QUESTIONS D'INSTRUCTION PUBLIQUE. LE PAGANISME DANS L'ÉDUCATION. I Dans le cours de l'étude que nous voudrions entreprendre sur les réformes à introduire dans l'enseignement public, une question se présente d'abord, celle de savoir s'il convient ou non de maintenir pour base de l'enseignement les auteurs classiques de l'antiquité; en un mot, la question du paganisme dans l'éducation, si bruyamment agitée aujourd'hui. Peut-être aurions-nous le droit de la regarder comme résolue, et de la passer sous silence, si nous ne considérions que la longue tradition de l'enseignement public, le témoignage des innombrables générations que la double antiquité a élevées à son école, et celui de toute l'Europe civilisée, qui suit encore ses leçons. Toutefois, la vivacité des attaques récentes contre le paganisme, l'importance de la polémique qu'elles ont soulevée, et qui a partagé entre les deux opinions contraires les adhésions de l'épiscopat 547887 2 français; la part qu'y ont prise des hommes politiques con- QUESTIONS D'INSTRUCTION PUBLIQUE. Il y a trente ans, quand on signalait dans la société quel- Cette thèse radicale et hardie est soutenue pour la première fois complétement par un ecclésiastique du diocèse de Nevers, M. l'abbé Gaume, dans un livre qui porte ce titre un peu déclamatoire: Le Ver rongeur des sociétés modernes, ou le Paganisme dans l'éducation. Il y prétend démontrer, chapitre par chapitre, que le paganisme classique a corrompu la littérature, l'art et la science, affaibli la reli gion, perverti la philosophie, détruit le respect dans la famille et l'esprit de soumission dans la société; que la Renaissance, d'où, selon lui, date l'avénement de l'enseignement païen, a été la plus déplorable déviation de l'esprit humain et le plus terrible fléau de Dieu qui se soit appesanti sur le monde; enfin, que, sans un prompt remède, la société est perdue. Le remède unique, c'est la substitution du christianisme au paganisme dans l'enseignement; en d'autres termes, la déchéance des auteurs profanes et l'avénement des livres saints et des Pères de l'Église. A ce réquisitoire fougueux contre le paganisme, à cette conclusion de déchéance, quelques prélats ont adhéré; M. Donoso-Cortès et M. de Montalembert ont battu des mains. Il y a là deux questions bien distinctes: une question d'histoire la Renaissance a-t-elle été un bien ou un mal? Nous regrettons vivement que lorsque M. de Montalembert l'a tranchée avec tant de résolution devant l'Académie, et que, le 6 février 1852, en plein xixe siècle, il a déclaré que la Renaissance fut, avec la réforme, le fléau du monde moderne, l'homme le plus autorisé pour traiter cette grande question, l'historien de la civilisation en Europe, n'ait voulu lui répondre que par le silence. Cette question, nous la laissons de côté; elle est trop au-dessus de la sphère de cette étude. Mais il en est une autre, la question d'enseignement, celle de pratique, en un mot, celle de savoir si les auteurs classiques de l'antiquité doivent faire place aux auteurs chrétiens, et c'est celle que nous voulons résoudre. Une observation préjudicielle s'adresse à l'auteur du Ver rongeur. Si le mal qu'il dénonce est réel, si le paganisme dans l'éducation conduit le monde moderne à l'abîme, il est étrange que tant d'hommes de génie, qui ont eu à cœur le salut du monde et la grandeur de la religion, n'aient pas été plus vigilants, et qu'après tant d'années |