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voix harmonieuses et puissantes des Basile, des Chrysostome, des Ambroise et des Augustin1?

LE PASTEUR D'HERMAS,

collection des Pères apostoliques, publiée par M. Albert Dressel.
Leipsick, 1857.

I

L'Allemagne catholique et l'Allemagne protestante rivalisent depuis quelque temps de zèle pour publier, sous des formats commodes et dans des textes corrigés avec soin, les premiers monuments littéraires du christianisme. Tout récemment, M. Dressel, profondément versé dans l'étude des antiquités chrétiennes, vient de nous donner, en un volume in-8°, une édition des Pères apostoliques. La partie la plus neuve de ce travail, c'est une nouvelle traduction latine du Pasteur d'Hermas, trouvée par M. Dressel dans un manuscrit de Rome. On appréciera la valeur de cette découverte, en comparant la nouvelle traduction avec l'ancienne, celle qu'on trouve dans les recueils de Cotelier et de Fabricius,

1. M. Rigault a demandé, dans les derniers jours de sa vie, que son cours du Collège de France ne fût pas publié. Nous conjecturons qu'il ne regardait pas comme assez exact ce qui en avait été recueilli, et que n'ayant lui-même que des notes incomplètes sur ces brillantes improvisations, le temps lui manqua pour une rédaction définitive. Nous avons cru pouvoir, sans désobéir à une volonté respectée, réimprimer ces trois courts fragments, que M. Cuvillier-Fleury a cités dans le Journal des Débats du 1er février 1857. Les articles sur le Pasteur d'Hermas et sur les Clémentines, que nous tirons du même journal, resteront aussi comme un souvenir de quelques-unes des leçons du Collège de France. (Note de l'éditeur.)

la seule qu'on possédât jusqu'ici. Entre l'une et l'autre, on rencontre dès la première phrase des différences d'interprétation notables qui permettent d'éclaircir le sens controversé de plusieurs passages du Pasteur. Une autre nouveauté de cette édition, c'est un texte grec du livre d'Hermas, que M. Tischendorff a revu et joint à la nouvelle traduction latine publiée par M. Dressel. Le texte original du Pasteur, écrit primitivement en grec, était, on le sait, considéré comme perdu, jusqu'au jour où un visiteur fortuné des bibliothèques du mont Athos, M. Simonidès, prétendit l'avoir retrouvé au fond d'un couvent. M. Tischendorff n'est pas de ceux qui se sont laissé prendre aux découvertes ou plutôt aux inventions érudites de M. Simonidès. Non-seulement il ne confond pas le travail d'un paléographe du XIX siècle avec un manuscrit d'une antiquité séculaire; mais il ne regarde même pas le texte grec apporté de l'Athos comme le texte original du Pasteur. C'est tout simplement, à ses yeux une traduction grecque faite au moyen âge sur l'ancienne traduction latine. Cela diminue beaucoup l'importance du manuscrit grec; mais enfin, si c'était vraiment une traduction du moyen âge, il aurait encore son prix. En est-ce une? Je le souhaite plutôt que je ne l'affirme, tant le nom de M. Simonidès m'inspire de circonspection. Timeo Danaos. Du reste, ce n'est pas une question d'authenticité de manuscrit que j'ai dessein de traiter dans un journal. Je veux profiter de la publication récente du Pasteur pour entretenir nos lecteurs de ce curieux ouvrage du premier âge du christianisme.

Voici un livre, vieux de plus de dix-sept cents ans, composé moins de vingt ans après la mort de saint Paul, sous Domitien, par le frère d'un pape, par un chrétien, Hermas, qui avait connu le grand apôtre '. Ce livre vénérable, ne

1. Je fais grâce au lecteur de toute controverse sur la date et sur l'au

fût-ce que par son antiquité, bien des chrétiens d'aujourd'hui en savent à peine le nom. Dans les premiers siècles de l'Église, il a joui d'une faveur et d'une autorité que n'ont pas obtenues les livres les plus illustres du christianisme. Quoique en certains passages il ait inquiété l'orthodoxie des théologiens modernes, les Pères de l'Église et les écrivains ecclésiastiques ne laissaient pas de s'en servir pour combattre l'hérésie. Saint Irénée le cite presque à l'égal des livres de l'Écriture; saint Clément d'Alexandrie y reconnaît une inspiration divine; Origène, saint Athanase, Eusèbe, vantent son utilité pour enseigner aux néophytes les premiers éléments de la vraie doctrine; Tertullien, devenu montaniste, le rejette comme apocryphe et l'accable de ses dédains, quand on s'en autorise pour lui démontrer son hérésie. Mais avant d'être montaniste, Tertullien l'admirait, le vantait et s'en armait contre les hérétiques en faveur de l'orthodoxie. Ce n'est pas le livre qui a changé, c'est Tertullien, ainsi qu'il arrive lorsque au lieu de juger les livres avec sa raison, on les juge avec sa passion, et que la passion faisant volte-face, on dénigre aujourd'hui ce qu'on célébrait hier.

