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y a plus de vingt ans, et, on comprendra aisément tout ce que cette idée a de séduisant, si l'on compte le nombre de notes que touche par heure un habile exécutant, et qui, dans certains morceaux, atteint peut-être douze à quinze mille.

MM. Young et Delcambre ont présenté, à l'exposition de 1844, une machine exécutée d'après ce système. Elle a été essayée dans plusieurs imprimeries, et elle a offert des difficultés insurmontables, qui ont forcé à l'abandonner.

M. Gobert a également tenté de construire, dans des conditions semblables, une machine qui a donné lieu à un rapport de M. Séguier.

Voici la description qu'en donne le savant académicien : << La machine, que l'inventeur appelle composeuse, est composée de trois parties. Le haut reçoit les réceptacles chargés de caractères, le milieu est occupé par un clavier, le composteur a sa place dans le bas. L'ouvrier compositeur s'asseoit devant la machine comme un organiste devant son orgue: il a le manuscrit devant les yeux; sous ses doigts est un clavier. Les touches en sont aussi nombreuses que les divers éléments typographiques nécessaires à la composition. La plus légère pression des doigts suffit pour faire ouvrir une soupape dont l'extrémité inférieure de chaque récipient est munie; à chaque mouvement du doigt, un caractère s'échappe, il tombe dans un canal qui le conduit précisément à la place qu'il doit occuper dans le composteur; successivement les caractères arrivent et prennent position. Pendant leur chute, ils ne sont pas abandonnés à eux-mêmes, ils sont soigneusement préservés contre toutes les chances de perdre la bonne position qu'ils ont en partant. Chaque caractère, quel que soit son poids, arrive à son rang; les plus lourds ne peuvent devancer les plus légers; ils conservent rigoureusement l'ordre dans

lequel ils ont été appelés. Les mots, les phrases se composent par le mouvement successif des doigts des deux mains, comme se jouerait un passage musical qui ne contiendrait pas de notes frappées ensemble.

<«< La machine déplace le composteur à mesure qu'il se remplit; c'est elle qui prendra encore le soin de la justification. » Les commissaires de l'Académie ajoutent que l'inventeur leur a donné l'assurance qu'il s'occupait d'exécuter la partie relative à cette dernière opération.

Jusqu'à présent, aucune de ces inventions n'a pu passer à l'état pratique. Nous croyons que le génie humain pourra vaincre un jour les premières difficultés, et que les machines à composer viendront se placer dans toutes les imprimeries à côté des machines à imprimer; mais nous doutons qu'elles puissent y produire de grandes économies. Pour une œuvre qui demande de la part de l'ouvrier une si grande somme d'intelligence, la composition à la main nous semble toujours devoir lutter sans désavantage contre la composition mécanique.

V. Quand la composition et la mise en pages sont terminées, on tire, comme nous l'avons dit, une première épreuve sur laquelle le correcteur indique, par des signes de convention, les fautes qui pourraient s'y trouver, afin qu'elles soient corrigées. Souvent même il est nécessaire de revoir successivement plusieurs épreuves pour vérifier si les corrections ont été bien exécutées, et si, en corrigeant les premières fautes, l'ouvrier n'en a pas fait de nouvelles.

Dans les imprimeries d'une certaine importance, il y a plusieurs correcteurs, qui sont chargés de lire les épreuves avant de les envoyer aux auteurs ou aux éditeurs, et de les relire après que ceux-ci ont fait leurs corrections et donné leur bon à tirer.

Les correcteurs qui font la première lecture sont appelés correcteurs en première. On appelle correcteurs en seconde ceux qui lisent les autres épreuves. Quelquefois un correcteur spécial voit les tierces, c'est-à-dire s'assure de l'exécution des corrections indiquées sur le bon à tirer. Dans quelques ateliers, c'est le prote qui se charge de ce dernier travail, et même, jusqu'à la fin du XVIIe siècle, les fonctions de prote se confondaient avec celles de correcteur, comme le témoigne l'article IMPRIMERIE de l'Encyclopédie, in-fol. (1765), article rédigé par Brulé, prote de Lebreton, imprimeur du roi.

Aujourd'hui, les travaux typographiques ont pris une telle extension que, dans la plupart des imprimeries, l'emploi de prote et celui de correcteur sont tout à fait distincts.

Les premiers typographes, qui étaient presque toujours des hommes instruits, corrigeaient eux-mêmes les épreuves : c'est ce que faisaient souvent Alde Manuce, Robert Estienne et beaucoup d'autres; et, de nos jours encore, les Didot, les Crapelet ont suivi cet exemple, autant que la gestion d'un établissement considérable pouvait le leur permettre.

