Avec les personnages que je viens de passer en revue, l'auteur a composé quatre actes. assez embrouillés, mais dans lesquels on retrouve des traits de vigueur qui rappellent à longs intervalles l'auteur d'Agamemnon. Tel est, entre autres, le morceau où Mérovée apprend avec autant d'indignation que de 5 surprise la trahison de Brunehaut; il n'ose en croire ses oreilles, ni ses yeux; ce n'est pas Brunehaut, c'est sans doute Frédégonde qui lui parle. Cette illusion se renforce par degrés; il retrouve sur le visage d'une femme qu'il adorait il n'y a qu'un instant, l'œil faux, le souris perfide, l'accent féroce de son 10 abominable rivale: "Frédégonde, va-t'en." Telle est encore la réponse du même Mérovée à son père, qui lui propose de partir avec Brunehaut, mais sous la condition de lui remettre le jeune enfant qu'elle a eu de Sigebert. Je citerai encore une tirade tout entière du rôle de Prétextat; mais, après cet hom- 15 mage rendu à la vérité, je me hâte d'arriver au cinquième acte, qui vaut beaucoup mieux à lui tout seul que les quatre premiers, et qui seul aussi a assuré le succès de la tragédie. Frédégonde, débarrassée de la présence de Brunehaut, veut achever son ouvrage en faisant périr Mérovée. Elle charge un 20 de ses confidents d'aller lui offrir, de la part de Chilpéric, le choix d'un monastère ou du poison; Mérovée préfère la mort à la honte, et vide la coupe fatale: on vient annoncer à Frédégonde que Mérovée n'existe plus; il faut apprendre à l'imbécile Chilpéric la sinistre nouvelle; c'est Frédégonde elle-même qui 25 se charge de ce soin. À mesure qu'elle avance dans son récit, le roi, qui pressent la vérité, la regarde en frémissant, et ne lui adresse que cette interpellation terrible: "Frédégonde!" Trois fois ce nom est répété par Chilpéric d'une voix que le progrès de la conviction rend de plus en plus effrayante, et trois fois 30 ce nom exécrable est l'accusation de celle qui le porte. Cependant Mérovée a conservé un reste de vie, on le ramène expirant à son père; quel coup de foudre pour Frédégonde ! Chilpéric interroge son malheureux fils; sa langue, déjà glacée par les approches de la mort, refuse de répondre; "Qu'il tarde à s'expliquer!” s'écrie Chilpéric au désespoir. 35 "Qu'il est lent à mourir!" reprend Frédégonde, dont la crainte impatiente compte tous les instants. Mérovée fait un dernier effort, et révèle l'odieux mystère. Frédégonde, qui n'a plus de ménagements à garder, 5 se fait gloire de son crime, se félicite d'avoir débarrassé Chilpéric d'un fils qui conspirait contre lui. Prétextat use encore une fois de la liberté de son ministère pour accabler Frédégonde de reproches. "Prétextat, respectez votre maître et la reine." JO C'est le dernier coup de pinceau qui achève le caractère de Chilpéric; on voit qu'il est déjà retombé sous le joug d'une femme altière qu'il redoute. L'histoire a dit combien cette méprisable faiblesse lui fut profitable; il périt quelque temps après, assassiné par Frédégonde, et Prétextat expia à son tour, 15 de la même manière, les torts de sa conduite franche et courageuse. C. FRÉDÉGONDE ET BRUNEHAUT, TRAGÉDIE EN CINQ ACTES. Représentée pour la première fois sur le second Théâtre Français, le 27 mars 1821. (La scène se passe à Rouen, capitale de la Neustrie.) ACTE I. (Il fait nuit, et des torches précèdent les personnages.) MÉROVÉE, BRUNEHAUT, GAILÈNE, GOMBAUD, Gardes, Mer. Vestibules profonds, parvis silencieux, Accueille, temple auguste, où veille le Très-Haut, Témoin de leurs serments, ton enceinte sacrée Ils n'ont plus de rempart que l'abri de l'autel Refuge inviolable aux fureurs de la guerre, Défends encor nos nœuds, que vient rompre mon père. Que nous sert le secours d'une vaine innocence, J'y crois voir, aux accents d'une marâtre altière, 5 ΙΟ 15 20 25 30 Mais, ô Dieu! quand mon père, embrassant sa querelle, M'oppose sa présence, et me traite en rebelle; Quand lui-même, accouru sous Rouen investi, De son pouvoir suprême accable mon parti; Que puis-je ? De mon camp, que son sceptre intimide, 35 M'élancerai-je armé d'un glaive parricide? Quels chevaliers suivraient un fils dénaturé, Qui du sang paternel marcherait altéré? Si le roi l'emportait, quel sort serait le nôtre? 40 +5 50 55 N'exposez point au sort d'un combat téméraire Ce que vous peut gagner un traité salutaire. 60 Bru. Eh bien! noble Gombaud, vous de qui le retour M'apporte les serments des princes de ma cour, Dites si l'Austrasie eût pensé que la haine Ouvre son sanctuaire à votre adversité 65 70 |