La raison de la popularité du Pasteur dans la primitive Église, ce n'est pas seulement la bonté de la doctrine religieuse et morale qu'il renferme, c'est la forme dont Hermas l'a revêtue. Parlant non pas à des disciples, mais à des frères, il a laissé de côté le sermon et la dialectique, et il a mis sous leurs yeux une légende, le genre d'enseignement le mieux approprié à leurs besoins et à leur goût. La légende plaît aux imaginations pieuses; elle a surtout du crédit sur les âmes indécises qui ont la vocation plutôt que la force d'être chrétiennes, et dont la volonté chancelante

teur du Pasteur, et je me borne à reproduire l'opinion admise par Origène, Eusèbe et saint Jérôme, et chez les modernes par Le Nourry, Fleury et Tillemont.

cherche un appui dans le merveilleux. C'est particulièrement à ces âmes que s'adressait Hermas, comme nous l'apprend le témoignage des Pères, c'est-à-dire à la classe la plus nombreuse toujours, mais surtout aux époques où quelque grande vérité se lève sur le monde, assez éclatante pour éclairer les esprits, trop nouvelle encore pour vaincre les habitudes et transformer les mœurs. C'était là, aux premiers siècles, la condition d'une foule de chrétiens, convertis de croyance, mais non de conduite. Or, de toutes. les conquêtes, ces demi-chrétiens sont la plus difficile à faire et à garder. On vient à bout des incrédules : contre eux on a le raisonnement. Persuadez-les, ils céderont. Mais contre ceux qui croient et se conduisent comme s'ils ne croyaient pas, le raisonnement est désarmé. Ce qu'il faut convertir, ce n'est pas leur esprit, c'est leur caractère, ce sont leurs passions, ce sont leurs habitudes, de toutes les conversions la plus malaisée. « Nous sommes, disent-ils, des hommes de bonne volonté, homines bonæ voluntatis, mais nous sommes faibles. Pour nous arracher à ce conflit de notre croyance et de notre conduite, il est besoin d'une plus grande force que la nôtre, d'une puissance étrangère et supérieure à nous. On nous dit: aide-toi, le ciel t'aidera. Non que Dieu m'aide, et je m'aiderai.» Cela revient à demander ce que chacun réclame volontiers, un miracle exprès pour soi. Faites pour moi quelque chose, ô mon Dieu, rien qu'un prodige, et je suis à vous. Les plus grands esprits en sont là. Jean-Jacques a raconté que dans sa jeunesse il jeta une pierre contre un arbre : « Si je l'atteins, dit-il, c'est qu'il y a un Dieu. »

Dieu était prévenu: s'il permettait une maladresse, il faisait un athée. A plus forte raison, c'est là le besoin des faibles natures: il leur faut le merveilleux. Pour elles la légende est une forme excellente de conseil et d'encouragement. Les bons avis et les bons exemples qu'elle ap

porte arrivent sous la protection du surnaturel, d'où ils tirent une puissance qu'ils n'auraient pas sans lui. L'étonnement de l'imagination agit de concert avec l'émotion du cœur. C'est là la première raison de la popularité du Pasteur dans la société chrétienne.

Mais le Pasteur n'est pas seulement une légende, c'est une confession. L'instruction religieuse n'y est pas donnée par Hermas à ses frères, mais par des personnages divins à Hermas; elle descend du ciel par la bouche de l'Église et des anges. Hermas est le pénitent; il se met en scène non pour reprocher aux autres leurs fautes, mais pour avouer les siennes; non pour prêcher, mais pour être prêché, ce dont le prochain s'accommode bien mieux, et c'est là la seconde raison du succès de son livre. Ce qui nous plaît dans ces confessions publiques (j'entends celles qui se font à genoux, avec le dessein d'édifier, et non celles qui se font debout et tête levée, avec moins de repentir que d'orgueil), ce qui, dis-je, nous y plaît, c'est que l'enseignement ne s'y impose pas au nom de la sagesse, c'est-à-dire au nom d'une supériorité; il se propose au nom des fautes commises, c'est-à-dire d'une infériorité, mieux accueillie de notre amour-propre. J'ai un secret plaisir à puiser dans vos aveux la preuve que jadis vous ne valiez pas mieux que moi et l'espérance que je vaudrai un jour autant que vous. Rien de plus propre à convertir les âmes fortes que le spectacle des vertus d'autrui; rien de plus propre à convertir les âmes faibles que le spectacle des péchés d'autrui, lorsque autrui s'en repent et se trouve bien de son repentir. Et voilà pourquoi Hermas, dans son histoire destinée aux indécis et aux faibles, commence par raconter ses fautes. Le Pasteur est divisé en trois livres les Visions, les Préceptes et les Similitudes. Voici le commencement du livre des Visions:

« Celui qui m'a élevé vendit un jour à Rome une jeune

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