Au reste, l'autorité s'est préoccupée, à diverses époques, des moyens d'assurer la correction des livres.

Avant même l'invention de l'imprimerie, l'Université exigeait, par ses règlements, que les manuscrits destinés à la vente lui fussent préalablement soumis, non-seulement pour les examiner sous le rapport de la doctrine, mais encore pour -vérifier l'exactitude et la pureté du texte. Elle faisait jurer aux libraires que les livres qu'ils vendaient et aux copistes que les livres qu'ils transcrivaient étaient corrects; elle punissait leurs infractions à cet égard et enjoignait même à chacun de les lui signaler.

Après la découverte de l'art typographique, la sollicitude

TOME II.

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THE UNIVERSITY OF MICHICAN LIBRARIES

du gouvernement dut se porter sur la correction des livres imprimés.

L'article 17 du règlement donné, en 1539, par François Ier, contenait la disposition suivante :

«Se les maistres imprimeurs des livres en latin ne sont << sçavans et suffisans pour corriger les livres qu'ils imprime<«<ront, seront tenuz avoir correcteurs suffisans, sur peine << d'amende arbitraire; et seront tenuz lesdicts correcteurs << bien et songneusement de corriger les livres, rendre leurs « corrections aux heures accoustumées d'ancienneté, et en << tout faire leur debvoir; autrement seront tenuz aux intérestz et dommages qui seroient encouruz par leur faulte << et coulpe. >>

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Cette disposition, reproduite dans l'édit de 1571, fut mitigée, sur la réclamation des intéressés, par la déclaration du 10 septembre 1572, portant sur ce même article 17: « Lesdits mais<<< tres bailleront les copies diligemment revues, correctes et « mises au net, au compositeur, afin que par le defaut de ce leur labeur ne soit retardé. » L'obligation de fournir des copies correctes et mises au net devait, en effet, faciliter et abréger la tâche des correcteurs; mais c'est une obligation à laquelle malheureusement les auteurs et les éditeurs ne se soumettent guère.

Le règlement de 1723, article 56, reproduit les dispositions du règlement de 1539, sauf une légère variante. Il porte que si, par la faute des correcteurs, il y avait nécessité de réimprimer les feuilles qui leur ont été données pour corriger, elles seraient réimprimées à leurs dépens.

Mais, comme l'a fait remarquer M. Crapelet, une telle mesure était plutôt faite pour dégoûter du métier que pour procurer aux imprimeurs des correcteurs capables. Aussi ne fut

elle pas appliquée. L'article 11 de l'arrêt du conseil du 10 avril 1725 la modifie de la manière suivante: «Seront tenus les << imprimeurs de donner une attention particulière à ce que « les éditions des livres qu'ils feront imprimer à l'avenir soient <<< absolument correctes, autant que faire se pourra. »

Pendant le premier âge de l'imprimerie, les savants qui exhumèrent de la poussière des bibliothèques les grands auteurs de l'antiquité ne se contentaient pas de collationner les différents manuscrits pour rétablir la pureté des textes et donner des éditions correctes; ils en surveillaient l'impression et ne dédaignaient pas de s'occuper de la révision typographique. Ainsi, Jean Andrea, évêque d'Aleria, revoyait la plupart des ouvrages imprimés chez Sweynheym et Pannartz, à Rome; Campano, évêque de Teramo, en faisait de même pour les éditions publiées par Ulric Han, aussi imprimeur à Rome. Erasme corrigea dans les imprimeries d'Alde Manuce, à Venise, d'Amerbach et de Froben, à Bâle, de Thierri Martens, à Louvain, plusieurs ouvrages dont il était éditeur ou auteur; mais il se défendit fortement d'avoir jamais travaillé chez ces imprimeurs, comme on le disait, à titre de correcteur. C'était une faiblesse de sa part; la chose, eût-elle été vraie, ne devait pas blesser son amour-propre; car d'illustres personnages, non moins érudits que lui, ont exercé ces fonctions ou, si l'on veut, ce métier.

Alde Manuce eut pour correcteurs deux savants Grecs, Marc Musurus, plus tard archevêque de Malvoisie, et Jean Lascaris, dont les aïeux avaient occupé le trône de l'empire d'Orient. Ces hommes, dit Henri Estienne (1), « portaient tant d'hon<< neur à l'art typographique qu'ils ne le jugeaient pas indigne

(1) Artis typographiæ Querimonia.

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