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souvent ou écrivit avec désespoir : « C'est ma faute, ma très grande faute !... Il vaudrait mieux ne pas avoir chassé Satan que de le ramener en plus grande force... Quittons cette Sodome (il parlait de Wittenberg); j'aime mieux courir de place en place et mendier mon pain que de souffrir les abominations qui se commettent... Je ne puis plus longtemps imposer silence à l'indignation de mon cœur. » Et ailleurs, plus douloureusement : « Je ne puis plus prier sans maudire. >>

Alors il se sentit las de vivre et poussa même, avec cette incorrigible sincérité qui ne pouvait se contenir, des cris de pessimiste: « Je suis au bout de la route, me voilà rassasié de la vie, je ne sais rien in tota vita à quoi je prenne plaisir! Que Notre-Seigneur arrive vite et m'emmène!... La prière fut exaucée; le Seigneur hâta le pas et vint le prendre avant le temps, le 18 février 1546 Luther n'avait encore que soixante-deux ans. A la dernière heure on lui demanda s'il voulait mourir en Christ et dans la doctrine qu'il avait prêchée jusqu'au bout. Oui, répondit-il, ce fut son mot suprême : oui!

III.

Dans une de ces crises d'humeur noire, Luther avait écrit Pauvres que nous sommes ! nous ne gagnons notre pain que par nos péchés. Jusqu'à sept ans, nous ne faisons rien que de manger, boire, jouer et dormir. De là jusqu'à vingt et un ans, nous allons à l'école trois ou quatre heures par jour; nous suivons nos lubies, nous courons, Dieu sait où; nous allons boire. C'est alors seulement que nous commençons à travailler. Vers la cin

quantaine, nous sommes finis, nous redevenons enfants. Ajoutez que nous dormons la moitié de notre vie. Fi de nous! Sur notre vie, nous ne donnons même pas la dîme à Dieu, et nous croirions, avec nos bonnes œuvres, avoir mérité le ciel! Qu'ai-je donc fait, moi? deux heures de babil, trois heures de manger, le reste du temps je suis resté sans rien faire. Ah! Domine, ne intres in judicium cum servo huo!>

Celai qui écrivit cela fut un travailleur effréné: professeur. predicateur, écrivain inépuisable et infatigable. Le plus important de ses ouvages fut la traduction de la B. Travail de geant où Luther fit à lui seul ce qu'avalent fait pour l'italien Dante, Pétrarque et Boccace, Secres pas sa langue, il l'eleva de l'enfance jusqu'à a pleine macurice.

Az moyen Age, les dialectes en vogue étaient ceux du

. Ravere et de Socabe; dans cette province ranie Francatentes Messiner, les chevaliers trouPads La Reforme. -occi est important à noter, apena e ce à mend. Le haut saxon, dialecte is concours &a compris partout; Luther le son de la Bible, lui imposa

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voilà les docteurs qu'il faut consulter: c'est de lear boxche qu'il faut apprendre comment on parie, comments on interprète. Luther évitait donc le langage de la corr et celui de l'école : c'est dans la rue, au marche, parmi la plèbe que ce plébéien retrouva l'allemand.

Un jour, il avait à traduire cette phrase laine : er abundantia cordis os loquitur. Qu'est-ce que cela TOClait dire? Pour une femme du peuple, que pouvait bien signifier l'abondance du cœur? Il se socving alors qu'il avait entendu dire à de simples gens : « Quani a a le cœur plein, la bouche déborde (cess das Herz vol ist, dess gehet der Mund über). C'était done la le m juste; il l'écrivit dans son livre et fit bien.

<< Dans ma traduction, écrit-il, j'ai mis to ma zèle à parler un allemand pur et clair. Et is est souvent arrivé que nous avons passé quinze jours, troia, quatre semaines à chercher le sens d'un seul mot et a le demander à d'autres, sans toujours le trouver. Grand nous travaillions sur Job, Philippe (Melanchthon . A>rogallus et moi, nous restions parfois quatre jours en parvenant à peine à écrire trois lignes. Maintenant se l'œuvre est achevée, chacun peut la lire et la critiquer. L'oeil parcourt trois, quatre feuilles sans brancher the seule fois ; il ne se doute pas des blocs de pierre et des yeartiers de roche que nous avons écartés avec tant de senza et d'essoufflements pour faire un chemin commode or lon glisse aujourd'hui comme sur une planche rabotee. Ah! certes, il fait bon de labourer le champ, quand il est dija défriché; mais s'il faut abattre, extirper les arbres et lag touches, déblayer le terrain, nul ne s'en soucie 1..

