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glace d'effroi. Mais quel mouvement d'horreur quand le malheureux Thyeste portant à sa bouche la coupe de réconciliation, s'aperçoit qu'elle est pleine de sang..... et de quel sang! celui de son fils que ce perfide Atrée vient de faire égorger! Selon Fréron, le rôle d'Atrée est le plus fortement tracé qui soit au théâtre. Après les deux pièces que nous venons de citer, on place Électre, puis Idoménée, et ensuite Pyrrhus ; le reste est foible.

JEAN LE ROND D'ALEMBERT (n. 1717-œ. 1783) s'est fait un plus grand nom dans les mathématiques que dans les lettres, et a fait plus de bruit dans les lettres que dans les mathématiques; sa Préface de l'Encyclopédie et son Éloge de Massillon le mettent au premier rang parmi les écrivains du second ordre. Mais à quel rang le mettra sa correspondance avec Voltaire !!!

FLORENT DANCOURT (n. 1661-m. 1726). Ce comique du troisième ordre, auteur très fécond, n'a de pièces assez bonnes et restées au théâtre que le Galant Jardinier, le Mari retrouvé, les Trois Cousines, et les Bourgeois de qualité. Ces quatre petites pièces se revoient toujours avec plaisir, parce qu'il y a dans le dialogue de l'esprit qui n'exclut point le naturel; que les paysans y sont agréables sans rien perdre de la physionomie qui leur convient, et que l'auteur y saisit assez bien les ridicules de la bourgeoisie dans le temps où il écrivoit.

JACQUES DELILLE (n. 1738—m. 1813). Si la muse de cet aimable poëte ne se place pas au som→ met du Parnasse à côté de nos plus grands maîtres, on peut dire avec vérité qu'elle tient un rang très honorable sur le mont sacré parmi tout ce que l'on connoît de plus brillant, de plus varié, de plus pittoresque et en même temps de plus facile. Ses ouvrages ont un éclat éblouissant qui, surtout dans ses poëmes, rachète par la richesse des détails ce qui peut manquer à ce qu'Horace appelle le ponere totum. Mais ces détails enchanteurs parmi lesquels on distingue de charmans épisodes, sont si multipliés dans les poésies de M. Delille, qu'il seroit difficile d'en faire ici l'énumération. D'ailleurs qui n'a pas lu et relu toutes les productions sorties de sa plume féconde? A peine sa traduction des Géorgiques parutelle, que devenue inséparable de l'original, procla mée originale elle-même, elle fut à l'instant rangée parmi les classiques. Son joli poëme des Jardins eut un succès prodigieux auquel il ne manqua pas même le tribut envenimé de l'envie ; l'Homme des champs eut le même accueil. Quant au poëme de la Pitié, il intéressa vivement toutes les ames sensibles, toutes celles à qui ce sentiment n'avoit point été étranger pendant nos orages politiques; mais il fut jugé bien autrement par certains écrivains....... et il ne parut long-temps en France que déchiré par la critique et mutilé par l'autorité. M. Chénier qui dans son Tableau de la Littérature française rend une justice éclatante aux talens poétiques de M. Delille, fait le

plus grand éloge de sa traduction du Paradis perdu (supérieure à celle de l'Énéide), du poëme de l'Imagination et de celui des trois Règnes de la Nature. Dans le Paradis perdu, « on distingue, dit-il, de célèbres morceaux rendus avec un talent consommé, le début, par exemple, et cette invocation majestueuse à laquelle on peut assigner le premier rang parmi les invocations épiques, le conseil tenu par

