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répétée par l'apôtre Paul: « Le juste vivra de sa foi (1). » L'âme de Luther avait l'avidité de croire. « Je frappai chez Paul, anxieux de savoir ce que Paul voulait... Je commençais enfin à comprendre que la justice de Dieu est celle en vertu de qui le juste vit par don de Dieu, c'est-à-dire vit de foi. Ici je me sentis comme renaître et entrer au paradis à portes ouvertes. >>

Survint l'affaire des indulgences, parfaitement justifiable au point de vue des Romains: il s'agissait pour eux d'achever la basilique de Saint-Pierre et de tailler de la besogne à Raphaël. Mais les Allemands qui donnaient leur argent ne tenaient d'aucune sorte à peupler Rome de chefs-d'œuvre; quant à Luther, il voyait dans la vénalité du pouvoir ecclésiastique le contraire de la grande idée proclamée si haut par le prophète Habacuc et l'apôtre Paul. « Le juste vivra de sa foi, » donc il ne vivra pas de ses œuvres, encore moins en vertu d'acquittements humains, d'absolutions achetées à prix d'or. Cette fois Luther n'y tenant plus, afficha ses fameuses thèses contre l'abus des indulgences. Premier acte d'émancipation, bien timide pourtant; le frère Martin s'en remettait au jugement de Dieu et de l'Église, « car, disait-il, je ne suis pas si téméraire que je mette les opinions de moi seul au-dessus des opinions de tous, ni si stupide que je mette la parole de Dieu au dessus des fables conçues par l'humaine raison. >>

Les thèses firent un bruit énorme dont le moine fut surpris, peut-être alarmé. Quant à Léon X, qui avait succédé à Jules II, il ne parut pas s'inquiéter de la première attaque « Ces thèses, lui a-t-on fait dire, sont

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l'œuvre d'un Allemand ivre; quand il aura cuvé son vin, il changera d'avis.» « Ces gens-là sont pleins de vin doux,» avait-on dit pareillement des apôtres (Actes, II, 13). Cependant un procès fut intenté à Rome contre Luther qui n'y comparut pas, et qui écrivit doucement au pape. Il regrettait la propagation bruyante de ses thèses qui étaient allées trop vite et trop loin. Mais que faire maintenant ? Pouvait-il les reprendre? Il était donc forcé, bien malgré lui, de tenir bon, lui sans esprit, sans savoir, pauvre oie obligée de crier parmi les cygnes: me anserem strepere inter olores. Il finissait par se prosterner aux pieds du pontife : « Donnez-moi la vie ou la mort, appelez, rappelez, approuvez, réprouvez comme il vous plaira, je reconnaîtrai votre voix, la voix du Christ qui en vous réside et parle. » Puis sa tête courbée se redrestait brusquement: il osait dire que l'excommunication ecclésiastique ne pouvait exclure de cette communion intérieure, spirituelle qui consistait dans l'union avec Dieu, par la foi, l'espérance et la charité. Il ne savait pas, disait-il encore, que l'Église existât virtuellement ailleurs qu'en Christ, et il allait jusqu'à proclamer avec saint Augustin, que seules les saintes Écritures étaient des livres canoniques. Audaces étranges où il pouvait s'aventurer sans trop de péril, soutenu qu'il était par son ordre religieux, par l'Électeur de Saxe et par l'université de Wittenberg, qui l'avait nommé docteur. Aussi n’allat-il pas à Rome; ses patrons firent valoir auprès du pape la santé faible du moine et les dangers du long chemin. Luther se rendit seulement à Augsbourg pour se justifier auprès du cardinal Caïetan, légat pontifical en Allemagne (1518). Ce voyage l'alarma, c'est lui qui l'avoue croyait aller au supplice et redoutait l'opprobre qui en

il

retomberait sur ses parents. Mais ce qui le tourmentait le plus, c'était le doute. « Suis-je dans la grâce de Dieu ? » A Augsbourg cependant, il se tint droit et refusa de rien rétracter à moins qu'on ne le combattît par la Bible. Or Caïetan n'ayant à lui opposer que des décrets pontificaux ou des témoignages de théologiens officiels, fut réduit à renvoyer Luther qui s'en alla en laissant derrière lui deux lettres dans la première, il promettait de devenir plus tranquille; dans la seconde, il en appelait du pape mal informé au pape mieux informé. Sur le point de conscience il restait inébranlable. En vain la timidité des uns, la frivolité des autres le poussaient à la rétractation. « Qu'attends-tu de ta résistance, et qu'espères-tu donc ? que l'Électeur prenne pour toi les armes ? Non, sans doute, et je ne le désire pas. - Alors, où te réfugieras-tu? - Sub cœlo, sous le ciel. »

