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Les troupeaux mugissans se cachent à vos yeux;
Sur vos coteaux fleuris, la diligente abeille
A la rose vermeille

Dérobe les trésors d'un miel délicieux.

Les plus nobles vertus se disputent votre ame;
Vous aimez les combats, vous respirez leur flamme,
Vous ouvrez au malheur vos toits hospitaliers;
En longs cercles assise, un mâle jeunesse

Appui de la vieillesse,

Dans les sombres hivers couronne vos foyers.

Pour combler tant de biens, si la discorde expire;
Si quelque roi chéri, sous son heureux empire
De l'Etat partagé réunit les lambeaux ;

Sous de communes lois s'il rassemble vos villes ;
Si des hainés civiles

Ses généreuses mains éteigent les flambeaux :
Alors, nobles guerriers, yengeurs de la patrie,
Vous qui la défendez après l'avoir nourrie,
Vous rouvrirez le sein de vos guérêts féconds;
Vos glaives dormiront, et vos lances rouillées
Ne seront plus souillées

Dans le

sang

ennemi des Scythes vagabonds.

Alors chargés des biens que le ciel vous envoie,
Vos fronts triomphateurs blanchiront dans la joie,
Au milieu des enfans, soutiens de vos travaux :
Tel, ceint de rejetons, un vieux pin de Norwège
Au front couvert de neige,

Voit les siècles passer sous ses vastes rameaux.

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La poésie lyrique, si honorée des anciens, est bien Join de jouir parmi nous de la même faveur. « De toutes »les nations polies, disait Voltaire, la nôtre est la moins » poétique. Les ouvrages en vers qui sont le plus à la » mode en France, sont les pièces de théâtre; et ces » pièces sont écrites dans un style qui approche de celui » de la conversation.» Si cette remarque était juste alors, que serait-elle donc aujourd'hui? Notre nation n'est cer tainement pas devenue plus poétique. Mais tant qu'il res tera quelques esprits capables d'apprécier toutes les diffi

cultés et toute l'élévation d'un genre dans lequel il est si rare de réussir, les encouragemens les plus flatteurs ne peuvent être refusés au talent d'un jeune poëte qui s'annonce par des ouvrages tels que ceux dont on vient de lire assez de fragmens pour les juger.

ROLLE, bibliothécaire de la ville.

ELOGE DE MICHEL DE MONTAIGNE, par MARIE J. J. VICTORIN-FABRE. In-8°. A Paris, chez Maradan, rue des Grands-Augustins, no 9; de l'imprimerie de Firmin Didot, rue Jacob, no 24.

LE passage de Montaigne qui sert d'épigraphe à ce discours : tout le monde me reconnait en mon livre et mon livre en moi, n'est rien moins que pris au hasard; il annonce la manière dont l'orateur a envisagé son sujet, et le point de vue qui a produit ce qu'il y a de plus neuf, de plus original et de plus fécond dans son ouvrage. Un proverbe trivial : à quelque chose malheur est bon, pourrait en indiquer la destinée. En effet, nous avons vu M. Victorin-Fabre remporter en cinq ans cinq couronnes académiques; et cinq fois les arbitres quotidiens des succès et des renommées ont donné le démenti à ses juges, ont persifflé le secrétaire perpétuel de l'Académie pour ses rapports, et trouvé détestables les trois discours et les deux pièces de vers qui avaient remporté le prix. Cette fois, il est probable que l'Eloge de Montaigne, qui porte le nom du même auteur, a été moins heureux dans le concours je dis seulement qu'il est probable, car le titre ne nous avertit point de ce que nous en devons croire; mais cette probabilité a suffi pour qu'un cri unanime d'approbation et même d'admiration ait retenti. On n'a point douté que cet Eloge ne fût le même qui avait été enregistré, sous le n° 10, au concours de 1812; et auquel l'Académie, qui ne l'avait pas couronné, avait accordé dans sa séance publique, par l'organe de son secrétaire, des louanges non moins honorables qu'une couronne. On a loué M. Suard d'avoir donné ces louanges à l'Orateur, on a cité complaisamment ses paroles; on les a rappro

chées du discours imprimé, on y a trouvé la conformité qui y est en effet, et l'on a prouvé par des citations nombreuses et faciles à choisir dans le discours, cette conformité. Je ne veux point rechercher ici la cause de ce changement, qui me paraît avoir plus de rapport à l'Académie qu'à M. Victorin-Fabre; je me permettrai seulement de dire, parce que je le crois, que s'il eût encore obtenu ce prix, il lui en fût arrivé comme des cinq

autres.