les démons, les énergiques discours de Satan, le chant si pur et si vanté des amours d'Adam et Eve, et la touchante apostrophe du poëte à cette lumière éternelle qui ne brilloit plus pour lui. » Dans le poëme de l'Imagination, les morceaux les plus saillans sont les vers sur J.-J. Rousseau, l'hymne à là Beauté, l'épisode touchant de la Seur grise, l'épisode si célèbre des Catacombes, et dix morceaux qui por tent le cachet de la même supériorité. « Le poëme des trois Règnes de la Nature présente, dit encore M. Chénier, plusieurs morceaux de maître: la charmante description du colibri, par exemple, et dans une manière plus large, les descriptions du chien, du cheval, de l'âne, cet humble et laborieux serviteur, dont le nom ne fut pas dédaigné par la muse héroïque du chantre d'Achille; mais l'auteur ne décrit pas seulement; il est peintre car il est poëte. Il sait rendre les grands effets de la nature, l'éruption d'un volcan, les désastres causés par un hiver rigoureux, les ravages d'une contagion. Après avoir peint un ouragan, voyez avec quel art il rattache à cette peinture effrayante un épisode qui la fait valoir encore,

la destruction de l'armée de Cambyse. Observez comme à l'occasion de l'aurore boréale il interprète un phénomène par une fiction ingénieuse et dans le vrai goût de l'antiquité. Nous négligeons un épisode de Thompson que M. Delille a traduit comme il sait traduire. Mais qui pourroit oublier un autre épisode aussi noble que touchant, celui des mines de Florence, de cet asyle souterrain où deux chefs de partis contraires sont réunis, réconciliés et désabusés de l'ambition par l'infortune? Voilà des narrations animées, des tableaux vivans; là M. Delille est tout entier. » Nous pourrions ajouter à l'indication de ces beaux passages celle d'une infinité d'autres, puisés dans les divers ouvrages de notre poëte; mais, nous le répétons, la liste en seroit beaucoup trop longue et passeroit les bornes de notre travail; contentons-nous donc de rendre hommage avec M. Chénier, « à ce talent inépuisable qui bravant la délicatesse outrée de notre langue poétique, a su vaincre ses dédains et la dompter pour l'enrichir ; dont les défauts brillans sont et seront trop imités, mais dont les beautés presque sans nombre auront trop peu d'imitateurs; à qui nous devons huit poëmes; qui fut célèbre à son début ; qui a écrit pendant cinquante ans, mais qui n'a fatigué que l'envie, et dont le nom restera fameux. >>>

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DÉMOSTHÈNE (V. p. 33) a laissé dix harangues que l'on a toujours considérées comme des chefsd'oeuvre, et sur lesquelles les plus grands rhéteurs ne

sont pas d'accord lorsqu'il est question de les classer par ordre de mérite, à l'exception cependant de l'oraison pour la Couronne, à laquelle on donne la préférence. C'est, selon Boileau, le chef-d'œuvre de l'esprit humain. Celle de la Chersonnèse est regardée par La Harpe comme la plus belle, tout en convenant cependant que l'on n'y trouve pas les grands tableaux, les grands mouvemens, les développemens vastes de la harangue pour la Couronne, ni cette espèce de lutte si vive et si terrible qui appartient au genre judiciaire où deux athlètes combattent corps à corps. Enfin l'on peut dire que tout ce qui est sorti de la plume de Démosthène, soit Philippiques, soit Olinthiaques, soit discours sur des sujets particuliers, peut servir de modèle, ayant excité l'admiration de tous les siècles.

On ne doit donc pas être surpris d'entendre Cicéron, après avoir payé un juste tribut d'éloges aux célèbres orateurs de la Grèce (Lysias, Hypéride et Eschyne), s'exprimer ainsi sur le compte de Démosthène : « Il réunit, dit-il, la pureté de Lysias, l'esprit et la finesse d'Hypéride, la douceur et l'éclat d'Eschyne; et quant aux figures de la pensée et aux mouvemens du discours, il est au-dessus de tout : en un mot on ne peut rien imaginer de plus divin. » Cicéron revient souvent sur l'éloge de Démosthène, particulièrement dans son Orator, n.os 23 et 104, et dans son Brutus seu de claris oratoribus, n.o 35. Fénélon, Lettre sur l'éloquence, etle cardinal Maury, dans son Essai sur l'éloquence de la chaire, ont

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