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cette campagne de bravades et d'indiscrétions irritantes? La question aurait été, dit-on, agitée tout dernièrement à Berlin, et il y aurait eu, à ce qu'il semble, des dissentimens dans le conseil. M. de Caprivi, qui se sent le plus atteint, le plus menacé par cette guerre de M. de Bismarck, et qui n'aurait eu qu'à se servir des armes forgées par son prédécesseur, n'aurait pas reculé devant des poursuites; l'empereur, soit par un mouvement d'orgueil, soit par un sentiment de prudence politique, aurait affecté le dédain et aurait hésité à laisser s'engager cette lutte corps à corps avec celui qui passe encore aux yeux de l'Allemagne pour le créateur de l'empire. On en serait resté là. Guillaume II aurait laissé M. de Caprivi se débrouiller avec M. de Bismarck, et pendant ce temps, il s'est tourné d'un autre côté. Après avoir visité récemment les côtes de Norvège, il est allé dans les eaux anglaises, sur les côtes de l'île de Wight, mais lui-même, cet empereur voyageur, qu'est-il allé faire sur les côtes d'Angleterre? S'est-il proposé simplement de faire une visite de famille à sa grand'mère la reine Victoria, à Osborne, et d'assister aux régates de Cowes? A-t-il eu quelque arrière-pensée en choisissant ce moment pour paraître en Angleterre? En d'autres termes, la visite du jeune empereur est-elle une fantaisie, une affaire d'un ordre tout privé ou un événement politique? Il n'est point certainement impossible que Guillaume II, en allant chercher à Cowes les plaisirs du sport nautique, ait voulu sonder l'opinion anglaise, peut-être voir les ministres d'hier ou les ministres de demain, lord Salisbury ou M. Gladstone. Il semble bien avoir désiré quelque entrevue; seulement les affaires de l'Angleterre ne se traitent pas ainsi, et tout dépend ici du résultat que vont avoir les élections, de ce qui va se passer dans le parlement.

Telle est la force des traditions et des usages dans la vie anglaise que, lorsque des élections sont terminées, on ne dispute plus avec les faits, et même avant la réunion du parlement on sait à quoi s'en tenir. On sait d'avance où est la majorité, quel ministère va sortir d'une situation nouvelle. Le reste n'est plus qu'un cérémonial connu pour régler la transition. Certes, la dernière lutte électorale a été vive en Angleterre, d'autant plus vive que, pendant ces trois semaines, la lutte a paru parfois incertaine. Jour par jour, heure par heure, on a calculé les chances des partis, évalué les progrès des uns ou des autres; on a suivi passionnément les péripéties de cette lutte, où les plus sérieux intérêts de l'empire britannique étaient engagés. Le jour où le dernier mot a été dit, on a pu se livrer encore à des commentaires, épiloguer sur des chiffres ou sur la composition de la majorité, soutenir pour les vaincus du scrutin une sorte de combat d'arrière-garde; on n'a plus méconnu sérieusement le caractère et les résultats généraux des élections. On n'a plus mis en doute la victoire des libéraux, et le parlement nouveau qui vient d'entrer à Westminster,

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le treizième parlement depuis l'avènement de la reine Victoria, ne se réunit, à vrai dire, que pour enregistrer le vote du pays, pour sanctionner le fait accompli. Comment tout cela va-t-il maintenant se passer ou se dénouer? C'est l'unique affaire de cette courte session ouverte l'autre jour par un discours, volontairement insignifiant, lu au nom de la reine. Le discours n'est rien, l'intérêt est dans la situation. Dès le premier moment, on a pu voir que, si lord Salisbury n'a pas prétendu s'obstiner aux affaires, comme on lui en attribuait la pensée, il a tenu à ne pas céder le pouvoir sans livrer un dernier combat, et on a pu saisir aussi la tactique des conservateurs. Il est clair que les conservateurs et leur chef, avant de se retirer, ont voulu bien constater que, s'ils avaient perdu la majorité dans l'ensemble des élections, ils la gardaient dans la vieille Angleterre, qu'ils se sont proposé d'embarrasser M. Gladstone en provoquant ses explications, que lord Salisbury, notamment, a tenu à prendre d'avance position contre le ministère libéral prêt à se former. C'est l'objet du double débat qui s'est ouvert aussitôt dans la chambre des communes et dans la chambre des pairs, où le marquis de Salisbury s'est efforcé d'engager, de compromettre même les lords pour sa cause, en prenant le rôle de défenseur de l'intégrité de l'empire britannique contre la politique gladstonienne. La majorité n'est pas moins la majorité, et le résultat, bien que retardé de quelques jours par la tactique des conservateurs, n'était pas moins inévitable.

