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DE L'ESPRIT CHRÉTIEN DANS LES ÉTUDES,

par M. Laurentie.

LEÇONS DE PHILOSOPHIE

professées au lycée de Lyon par M. l'abbé Noirot.

M. Laurentie est un esprit lettré, doux et pacifique, qu'a vivement affligé la querelle récente du paganisme dans l'éducation. Les hommes aiment la dispute, dit-il, même les meilleurs; et il se plaint qu'au lieu de se mettre immédiatement d'accord, on ait longtemps disputé. Il est trèsbien d'aimer la paix, et le rôle de conciliateur est un des plus beaux qu'un honnête homme puisse rêver; mais pour concilier les partis, peut-être faut-il, dès l'abord, ne pas trouver si mauvais qu'ils ne commencent point par s'embrasser il est tout naturel de discuter quand on n'est pas du même avis, et les hommes, même les meilleurs, ont le droit de défendre et de garder leur opinion, tant que leurs adversaires ne leur ont pas démontré qu'ils ont tort: Tradidit mundum disputationibus eorum. Puisque Dieu a livré le monde aux disputes des hommes, M. Laurentie, s'il est juste, ne doit pas trop se scandaliser de les voir discuter pour s'entendre l'office de médiateur serait moins honorable, si la médiation était si facile. La lutte, pourvu qu'elle soit loyale et polie, donne seule quelque prix aux traités de paix, et le livre de M. Laurentie, œuvre charitable de réconciliation et de concorde, n'aurait pas le double mérite d'un bon ouvrage et d'une bonne action, si le parti des classiques païens et le parti des classiques chrétiens s'étaient, au premier mot, jetés dans les bras l'un de l'autre.

Je reconnais toutefois que s'il est doux, en même temps

que légitime, de disputer pour une bonne cause, c'est un plaisir plus élevé et plus vif encore de s'accorder, sans discussion préalable, avec un écrivain d'un esprit sensé, d'un caractère droit et d'un langage poli: cette conformité immédiate d'opinion est une de ces jouissances délicates de l'esprit que Vauvenargues a si bien définies les voluptés du sens commun, et c'est précisément le plaisir qu'on éprouve en lisant M. Laurentie. Peut-être dois-je avouer que ce qui m'a rendu plus vif l'attrait de son livre, c'est que j'y ai retrouvé les deux idées principales que la Revue a constamment défendues, la légitimité de l'enseignement classique païen, et la possibilité de le donner chrétiennement. Ces deux idées sont le fond de son livre, comme elles ont été le fond de notre polémique; aussi le plaisir que j'ai goûté en le lisant ressemble-t-il beaucoup à celui que nous éprouvons tous, quand nous entendons exprimer par un autre, beaucoup mieux que par nousmêmes, les idées qui nous sont chères; je m'abstiendrai donc de louer davantage et le livre et l'auteur, de peur que la Revue ne paraisse se vanter elle-même sous le pseudonyme de M. Laurentie.

La légitimité, la conformité de l'enseignement classique païen avec la tradition de l'Église, c'est là désormais une question épuisée, c'est un point débattu et hors de doute, c'est une vérité définitive. Je n'y veux pas revenir, pas même pour signaler les pages spirituelles où M. Laurentie prouve que nos révolutions n'ont pas pour cause la Renaissance, pas même pour lui reprocher les pages injustes où il affirme que l'enseignement public est devenu un métier mécanique, sans doctrine morale qui le vivifie. L'occasion serait belle pour disputer; puisque M. Laurentie n'aime pas les discussions, je ne discuterai pas. Aussi bien la meilleure réfutation de son paradoxe est dans son livre. même; il prouve qu'il est si facile d'enseigner chrétien

nement les lettres païennes, qu'en vérité l'indifférence absolue qu'il nous reproche pour toute doctrine morale devient une invraisemblance; à la fin du volume, le lecteur le plus prévenu ne peut se persuader que des hommes éclairés, après tout, et honnêtes (M. Laurentie ne le conteste pas) s'étudient si soigneusement à tarir, dans leur cœur et dans celui des autres, ce sentiment moral qu'il est si simple et si doux de répandre, et se donnent, pour devenir des corrupteurs, le singulier plaisir de la difficulté vaincue. Cette possibilité d'enseigner chrétiennement les lettres païennes est le seul point que je veuille toucher aujourd'hui; c'est, après la longue controverse sur la question du paganisme, la partie la plus intéressante et la plus neuve du livre de M. Laurentie.

