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nière des mains laïques (1). Dans le système de nos adversaires, cette dernière clause est une évidente prévarication. Si toute usure est essentiellement infectée du vice d'injustice, elle ne peut être permise pour aucune raison. L'intérêt de conserver à l'Eglise ses biens ne peut pas être un titre qui l'autorise. Si au contraire, comme nous le pensons, le prêt intéressé n'est pas de sa nature et essentiellement criminel, s'il ne l'est que lorsqu'il viole la charité, il peut, malgré les considérations qui le feroient défendre généralement, être permis dans les cas où il ne feroit point de tort au prochain. Or ce n'est pas une vexation de rédimer l'Eglise d'une vexation. Répréhensible dans le système de nos adversaires, le canon de Tours est très-juste dans nos principes, et en devient par là une confirmation,

XXVIII. Nous voici arrivés au treizième siècle, temps où nous avons dit qu'on voit s'introduire dans les Conciles le principe qu'on est obligé de restituer les intérêts usuraires.

Le premier Concile qui en dise un mot est, en 1212, celui de Paris (2). Mais son canon n'est pas fort clair. On n'entend pas très-bien ni quel est le dommage causé aux Eglises, parce

(1) V. ci-dessus chap. 1.o, n.o 51. Alexandre III présida aussi ce Concile de Tours.

(2) V. ci-dessus chap. 1.er, n.° 56.

qu'on

qu'on a reçu à la sépulture, ou à la participation des sacremens, des usuriers publics; ni comment ce sont ces Eglises qui ont souffert, qui sont obligées à réparer le dommage, et à restituer les intérêts.

Le premier Concile qui prescrive clairement aux usuriers la restitution, est celui de ChâteauGontier en 1231. Il les prive de la communion jusqu'à ce qu'ils aient rendu ce qu'ils ont extorqué, et de la sépulture ecclésiastique s'ils meurent en cet état (1).

Depuis ce Concile jusqu'à l'an 1274, nous ne voyons la restitution ordonnée que dans les statuts particuliers des diocèses de Coventry en 1237, et de Meaux en 1245 (2).

En 1274, le second Concile de Lyon prescrivit absolument la restitution des intérêts usuraires (3) et, à la suite d'un Concile général, il a dû nécessairement arriver qu'un grand nombre, et de Conciles provinciaux, et de Synodes diocésains, aient rendu la même ordon

nance.

XXIX. A cette preuve tirée du silence des anciens Conciles sur la restitution des intérêts du prêt, on oppose une difficulté. Il n'étoit nullement nécessaire que les Conciles portassent

(1) V. ci-dessus chap. 1.o, n.o 60.

(2) V. ci-dessus chap. 1.er, n.o 63 et 67.
(3) V. ci-dessus chap. 1.o, n.o 76.

TOME III. 2.e Part.

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une telle loi. Elle est dictée, ou plutôt inspirée

la nature à tous les hommes. Il n'y a perpar sonne qui ne sache, qui ne sente l'obligation de rendre ce que l'on retient injustement à autrui. Les seules lumières de la raison suffisent pour la faire connoître une loi positive eût.. été superflue.

XXX. Je réponds en premier lieu, qu'il n'est pas vrai que le prêt à intérêt soit contraire à la loi naturelle. Je l'ai prouvé dans la première dissertation.

Je réponds en second lieu, que, de ce qu'une chose est condamnée par la loi naturelle, ce n'est pas un motif pour qu'elle ne le soit pas aussi par les lois positives. Il y a bien peu de violations de la loi naturelle qui ne soient interdites par les lois divines et humaines. Dira-t-on que l'adultère, le vol, l'homicide, que toutes ces lois réprouvent, ne sont pas des infractions de la loi que l'Auteur de la nature a gravée dans nos coeurs?

Je réponds en troisième lieu, qu'en rapprochant l'objection de l'état de la question, on en sent encore mieux la foiblesse. Il ne s'agit pas, entre nos adversaires et nous, seulement de l'usure oppressive; il s'agit de tout intérêt perçu en vertu de tout prêt. Il ne s'agit pas non plus de cette partie de la loi naturelle qui, pour être aperçue, exige de vives lumières et de profondes réflexions; il s'agit de ces premiers

principes tellement évidens qu'ils saisissent les esprits les moins éclairés. Quant aux conséquences de ces principes, qui ne peuvent être découvertes que par des raisonnemens compliqués, nos adversaires ne prétendront surement pas qu'il est inutile que la loi positive les fasse connoître et les corrobore de son autorité. Or

leur demande à eux-mêmes s'ils croient leurs principes sur tout intérêt du prêt tellement clairs et évidens, que les esprits les plus grossiers les aperçoivent distinctement. Je leur demande s'ils pensent que les argumens par lesquels ils prétendent prouver l'injustice essentielle de toute usure, la stérilité de l'argent, l'inséparabilité de son usage d'avec sa propriété, la contrariété de l'usure à la fin pour laquelle la monnoie a été établie, la translation de la propriété par le prêt; je leur demande s'ils pensent que tous ces raisonnemens soient à la portée du vulgaire, et des gens les moins instruits parmi le vulgaire. Je leur demande s'ils croient spécialement que ces hommes simples soient capables de reconnoître, par leur seule raison, la prétendue injustice du prêt d'accroissement, par lequel, non-seulement on ne fait aucun tort à l'emprunteur, mais on lui procure un profit. Nous avons vu au commencement de la première dissertation plusieurs Docteurs, qui ne sont pas suspects à nos adversaires, puisqu'ils condamnent comme eux notre contrat,

reconnoître que la raison seule ne peut pas en démontrer le vice (1). Quoi! ce que les plus éclairés des Docteurs sévères, les Nicole, les Arnaud, et d'autres, malgré leur prévention contre le prêt-de-commerce, n'y ont pas aperçu, devra être découvert clairement par les esprits les plus obtus, et l'être si clairement qu'il soit absolument inutile de leur en faire une loi positive!

ARTICLE TROISIÈME.

Troisième raison: Les Conciles n'ont pas blámé les autorisations données au prét intéressé, et les ont même approuvées.

XXXI. Nous avons rapporté une loi de Constantin, qui permettoit formellement l'intérêt du prêt fixé à douze pour cent pour l'argent; et, pour les fruits, à moitié en sus de leur quantité (2). Un mois après la publication de cette loi, se tint le Concile de Nicée. Cette célèbre et sainte assemblée fit sur l'usure un canon, dans lequel, comme nous l'avons observé, il fait une allusion manifeste à la loi du Prince, et cependant n'interdit l'usure qu'aux membres du Clergé. Certainement, si les respectables Pères qui composoient le Concile eussent cru toute usure essentiellement criminelle, et contraire

(1) V. première dissert., n.o 1.

(2) V. ci-dessus chap. 3, art. 1.er, n.o 5.

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