Que sera maintenant, que promet à l'Angleterre le ministère nouveau porté au pouvoir dans les circonstances présentes? Certainement, M. Gladstone va tenter une entreprise aussi épineuse que délicate, et charge sa vieillesse d'une redoutable responsabilité. Le vieux tacticien a sans doute assez d'expérience et d'art pour éviter les pièges qu'on va lui tendre, pour combiner un programme réalisable et allier l'esprit pratique à la hardiesse dans les innovations qu'il médite. Seul de plus, par sa popularité et son autorité, il peut maintenir les élémens divers qui composent sa majorité. Il n'a pas moins à faire marcher ensemble l'émancipation irlandaise, le « home-rule, » et les larges réformes démocratiques qui deviennent pour lui une nécessité. C'est le résumé de sa politique intérieure. Quant à sa politique extérieure, si elle ne diffère pas sensiblement dans le fond de la politique du ministère conservateur, elle semble du moins devoir être plus adoucie, plus réservée, plus conciliante. Au dire d'un journal libéral anglais, elle se proposerait toujours le même objet, la paix européenne, mais en témoignant plus de confiance et de cordialité à la France. De toute façon, M. Gladstone aura certes couronné sa vieillesse d'un dernier lustre, le lustre des hardiesses généreuses.

CH. DE MAZADE.

LE MOUVEMENT FINANCIER DE LA QUINZAINE,

La reprise de plus d'une unité sur la rente française, après les allégemens de portefeuilles du mois dernier, a été le fait caractéristique de la première semaine d'août sur le marché financier. Le mouvement a été très brusque; la spéculation qui l'a entrepris n'a rencontré aucun obstacle et a même été aidée par les rachats d'un nouveau découvert formé depuis l'inscription de la rente au pair en juin dernier. Les offres constantes de l'épargne en juillet avaient fait redouter des livraisons de titres d'une certaine importance en liquidation; il fallait en outre compter avec l'action d'un facteur inconnu, la quantité de rentes nouvelles que pouvait laisser flottante la libération complète de l'emprunt 1891 et son assimilation' avec l'ancien fonds. Il a paru que le fonds nouveau était bien classé, et que les achats, même réduits, de la Caisse des dépôts et consignations pour les caisses d'épargne suffisaient pour l'absorption des titres livrés par le portefeuille. C'est du moins l'indication que l'on peut tirer de la modicité des taux de report à la dernière liquidation, à supposer que de grosses quantités de rente n'aient pas été reportées hors Bourse à des conditions que le public n'aurait pas été admis à connaître. Le report à bon marché a causé la reprise immédiate. Le 3 pour 100 a été porté de 98.40 à 99.50, l'amortissable de 98.95 à 99.65, le 4 1/2 de 105.35 à 105.60.

On a continué de disserter, sans aucune donnée sérieuse, sur les conditions auxquelles pourrait être tentée immédiatement, à titre facultatif, la conversion qui ne peut être imposée aux porteurs de 4 1/2 pour 100 qu'au milieu de l'année prochaine. Il est à supposer que la haute banque s'attend en général à une conversion équitable et même, à certains égards, avantageuse pour les acheteurs, puisque de grands établissemens de crédit, le Crédit foncier l'année dernière, la Société générale récemment, ont acquis, dans cette prévision, des quantités importantes de rente 4 1/2.

Les conversions ont été à peu près le seul élément d'activité financière en juillet. Celle du Crédit foncier a parfaitement réussi, comme le gouverneur de cet établissement en a informé ses actionnaires par une circulaire où se trouvent exposées et justifiées les mesures prises pour prévenir une crise éventuelle. La crise pouvait naître d'un vote ultérieur de la chambre confirmant l'extension de l'emploi des fonds des caisses d'épargne aux prêts communaux; le

péril est maintenant conjuré, et les actionnaires peuvent se rassurer sur l'avenir de leur société. L'action s'est en effet très vivement relevée de 1,062.50 à 1,107.50.

La Banque de Paris, qui sommeillait depuis quelque temps, s'est aussi réveillée depuis le commencement d'août. Il a suffi de quelques achats pour la porter de 637.50 à 655. Cette banque est engagée en ce moment en des négociations avec le gouvernement espagnol pour une avance de 50 millions à consentir contre remise de bons de trésor ou de pagarès. Selon que les pourparlers semblent aboutir à une solution ou subir quelque retard, les cours de la rente Extérieure montent ou baissent. Ce fonds a été compensé à 63, il a dépassé ensuite 64 1/8 malgré la fermeté du change et a été ramené à 63 1/2. L'affermage des douanes de Cuba est une mesure décidée, et les conditions en ont été officiellement publiées il y a quelques jours. Le revenu actuel ne dépasse pas, paraît-il, 60 millions de pesetas; mais les abus dans cette administration sont légendaires. Si le gouvernement pouvait les réformer, il doublerait ses recettes; toutes sortes de raisons l'obligent à respecter les usages établis; il espère qu'une ferme sera plus heureuse ou plus impunément énergique, et la première condition imposée au fermier futur est de s'engager à verser à l'État chaque année un minimum de 75 millions de pesetas.

