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un composé d'énergies secrètes et vivantes, de forces inexplicables et primordiales, d'essences distinctes et indécomposables, affectées chacune, par la volonté du . Créateur, à la production d'un effet distinct. Peu s'en faut qu'il n'y voie des âmes douées de répugnances sourdes et de penchants occultes, qui aspirent ou résistent à certaines directions, à certaines mixtures et à certaines habitations. C'est pour cela encore que dans ses recherches il confond tout en un monceau, propriétés végétatives et médicinales, mécaniques et curatives, physiques et morales, sans considérer les plus complexes comme des dépendance des plus simples, au contraire, chacune d'elles en soi et prise à part comme un être irréductible et indépendant. Aheurtés à cette erreur, les penseurs de ce temps piétinent en place. Ils aperçoivent bien avec Bacon le grand champ des découvertes, mais ils n'y peuvent pénétrer. Il leur manque une idée, et, faute de cette idée, ils n'avancent pas. La forme d'esprit, qui tout à l'heure était un levier, maintenant est un obstacle; il faut qu'elle change pour que l'obstacle disparaisse. Car les idées, j'entends les grandes et les efficaces, ne naissent point à volonté et au hasard, par l'effort d'un individu ou par l'accident d'une rencontre. Comme les Jittératures et les religions, les méthodes et les philosophies sortent de l'esprit du siècle; et c'est l'esprit du siècle qui fait leur impuissance comme leur pou

1. Voyez là-dessus presque tous les écrits de Bacon, et notamment son Histoire naturelle.

LITT. ANGL.

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voir. Il y a tel état de l'intelligence publique qui exclut tel genre littéraire; et il y a tel état de l'intelligence publique qui exclut telle conception scientifique. Quand il en est ainsi, les écrivains et les penseurs ont beau se travailler, le genre avorte et la conception n'apparaît pas. En vain ils tournent alentour, essayant de soulever le poids qui les arrête; quelque chose de plus fort qu'eux énerve leurs mains et frustre leurs tentatives. Il faut que le pivot central de l'énorme roue par laquelle tournent toutes les affaires humaines se déplace d'un cran, et que par son mouvement tout soit mù. Le pivot tourne en ce moment, et voici qu'une révolution de la grande roue commence, apportant une nouvelle conception de la nature, et par suite la portion de méthode qui manquait. Aux divinateurs, aux créateurs, aux esprits compréhensifs et passionnés qui saisissaient les objets en blocs et par masses, ont succédé les discoureurs, les méthodiques, es ordonnateurs de raisonnements gradués et clairs qui, disposant les idées par séries continues, conduisent insensiblement l'auditeur de la plus simple à la plus composée par des passages aisés et unis. Descartes a remplacé Bacon; l'âge classique vient d'effacer la Renaissance; la poésie et la grande imagination se retirent devant la rhétorique, l'éloquence et l'analyse. Dans cette transformation de l'esprit, les idées se transforment. Tout se dessèche et se simplifie. L'univers, comme le reste, se réduit à deux ou trois notions, et la conception de la nature, qui était poétique, devient mécanique. Au lieu d'âmes, de forces vivantes, de ré

pugnances et d'appétits, on y voit des poulies, des leviers et des chocs. Le monde, qui paraissait un amas de puissances instinctives, ne semble plus qu'une machine de rouages engrenés. Au fond de cette supposition hasardeuse gît une grande vérité certaine : c'est qu'il y a une échelle de faits, les uns au sommet, trèscompliqués, les autres au bas, très-simples, ceux d'en haut ayant leur cause dans ceux d'en bas; en sorte que les inférieurs expliquent les supérieurs, et que c'est dans les lois du mouvement qu'il faut chercher les premières lois des choses. On les cherche, Galilée les trouve; désormais l'œuvre de la Renaissance, dépassant le point extrême où Bacon l'a poussée et laissée, peut s'étendre seule, et va s'étendre à l'infini.

FIN DU PREMIER VOLUME.

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