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evangelia facit. J'ai déjà répondu à cette diffi culté (1). Il est inutile d'y revenir.

On nous objecte aussi le second et le troisième Concile de Latran, disant de l'usure, l'un qu'elle est per Scripturam in veteri et novo Testamento abdicatam; l'autre que les usuriers ne font pas attention qualiter utriusque Testamenti pagina condemnentur (2).

Les deux Conciles de Latran sont du XII.e siècle : ainsi, quand il seroit prouvé qu'en parlant du nouveau Testament ils font allusion au texte de saint Luc, notre doctrine ne seroit pas contredite. Urbain III étoit contemporain du troisième Concile de Latran. Il fut fait Cardinal trois ans après, et élu Pape trois autres années ensuite. Mais les expressions employées par les deux Conciles, novum Testamentum.... utrumque Testamentum, sont générales et vagues. Elles ne spécifient aucun texte particulier on peut les entendre tout aussi bien des passages qui prescrivent la charité et qui proscrivent la cupidité, que de celui dont il s'agit. Tout ce qu'on peut imaginer à ce sujet de plus favorable au système de nos adversaires, c'est que dèslors il y avoit des opinions différentes sur le vrai sens du texte de saint Luc; et que les Conciles de Latran ont voulu employer l'expression

(1) V. ci-dessus chap. 3, art. 1.o, n.o 21. (2) V. ci-dessus chap. 1.er, n.° 50 et 52.

générale novum Testamentum, qui ne heurtoit aucun des deux sentimens, et qui étoit vrai dans l'un et dans l'autre.

LII. Les motifs tirés de la raison naturelle pour condamner l'usure, sont aussi absolument différens dans les Conciles des douze premiers siècles, et dans ceux des siècles suivans. Ceux des anciens, qui énoncent la raison du vice de l'usure, ne disent rien de la prétendue opposition à la justice : ils ne parlent, ainsi que les Pères de leur temps, que du principe de cupidité dont procède l'usure, et de l'oppression des misérables, qui ́en résulte. Au contraire, dans les canons, et dans les règlemens postérieurs, il est moins souvent question de ces motifs; et nous voyons se présenter plusieurs de ceux qu'allèguent nos Docteurs modernes, pour prouver l'injustice radicale de l'usure. Ces deux vérités se voient clairement à l'inspection des décrets de l'un et de l'autre temps.

LIII. En premier lieu, nous voyons plusieurs Conciles anciens reprocher à l'usure le vice de cupidité, et la condamner par ce motif. Le vi. Concile de Carthage, ceux d'Aix-la-Chapelle en 789, en 816, en 836, y sont précis (1). Celui de Pavie veut que les usuriers rachètent quod cupiditate deliquerunt (2). Le vi.e capitulaire

(1) V. ci-dessus chap. 1.o, n.o 10, 21, 25 et 27. (2) V. ci-dessus chap. 1.o, n.o 3o.

porte que les prêtres se préservent de toute avarice et cupidité, beaucoup d'entre eux faisant l'usure (1). Hincmar ordonne aux prêtres de s'abstenir de l'avarice et de l'usure, et d'en détourner les laïques (2). Le second Concile de Latran condamne la détestable, honteuse, et insatiable rapacité des usuriers (3).

Nous voyons aussi l'opposition à la charité présentée plusieurs fois comme le vice de l'usure. Le Concile de Paris, dans un canon trèslong, insiste constamment sur l'oppression des pauvres (4). Riculfe fait ce raisonnement : Si, selon le précepte du Seigneur, nous sommes tenus d'aimer même nos ennemis, et de leur faire part gratuitement des biens qu'il nous a accordés, par quelle raison pouvons-nous exiger de nos frères ce que nous ne leur avons pas prêté (5) ? Le Concile de Montpellier condamne les usuriers, en ce qu'ils n'ont la charité, ni de Dieu, ni du prochain (6).

En second lieu, dans les Conciles, et dans les autres monumens ecclésiastiques modernes, c'est-à-dire depuis le x.e siècle, nous voyons

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se produire, sur la condamnation de l'usure, des motifs inconnus aux siècles antérieurs, mais conformes au principe qui venoit d'être introduit dans les écoles, de l'injustice essentielle de l'usure.

LIV. D'abord nous trouvons dans plusieurs, soit canons de Conciles, soit statuts synodaux, l'usure traitée comme un genre de vol. Cette énonciation, conséquente au principe que l'usure est opposée à la justice, n'avoit pas eu et n'avoit pu avoir lieu dans les siècles où on ne la jugeoit criminelle que par la violation de la charité. Le premier Concile qui fasse de l'usure une sorte de larcin, est celui de Lambeth de 1281, lequel, expliquant le précepte, non furtum facies, met au nombre des choses qui y sont implicitement comprises, l'usurpation du bien d'autrui par l'usure. Les statuts synodaux de Beziers en 1342, et d'Yorck en 1442, parlant du même commandement, s'expriment sur l'usure de la même manière (1). Un Concile, dont le lieu est incertain, mais qu'on croit du XI.o, ou du XIIIe siècle, défend d'imposer pour pénitences, soit des fondations de messes soit des aumônes, à ceux qui sont coupables d'usure, de rapine, ou de fraude; assimilant ainsi, et mettant dans la même classe ces trois

(1) V. ci-dessus chap. 1.er, nos 81, 114 et 132.

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choses (1). Des statuts synodaux d'Autun et de Nantes au XIIIe siècle, et de Treguier au XIV., répètent la même disposition (2). Le Concile de Trèves de 1310 astreint l'usurier à la restitution, de même que le voleur, et le ravisseur, parmi lesquels on le compte (3).

LV. Voici un autre principe établi dans plusieurs des Conciles que je viens de citer, et alors nouveau. Le Concile de Lambeth, les statuts synodaux de Beziers, de Nantes et d'Yorck, appellent l'intérêt du prêt, res aliena. Cette expression est évidemment relative à la maxime, fortement soutenue par nos adversaires, que le prêt transfère la propriété du prêteur à l'emprunteur. Mais cette maxime est absolument étrangère à l'antiquité ecclésiastique. On ne voit dans aucun monument antérieur au XIIIe siècle, ni l'expression employée par ces Conciles, ni aucune autre qui présente la même idée. Au contraire, j'ai prouvé que plusieurs saints Pères étoient dans l'opinion que le prêteur reste toujours propriétaire de la chose prêtée ; et que le principe de la propriété de l'emprunteur n'avoit point passé sans contradiction dans les écoles; mais y avoit dans le commencement éprouvé des contradictions, et excité des disputes (4).

(1) V. ci-dessus chap. 1.er, n.o 100.

(2) V. ci-dessus chap. 1.er, no. 93, 97 et 128. (3) V. ci-dessus chap. 1.er, n.o 104.

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(4) V. 4. dissert., chap. 1.er, art. 2, §. 2, n.o 22.

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