En Angleterre, la liquidation a été facile, avec la même abondance d'argent que précédemment, et des cours en reprise sur les fonds internationaux. La grande préoccupation sur cette place est la dépréciation croissante du métal argent. Tout ce qu'ont tenté les États-Unis pour relever les prix, ancienne loi Bland et législation de 1890, a échoué. Ils ont fait entrer dans le total de leur circulation monétaire, en moins de quinze années, une masse de monnaies d'argent ou plutôt de papier représentant de la monnaie d'argent, pour une somme de deux milliards et demi de francs, et l'argent a moins de valeur marchande qu'il n'en a jamais eu. Dans l'Inde, ce phénomène économique provoque une agitation et des inquiétudes générales; on craint que la roupie, dont la valeur nominale est de deux shillings, ne tombe bientôt au taux de 1 shilling. Une association (Currency Association) s'est constituée pour demander une suspension immédiate et complète du monnayage de l'argent dans l'Hindoustan. Si une telle mesure était prise à la fois dans l'Inde et aux États-Unis, l'argent tomberait bientôt de 38 à 30 ou même à 25 pence. On ne voit pas trop quel remède à cette situation pourrait découvrir la prochaine conférence monétaire internationale, dont la réunion a été provoquée par les États-Unis.

Les fonds russes ont repris en même temps et à peu près aussi vivement que la rente française. Le ministère des finances a publié récemment le tableau des recettes et des dépenses pour les quatre premiers

mois de 1892. Les dépenses se sont élevées, pendant cette période, à 418 millions de roubles, soit un montant supérieur de 105 millions à celui de la période correspondante de 1891. La plus grande partie de cette augmentation se rattache aux nécessités d'approvisionnement de la population et à l'organisation de travaux publics dans les provinces éprouvées par la disette du dernier hiver. C'est là un effort dont on ne peut qu'admirer la puissance et dont le crédit de la Russie devait être justement rehaussé. Toutefois, cette période de 1891-1892 a légué à l'empire de lourdes charges budgétaires, et le taux actuel de capitalisation des fonds russes doit paraître suffisant. Le rouble s'est tenu entre 255 et 257, l'emprunt d'Orient a gagné une unité à 68, le consolidé 4 pour 100, 0 fr. 75 à 96, le 3 pour 100 1891, 0 fr. 35, à 78.60.

La rente italienne est en reprise de 90.70 à 91.10, malgré la hausse du change à 104. Le gouvernement du roi Humbert se préoccupe à juste titre de cet agio de l'or, qui est un obstacle à tout relèvement sérieux et durable du 4.34 d'Italie. Des conférences ont eu lieu à ce sujet entre le ministre du trésor et les chefs des grandes banques d'Italie; aucune décision n'en est encore sortie. Les acheteurs en spéculation se contentent d'escompter l'effet que pourrait produire sur les cours la présence de l'escadre française à Gênes dans les premiers jours du mois prochain.

La rente portugaise est délaissée à 23 1/2. A la fin du mois dernier, on avait tenté d'effrayer les vendeurs par la menace d'un déport élevé; cette menace s'est évanouie au moment de la liquidation, et la hausse qui s'était timidement dessinée a été enrayée.

Le Suez est en pleine reprise malgré la diminution des recettes. Le produit total du 1er janvier à fin juillet est de 47 millions contre 52 millions pour la même période de l'an dernier. Un dividende de 100 francs pour 1892 ne saurait plus être prévu, car la moins-value des recettes atteindra au moins 6 millions pour toute l'année.

Les Omnibus ont fléchi, actions de capital et de jouissance, sur le réveil des dissentimens entre la compagnie et son personnel.

Les actions des Chemins français restent très solidement tenues, notamment le Nord à 1,882.50 et le Lyon à 1,528.75.

Les Chemins autrichiens se sont négociés depuis le commencement du mois à 655; le conseil de la compagnie a décidé de rejeter sur les obligations le poids de l'impôt sur le revenu; la question sera résolue judiciairement. Les Chemins espagnols sont restés sans variations sensibles de cours. Certaines valeurs industrielles au comptant ont été de nouveau très recherchées par l'épargne.

Le directeur-gérant: CH. BULOZ.

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