C'est ainsi qu'il marchait dans la révolte. A la fin de l'année (1518) il couvait déjà quelque projet de fuite, pour ne pas compromettre son prince, l'Électeur. Alors le pape essaya de la manière douce. Un camérier secret, Charles de Miltitz, vint en Allemagne et, invitant le moine à dîner, l'embrassa chaudement et le mouilla de pleurs (baiser de Judas, dit Luther, larmes de crocodile). Tout ce que put obtenir ce négociateur, ce fut une nouvelle lettre au pape Léon X. Le frère Martin s'y proclamait très humblement « lie des hommes et poussière de la terre, » et ne mettait au-dessus de l'Église, à laquelle il ne voulait pas toucher, que Jésus-Christ, Seigneur de tous. Il ajoutait toutefois qu'en se rétractant, il rendrait un mauvais service à cette Église. Une seule concession lui était possible, et il la ferait très volontiers, c'était de se taire dorénavant sur les indulgences... pourvu que ses

adversaires voulussent bien, de leur côté, contenir leur déclamations ampoulées, contineant suas vanas ampul

las.

Après Miltitz, vint le docteur Eck de Leipsig : « La papauté est-elle d'institution divine ou humaine ? » Humaine, répondit Luther. Alors Eck, adroitement, le traita de hussite; les hussites étaient mal vus en Saxe où leur hérésie avait fait couler des flots de sang. Non moins habile, Luther se tira d'embarras en s'abritant derrière les Pères de l'Église grecque, lesquels ne s'étaient jamais soumis au pontife romain. « On me calomnie en me représentant comme l'ami et le patron des hérétiques hussites... Jamais je n'ai aimé ni n'aimerai le schisme... Je n'ai prétendu établir qu'une chose, et je prie tout chrétien pieux d'y bien réfléchir. N'est-ce pas une criante injustice que de repousser de l'Église et de chasser du ciel où ils sont, tant de milliers de martyrs et de saints qui pendant quatorze cents ans ont illustré l'Église grecque ?> Et il répéta le même jour, dans la séance de relevée (5 juillet 1519): « Il n'est pas nécessaire au salut de croire que l'Église romaine prime les autres Églises. Qu'importe que Wiclef ou Jean Huss ait dit cela? Je sais que Grégoire de Nazianze, Basile le Grand, Épiphane, Cyprien et un nombre infini d'évêques grecs n'ont pas cru à cette primauté, et sont sauvés néanmoins. Il n'appartient ni au pape ni aux inquisiteurs de faire de nouveaux articles de foi. Ils n'ont qu'à juger selon la foi établie. »

Cette dispute de Leipsig fut très intéressante dans l'histoire de la Réforme; Eck se crut vainqueur et coucha sur le champ de bataille, mais toute la jeunesse fut pour Luther qui, dans le feu de la lutte, avait brûlé

ses vaisseaux. Cependant Eck, tenace jusqu'à l'imprudence, voulut agir à Rome et obtenir l'excommunication de l'hérétique; pour son malheur et celui de l'Église, il y arriva. On n'attendait que ce coup pour déclarer le schisme. Luther s'était déjà lancé dans le mouvement qui, provoqué par Hutten, entraînait l'Allemagne. Pour Hutten, qui traitait la question humainement, il s'agissait de lever toutes les forces de la nation : « Ensemble nous établirons et nous défendrons la liberté de tous, ensemble nous délivrerons la patrie de tous les esclavages qui l'accablent. » Ces mots de patrie et de liberté retentissaient fortement à l'oreille de Luther : « Les dés sont jetés, écrivit-il à Spalatin, je méprise Rome, et ses faveurs, et ses colères. Jamais je ne me réconcilierai avec eux. Qu'ils condamnent ou brûlent mes livres, à mon tour, à moins qu'il n'y ait plus de feu au monde, je condamnerai, je brûlerai tout le droit papal, ce serpent à mille têtes des hérésies. Il faut en finir avec l'humilité. »

Et il tint parole. La fameuse bulle Exsurge Domine (en fort beau latin) qui excommuniait Luther fut lancée le 16 juin 1520. Elle n'éclata en Allemagne que trois mois après; dans l'intervalle, les pamphlets les plus terribles avaient paru, notamment cette fameuse adresse enflammée par le souffle ardent de Hutten: « A la noblesse chrétienne de la nation allemande touchant la réforme de la chrétienté. » L'insurrection était déjà déclarée et l'art s'en mêlait : les peintres illustraient l'œuvre du rebelle, les imprimeurs se soulevaient, les maîtres chanteurs poussaient des cris de guerre; enfin le 10 décembre (1520), la bulle du pape fut jetée au feu devant une porte de Wittenberg. Ce fut un acte solennel et public le peuple et l'Université en corps assistaient au

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