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tout à l'heure, mais quelqu'un de ces larges développements qui embrassent un ou plusieurs siècles, comme le moyen âge ou notre dernière époque classique, la conclusion sera pareille. Une certaine conception dominatrice y a régné; les hommes, pendant deux cents ans, cinq cents ans, se sont représenté un certain modèle idéal de l'homme, au moyen âge, le chevalier et le moine, dans notre âge classique, l'homme de cour et le beau parleur; cette idée créatrice et universelle s'est manifestée dans tout le champ de l'action et de la pensée, et, après avoir couvert le monde de ses œuvres involontairement systématiques, elle s'est alanguie, puis elle est morte, et voici qu'une nouvelle idée se lève, destinée à une domination égale et à des créations aussi multipliées. Posez ici que la seconde dépend en partie de la première, et que c'est la première qui, combinant son effet avec ceux du génie national et des circonstances enveloppantes, va imposer aux choses naissantes leur tour et leur direction. C'est d'après cette loi que se forment les grands courants historiques, j'entends par là les longs règnes d'une forme d'esprit ou d'une idée maîtresse, comme cette période de créations spontanées qu'on appelle la Renaissance, ou cette période de classifications oratoires qu'on appelle l'âge classique, ou cette série de synthèses mystiques qu'on appelle l'époque alexandrine et chrétienne, ou cette série de floraisons mythologiques, qui se rencontre aux origines de la Ger

Comment manie, de l'Inde et de la Grèce. Il n'y a ici comme

l'histoire est

un problème partout qu'un problème de mécanique : l'effet total

de mécani

que psycho- est un composé déterminé tout entier par la grandeur logique. Dans

tes on peut

quelles limi- et la direction des forces qui le produisent. La seule prévoir. différence qui sépare ces problèmes moraux des problèmes physiques, c'est que les directions et les grandeurs ne se laissent pas évaluer ni préciser dans les premiers comme dans les seconds. Si un besoin, une faculté est une quantité capable de degrés ainsi qu'une pression ou un poids, cette quantité n'est pas mesurable comme celle d'une pression ou d'un poids. Nous ne pouvons la fixer dans une formule exacte ou approximative; nous ne pouvons avoir et donner, à propos d'elle, qu'une impression littéraire; nous sommes réduits à noter et citer les faits saillants par lesquels elle se manifeste, et qui indiquent, à peu près, grossièrement, vers quelle hauteur de l'échelle il faut la ranger. Mais quoique les moyens de notation ne soient pas les mêmes dans les sciences morales que dans les sciences physiques, néanmoins, comme dans les deux la matière est la même, et se compose également de forces, de directions et de grandeurs, on peut dire que dans les unes et dans les autres l'effet final se produit d'après la même règle. Il est grand ou petit selon que les forces fondamentales sont grandes ou petites, et tirent plus ou moins exactement dans le même sens, selon que les effets distincts de la race, du milieu et du moment se combinent pour s'ajouter l'un à l'autre

ou pour s'annuler l'un par l'autre. C'est ainsi que s'expliquent les longues impuissances et les éclatantes réussites qui apparaissent irrégulièrement et sans raison apparente dans la vie d'un peuple; elles ont pour causes des concordances ou des contrariétés intérieures. Il y eut une de ces concordances lorsque, au dix-septième siècle, le caractère sociable et l'esprit de conversation innés en France rencontrèrent les habitudes de salon et le moment de l'analyse oratoire, lorsqu'au dix-neuvième siècle, le flexible et profond génie d'Allemagne rencontra l'âge des synthèses philosophiques et de la critique cosmopolite. Il y eut une de ces contrariétés, lorsqu'au dix-septième siècle, le rude et solitaire génie anglais essaya maladroitement de s'approprier l'urbanité nouvelle, lorsqu'au seizième siècle le lucide et prosaïque esprit français essaya inutilement d'enfanter une poésie vivante. C'est cette concordance secrète des forces créatrices qui a produit la politesse achevée et la noble littérature régulière sous Louis XIV et Bossuet, la métaphysique grandiose et la large sympathie critique sous Hegel et Goethe. C'est cette contrariété secrète des forces créatrices qui a produit la littérature incomplète, la comédiè scandaleuse, le théâtre avorté sous Dryden et Wycherley, les mauvaises importations grecques, les tâtonnements, les fabrications, les petites beautés partielles sous Ronsard et la Pléiade. Nous pouvons affirmer avec certitude que les créations inconnues vers lesquelles le

LITT. ANGL.

I-C

courant des siècles nous entraîne, seront suscitées et réglées tout entières par les trois forces primordiales; que si ces forces pouvaient être mesurées et chiffrées, on en déduirait comme d'une formule les propriétés de la civilisation future, et que si, malgré la grossièreté visible de nos notations et l'inexactitude foncière de nos mesures, nous voulons aujourd'hui nous former quelque idée de nos destinées générales, c'est sur l'examen de ces forces qu'il faut fonder nos prévisions. Car nous parcourons en les énumérant le cercle complet des puissances agissantes, et lorsque nous avons considéré la race, le milieu, le moment, c'est-à-dire le ressort du dedans, la pression du dehors et l'impulsion déjà acquise, nous avons épuisé non-seulement toutes les causes réelles, mais encore toutes les causes possibles du mouvement.

Comment

se distri

buent les ef

fets d'une

cause primordiale.

Communauté

VI

Il reste à chercher de quelle façon ces causes appli

quées sur une nation ou sur un siècle y distribuent des éléments. leurs effets. Comme une source sortie d'un lieu élevé Composition des groupes. épanche ses nappes selon les hauteurs et d'étage en Loi des dé- étage jusqu'à ce qu'enfin elle soit arrivée à la plus

pendances

mutuelles. basse assise du sol, ainsi la disposition d'esprit ou

Loi des in

fluences pro- d'âme introduite dans un peuple par la race, le mo

portionnel

les.

ment ou le milieu se répand avec des proportions

différentes et par des descentes régulières sur les
divers ordres de faits qui composent sa civilisation'.
Si l'on dresse la carte géographique d'un pays, à partir
de l'endroit du partage des eaux, on voit au-dessous
du point commun les versants se diviser en cinq ou
six bassins principaux, puis chacun de ceux-ci en plu-
sieurs bassins secondaires, et ainsi de suite jusqu'à ce

que
la contrée tout entière avec ses milliers d'acci-
dents soit comprise dans les ramifications de ce réseau.
Pareillement, si l'on dresse la carte psychologique des
événements et des sentiments d'une civilisation hu-
maine, on trouve d'abord cinq ou six provinces bien
tranchées, la religion, l'art, la philosophie, l'état, la
famille, les industries; puis, dans chacune de ces pro-
vinces, des départements naturels, puis enfin dans
chacun de ces départements des territoires plus petits,
jusqu'à ce qu'on arrive à ces détails innombrables de
la vie que nous observons tous les jours en nous et
autour de nous. Si maintenant l'on examine et si l'on
compare entre eux ces divers groupes de faits, on
trouvera d'abord qu'ils sont composés de parties, et
que tous ont des parties communes. Prenons d'abord
les trois principales œuvres de l'intelligence humaine,

1. Consulter, pour voir cette échelle d'effets coordonnés : Renan, Langues sémitiques, 1er chapitre. Mommsen, Comparaison des civilisations grecque et romaine, 2 chapitre, 1er volume, 3o édition. Tocqueville, Conséquences de la démocratie en Amérique,

3 volume.

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