p. 156 et suiv.

livre des Principes de Newton avait paru, et le cartésianisme, que cet ouvrage avait détruit, ne s'était pas même encore introduit chez les jésuites.... Ce fut en 1717 que le P. Brisson enseigna le premier chez eux la philosophie de Descartes : il avait choisi M. de La Condamine pour soutenir une thèse publique, dédiée à l'Académie des sciences! » Marmontel dit aussi dans ses Mémoires : « Dès ma seconde année de philosophie, n'ayant pu engager les professeurs jésuites à nous enseigner la philosophie newtonienne, je pris mon parti d'aller étudier à une autre école.

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Mais revenons à l'histoire de l'Université. Nous la reprenons aux approches de 89. « La grande institution, dit M. de Viriville, était alors en pleine décadence. Moins ennemie du progrès que les jésuites ses adversaires, elle se montrait pourtant trop peu empressée de marcher en avant. C'est dans cette espèce d'incertitude et d'hésitation qu'elle fut surprise par le terrible mouvement qui venait changer toutes choses. Il fallait améliorer l'instruction publique. Les novateurs s'en chargèrent violemment, selon leur usage. En matière de réforme administrative, les révolutions n'ont qu'un procédé, et il est ancien, c'est celui des filles de Pélias, tuer pour rajeunir. Ils immolèrent donc l'enseignement pour le préparer à une vie nouvelle. Cette résurrection se fit un peu attendre. Plusieurs essais étaient demeurés sans résultats; des tentatives plus sérieuses de création s'accomplirent après la chute de Robespierre. On commença par fonder l'École normale (30 octobre 1794). Le désordre contemporain des choses et des idées se révèle par la singulière organisation de ce grand établissement : « M. de Lacépède, raconte Cuvier, s'y trouvait sur les bancs avec M. de Bougainville, septuagénaire, officier général de terre et de mer, écrivain et géomètre également fameux; avec le grammairien de Wailly, non moins âgé, et auteur devenu classique depuis quarante

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<< ans, avec notre savant collègue M. Fourier. M. de La Place lui-même, et c'est tout dire, y parut d'abord comme « élève, et aux côtés de pareils hommes siégeaient des villageois, qui savaient à peine lire couramment1. »

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Voilà une école bien étrangement constituée. Mais pouvait-on attendre beaucoup mieux de cette époque bizarre? Une anecdote racontée par Cuvier achève de la peindre. « Un ministre du Directoire avait officiellement inspecté le Muséum. Au retour il parlait de l'intérêt de cette visite et de certains animaux curieux, la girafe, par exemple. « Sans « doute, lui dit-on, vous avez vu Lacépède? - On ne me « l'a pas montré,» répondit le ministre mécontent de cette négligence. Heureusement à une telle administration en succéda bientôt une autre, capable de fonder, et dont l'œuvre subsiste encore. M. de Viriville a raconté avec un véritable talent l'histoire de l'Université impériale, et ses vicissitudes sous la Restauration et la dernière royauté. Nous n'avons pas le temps d'abréger son intéressant récit. Mais avant de le quitter, nous dirons un mot de l'élégance typographique et des précieux dessins qui relèvent le mérite de son ouvrage. Cette histoire est à la fois un livre d'étude et un livre d'art, un savant travail et un album. L'érudition ainsi illustrée doit plaire à tout le monde; l'histoire de l'instruction publique, sous ce costume élégant et mondain, peut se présenter dans tous les salons.

(Revue de l'Instruction publique, 13 avril 1854.)

1. Cuvier, Éloge de Lacepède.

DE L'ÉDUCATION DANS LA FAMILLE ET AU COLLÉGE,

par Th. H. Barrau.

Un écrivain honnête homme, qu'il faut toujours citer quand on parle d'éducation, Rollin, a dit : « Les livres admirables sont rares; les livres estimables le sont bien plus.» Je m'empresse d'annoncer à nos lecteurs un ouvrage qu'aurait estimé Rollin lui-même: c'est le livre de M. Barrau sur l'éducation.

L'auteur s'adresse aux pères de famille. De tous côtés on se plaint de l'éducation publique, on lui attribue les malheurs du siècle; chacun propose son projet de réforme ; chacun offre de sauver la société dans l'espace de vingtquatre heures, et par le moyen le plus simple: une révolution dans l'enseignement. Il n'y a rien là qui doive étonner personne. Toutes les fois que les hommes mûrs font des folies que leurs enfants imitent à leur tour, ils ne manquent pas de se plaindre de l'éducation qu'on leur a donnée. Depuis quelque soixante ans, les pères de famille ont fait nombre de révolutions; ils s'écrient douloureusement aujourd'hui que l'enseignement public a produit des révolutionnaires : ils oublient modestement que ce qui a produit les fils, c'est le mauvais exemple des pères. La société l'oublie comme eux, et cherche un remède aux vices présumés de l'éducation; on travaille à la réformer; on multiplie les systèmes, et l'on ne songe pas que s'il est un sujet où les expériences sont dangereuses, c'est l'éducation, parce qu'elles s'y font sur des êtres vivants, sur des âmes, et qu'il n'est pas permis d'exposer, même au profit de la science pédagogique, la vie morale de plusieurs générations.

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