(1) Ich hab mich es geflissen im Dolmetschen, dass ich rein mi

religion, il répondit : « Continue de croire et de prier comme tu as fait jusqu'ici et ne te laisse pas troubler par le choc des controverses. » Sans Luther, Dieu sait jusqu'où il se fût laissé ramener, Mais Luther le tenait entre ses mains, «< comme dans l'antre du cyclope. » Luther lui disait : « Je hais de tout mon cœur les soucis dont votre esprit est fatigué. Notre querelle est-elle mauvaise? Rétractons-nous. Si elle est bonne, pourquoi faisons-nous notre Dieu menteur, quand il nous dit d'avoir courage et d'être joyeux ?... Vous avez entrepris cette œuvre admirable de mettre le pape d'accord avec Luther. Mais le pape s'y refuse et Luther ne le veut pas... Si vous en venez à bout, je vous promets, moi, de réconcilier le Christ avec Bélial... Philippe Mélanchthon voudrait que Dieu se réglât sur ses propres idées afin de s'écrier après : « Voilà, c'est ainsi que les choses devaient marcher; je << n'aurais pas mieux fait. » Non, Philippe, laissons notre moi tranquille. Le moi qui gouverne les événements s'appelle « je serai qui je serai. » On ne voit pas bien ce qu'il est, mais ce sera lui... Dites à Philippe de ne pas se faire Dieu ce désir d'être Dieu qui nous fut implanté par Satan dans l'Éden ne nous a jamais porté bonheur. C'est lui qui chassa du paradis nos premiers parents et qui nous en bannira nous-mêmes... C'est lui qui nous ôte la paix. Ainsi parlait Luther à Mélanchthon, le disciple qu'il aimait et avec qui, joyeusement, il buvait de la bière et jouait aux quilles. « Philippe, disait-il, est plus fort que moi en grec, mais aux quilles, je lui en revaudrais. >>

Le maître fut plus dur avec Zwingle. C'est qu'ici nous le voyons aux prises, non pas avec un homme conciliant ou timide qui cherche des accommodements, mais avec

un esprit avancé, plus avancé que lui, qui touche aux dogmes et lui tient tête. Au fond il restait chez Luther quelque chose de l'ancien moine : il renonça difficilement à la messe et à la confession, garda des idées très strictes sur l'importance des sacrements, s'attacha de toute sa force à soutenir la présence réelle de Jésus-Christ dans le pain de la sainte Cène, ou, s'il faut adopter le langage théologique inconnu des apôtres, à la transsubstantiation qu'il commuait en « consubstantiation. » Zwingle, au contraire, ne voyait dans la communion qu'un symbole, une figure et une commémoration historique. De là des disputes publiques où le feu de la Réforme s'éparpilla en fusées d'érudition. Luther, cramponné au texte, répétait éperdument: « Ceci est mon corps!» Bien plus, il refusa le nom de frères aux réformés suisses et fit interdire leurs livres partout où sa forte voix commandait.

Cet Ulric Zwingle (1) (1484-1531) au temps de la diete de Worms était curé de Zurich. Avec lui nous allons en Suisse où la Réforme n'éclata pas comme ailleurs en insurrection, mais fut discutée gravement, adoptée à la majorité des voix, soutenue ensuite avec pertinacité comme une franchise municipale. Ulric, né dans une chaumière, étudia tant qu'il put, tout seul et dans les universités, devint bon latiniste et reçut du pape une pension de cinquante florins: il s'en servit pour acheter des livres. Il lut aussi les Grecs, mais n'enferma pas son esprit dans un poêle : il aimait à prendre l'air et alla comme aumônier sur les champs de bataille: on le vit à Marignan. Après deux ans de retraite à Einsiedeln, il eut spontanément des idées de réforme, ignorant encore ce

(1) PIERRE VAUCHER, Esquisses d'histoire suisse, 1883.

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