Il a, dans une série de chapitres ingénieux, indiqué la manière d'enseigner chrétiennement, d'après la méthode classique, et avec les auteurs païens, la grammaire, la mythologie, les humanités, la philosophie et l'histoire; il a donné sur la méthode à suivre, sur les rapprochements à faire entre les auteurs païens et les auteurs chrétiens, sur les réflexions édifiantes à tirer des écrivains qu'on explique, des conseils judicieux et pratiques; les maîtres de la jeunesse les suivront volontiers; malgré l'indifférence dont M. Laurentie les accuse pour ces idées morales, ils les goûtent et les accueillent, surtout quand on les présente, comme lui, avec simplicité, sans ostentation, sans avoir l'air de découvrir la vertu. A vrai dire, ses idées sont plus sages qu'originales, et c'est un grand éloge, car il faut se défier de l'originalité en matière d'éducation. M. Laurentie a mieux aimé développer avec justesse les grandes vues qu'ont laissées sur la direction chrétienne des études les plus puissants, les plus pieux, les plus pénétrants esprits qui ont pratiqué avant nous le grand art de l'enseignement, que de chercher dans des

théories personnelles une gloire d'invention, indifférente à un esprit désintéressé qui ne veut pas inventer. Il a eu raison. La direction chrétienne se trouve admirablement définie dans quelques pages empruntées à ces maîtres illustres de l'éducation, et il suffit presque d'en détacher les plus beaux passages, de s'en pénétrer, et d'y conformer son enseignement, pour être à ses propres yeux et, j'en suis sûr, aux yeux de M. Laurentie lui-même, l'organe visible de la doctrine morale la plus pure, la plus capable de vivifier le métier le plus mécanique, la plus digne de parler aux esprits et aux cœurs. Si, par exemple, pour bien comprendre cette noble idée du beau qui doit éclairer tout notre enseignement, nous nous inspirons du Phèdre et du Banquet, ce sera certainement puiser à des sources pures, et donner à nos théories littéraires un fondement inattaquable; mais qu'on lise cette belle page de saint François de Sales:

« Quant au beau, parce qu'il attire et rappelle à soi toutes les choses, les Grecs l'appellent du nom qui est tiré d'une parole qui veut dire appeler. De même, quant au bien, sa vraie image c'est la lumière, surtout en ce que la lumière recueillie réduit et convertit à soi tout ce qui est, comme la bonté convertit à soi toutes choses, étant nonseulement la souveraine unité, mais souverainement unissante, d'autant que toutes choses la désirent comme leur principe, leur conservation et leur dernière fin de sorte qu'en somme le bon et le beau ne sont qu'une même chose, d'autant que toutes choses désirent le beau et le bon.... Et, certes, il est vrai que le soleil, source de la lumière corporelle, est la vraie image du bon et du beau: car, entre les créatures purement corporelles, il n'y a point de bonté ni de beauté égale à celle du soleil. Or la beauté et la bonté du soleil consistent en sa lumière, sans laquelle rien ne serait beau et rien ne serait bon en ce monde corporel.... Ainsi

Dieu, père de toute lumière, souverainement bon et beau, par sa beauté attire notre entendement à le contempler, et par sa bonté il attire notre volonté à l'aimer.» (Traité de l'amour de Dieu, liv. VIII, chap. v.)

N'est-ce pas l'esthétique vraiment chrétienne, dans toute sa splendeur et toute sa grâce? Ne sont-ce pas les idées les plus sublimes du spiritualisme antique, revêtues de la pureté, embellies du charme de l'onction évangélique ? Est-il pour la parole des maîtres une inspiration plus heureuse et une direction plus puissante que cette union parfaite de la philosophie et de la sainteté ?

Ces grands hommes, que cite avec tant de raison M. Laurentie, et dont les exemples ont été plus éloquents encore que les paroles, ont porté jusque dans les détails les plus élémentaires de l'enseignement cet art admirable de mêler la morale aux études. Quoi de plus ingénieux et de plus élevé que cette méthode, qui, sous la main de Bossuet, change une leçon de grammaire en une leçon de vertu : « Ne croyez pas, dit-il au dauphin, qu'on vous reprenne si sévèrement pendant vos études pour avoir simplement violé les règles de la grammaire en composant. Il est sans doute honteux à un prince, qui doit avoir de l'ordre en tout, de tomber en de telles fautes; mais nous regardons plus haut, quand nous sommes si fâchés, car nous ne blâmons pas tant la faute en elle-même que le défaut d'attention qui en est la cause. Ce défaut d'attention vous fait maintenant confondre l'ordre des paroles; mais si nous laissons vieillir et fortifier cette mauvaise habitude, quand vous viendrez à manier, non plus les paroles, mais les choses mêmes, vous en troublerez tout l'ordre. Vous parlez maintenant contre les lois de la grammaire, alors vous mépriserez les préceptes de la raison. Maintenant vous placez mal les paroles, alors vous placerez mal les choses; vous récompenserez au lieu de punir: vous punirez quand il faudra

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