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Celui de Paris rapporte, pour condamner l'usure, sans distinction de clercs et de laïques, tous les textes du Pentateuque, des Psaumes, et d'Ezechiel (1).

Voilà certainement plus d'autorités qu'il ne faut pour démontrer que, dès les temps les plus anciens de l'Eglise, on jugeoit l'usure condamnée par la loi divine. Les Conciles qui à la suite de ceux-là déclarent l'usure réprouvée par la Sainte-Ecriture, par l'un et l'autre Testament, et qui, comme on peut le voir, sont presque tous ceux des temps plus modernes, n'ont fait que suivre la tradition des Conciles qui les avoient précédés : et d'après ce même motif, dans la même doctrine, tous ont condamné l'usure de la même manière, dans les laïques comme dans les ecclésiastiques.

usure,

XVII. Il ne s'agit pas ici de savoir quelle et quelles personnes l'Ecriture frappe de ses condamnations. J'ai examiné ce point dans la seconde dissertation. Ce qu'il s'agit d'examiner ici, est à qui les Conciles des premiers temps appliquent les condamnations portées dans les livres saints. S'ils disent que l'Ecriture réprouve l'usure dans les ecclésiastiques, ou si, d'après quelques passages des livres sacrés, ils interdisent l'usure seulement aux ecclésiastiques, on ne peut pas dire qu'ils fassent usage

(1) V. ci-dessus chap. 1.r. n.o 26.

de la loi divine, pour défendre l'usure aux laïques. Les canons n'ont pas plus d'étendue que les expressions dans lesquelles ils sont concus. On a beau dire que les lois divines sur l'usure sont les mêmes pour toutes les classes. Ce n'est pas ainsi que les entendent les Conciles: ce n'est pas là l'usage qu'ils en font. Pourquoi donc citent-ils ces lois, s'ils ne les appliquent pas dans toute leur généralité ? C'est ce qu'il s'agit d'expliquer.

En discutant dans le chapitre premier de la la seconde dissertation les passages de l'ancien Testament relatifs à l'usure, j'ai fait voir que ceux du Pentateuque sont des lois civiles, faites pour régler l'économie sociale du peuple juif; et ne sont point par elles-mêmes obligatoires pour les Chrétiens. J'ai dit par elles-mêmes : car la partie de ces lois qui tient à la morale naturelle, c'est-à-dire l'interdiction de l'usure oppressive, est un point essentiel de la morale: chrétienne. Mais ce n'est pas parce que Moyse avoit fait de la prohibition de l'usure envers les frères une loi de sa république, que l'usure quelconque peut être défendue à des Chrétiens: c'est parce que l'humanité inspirée par la nature, et la charité prescrite par le christianisme, obligent tous les hommes entre eux; et que l'usure oppressive est contraire à ces deux vertus essentielles. J'ai montré que les Prophètes n'avoient ni voulu étendre la loi, ou l'expliquer.

ni pu,

Si donc on voit quelquefois dans les saints Pères, et dans les Conciles de leur temps, les passages de l'ancienne loi employés pour proscrire l'usure, on ne peut pas en conclure que ces passages renferment des préceptes donnés aux Chrétiens. Dans ces lois de l'ancien Testament qui régloient l'ordre civil ou cérémoniel, et qui ont en même temps trait à l'ordre moral, les Pères et leurs Conciles ne s'occupoient pas de la distinction, peu nécessaire à leur objet, entre ce qui appartient positivement à l'un, et ce qui peut être appliqué à l'autre. Ils se servoient des textes de l'ancien Testament comme d'exemples, comme d'exhortations. Ils appeloient la loi politique émanée de Dieu à l'appui de son précepte moral. Ainsi nous voyons assez souvent des passages de l'ancienne loi sur la vocation de la tribu de Lévi appliqués, et cela même d'après saint Paul, à la nécessité de la vocation pour l'état ecclésiastique. Nous voyons les préceptes des jeûnes judaïques, et ceux sur l'ordre et la pompe des fêtes, employés pour montrer la sévérité avec laquelle on doit pratiquer les uns, la piété avec laquelle on doit sanctifier les autres dans le christianisme. De ces citations, auxquelles nous pourrions ajouter d'autres exemples, il ne s'ensuit nullement que les lois judaïques sur ces objets soient obligatoires dans la loi de JésusChrist. Il en est de même des lois civiles des Juifs sur l'usure. De ce que nous les voyons citées

dans les Conciles, nous ne pouvons pas conclure qu'elles soient des commandemens pour les Chrétiens. D'après cette observation, tombe toute la partie de l'objection tirée des passages de l'ancienne loi et ce sont presque tous ceux qu'on nous oppose. Elle consiste à dire que la loi divine est obligatoire pour tous les hommes, sans distinction d'état ecclésiastique, ou séculier. Nous répondons que la loi civile des Juifs n'est obligatoire pour aucun homme, soit ecclésiastique, soit séculier; qu'elle n'est et ne peut être, dans les Conciles qui la rapportent, qu'une allusion, un exemple; mais qu'elle n'est pas, ainsi qu'on veut le faire entendre, le motif, le fondement de la condamnation de l'usure. Ce qui est obligatoire, ce sont les décrets mêmes des Conciles : mais les décrets ne sont portés que contre les ecclésiastiques, n'appliquent les citations de l'ancienne loi qu'aux ecclésiastiques. Ils ne peuvent donc pas être étendus par ces citations aux per

sonnes de l'état séculier.

Quant au nouveau Testament, il n'en est question que dans deux des Conciles objectés. L'un est celui de Châlons-sur-Saône, qui rapporte une exhortation donnée par saint Paul à son disciple Timothée de ne point se mêler d'affaires séculières. Elle n'a évidemment rapport qu'aux ecclésiastiques. Dira-t-on qu'il est défendu aux séculiers de s'occuper de leurs af faires? L'autre citation est des deux Conciles

de Carthage, et de celui d'Aix-la-Chapelle de 816, qui les copie. J'ai déjà examiné ce canon, et je vais incessamment le considérer sous ce nouveau point de vue.

Je reprends maintenant les divers textes qu'on nous oppose.

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XVIII. Le premier Concile d'Arles défend l'usure, juxta formam divinitùs datam; mais c'est aux seuls ministres de l'Eglise qu'il applique sa défense, et cette règle donnée de Dieu. L'expression qu'il emploie est vague, et peu claire. Elle peut faire allusion au XLIV. canon des Apôtres. Cette collection très-révérée passoit pour être l'ouvrage, sinon de ces saints fondateurs de la Religion, au moins de leurs disciples qui avoient recueilli l'enseignement reçu d'eux, et par eux de Jésus-Christ. Ces paroles peuvent aussi s'entendre de la loi de charité, et de la perfection à laquelle les ecclésiastiques doivent aspirer. Elles peuvent aussi être relatives à la défense faite par saint Paul aux ministres de l'autel d'être avides. Le mot, forma divinitùs data peut recevoir toutes ces significations; et son application aux seuls clercs montre que ce sont les seules raisonnables.

XIX. Le Concile de Nicée cite le psaume XIV: mais, d'après cette citation, il ne défend l'usure qu'aux ecclésiastiques. En considérant ce psaume, on peut voir la raison de l'application. David commence par demander qui est-ce qui habitera

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