Qu'il ait fait beaucoup de corrections et de changemens à son ouvrage, avant de le faire imprimer, cela me semble hors de doute, par une raison fort simple, c'est que de tous les éloges de Montaigne qui ont paru, le sien, de l'aveu même de ceux de ses concurrens qui, à différens degrès entre eux, ont obtenu sur lui la préférence, est incontestablement le meilleur; il est le mieux conçu pour le plan, le plus fortement écrit et sur-tout le plus éloquent. Or, c'est un prix d'éloquence que l'Académie française annonce dans ses programmes, c'est à l'éloquence, et quand le sujet le comporte, à la haute éloquence, qu'elle décerne ce prix.

Je sais qu'on n'est plus entièrement d'accord aujour d'hui sur ce mot, qu'il existe à son égard de nouvelles doctrines, qu'en éloquence comme en poésie on prétend réduire à l'élégance et à la pureté tout le mérite du style, que l'on est convenu d'appeler galimathias, phrase ou pathos tout ce qui sort de cette ligne, doctrines assurément fort commodes pour ceux qui ne peuvent s'élever ni au style poétique ni au style oratoire, mais qui se flattent, et Dieu sait encore à quel titre, de pouvoir acquérir un style pur et élégant. Mais comme ni Malherbe, ni Boileau, ni Racine, ni La Fontaine, ni J. B. Rousseau, en vers, ni Bossuet, ni La Bruyère, ni Pascal, ni J. J. Rousseau, en prose, ne pourraient recevoir l'application de ces nouvelles théories, bien des gens, et je conviens que je suis du nombre, les regardent comme la ressource de l'impuissance et non comme la règle du talent.

Quelques personnes qui commencent toujours par blâmer ce qu'on fait, en attendant qu'elles puissent faire

quelque chose, avaient moins bien espéré d'un concours ouvert sur un pareil sujet. Montaigne ne leur paraissait point donner matière à un discours éloquent. Ses Essais n'étaient après tout qu'une espèce de confession de ses défauts, mêlée d'éloges peu modestes de ses qualités et de ses vertus. On n'osait pas trop répéter avec Pascal que ce n'était là qu'un sot projet qui s'accordait mal avec l'humilité chrétienne, mais, disait-on, il y avait moins de vraie philosophie, il y avait même moins d'originalité qu'on ne croyait dans cet ouvrage composé de tant de pièces de rapport, et moins de fruit, qu'on ne prétendait, à tirer de sa lecture.

Sans doute, il n'y aurait rien à gagner, rien à apprendre dans les aveux, dans les confessions de tant de petits hommes guindés sur les échasses de l'orgueil; de ce déclamateur ampoulé qui se croit admirable parce qu'il est étrange, de ce versificateur boursoufflé qui se croit poëte parce qu'il n'est rien autre chose, de cet écrivain prétendu original, qui croit créer une langue nouvelle parce qu'il tourmente la sienne, ou du moins la nôtre; mais dans les Essais d'un Montaigne, dans les Confessions d'un Jean-Jacques, l'esprit et le cœur humain se dévoilent tout entiers; ces révélations d'hommes assez grands pour se montrer avec leurs petitesses hâtent l'expérience, et forcent l'homme qui est sincère avec luimême à dire à tout moment: c'est cela.

Ces frondeurs ont été tout surpris de voir éclore sur un sujet qu'ils avaient jugé stérile cinq ou six discours où brillent des talens divers (1), et qui, dans quelque

et

(1) Sur onze discours seulement qui avaient été envoyés à l'Académie, j'en connais cinq imprimés sans compter celui de M. Fabre : 1° celui de M. Villemain, couronné par l'Académie; 2o celui de M. Droz, à qui elle a accordé une médaille d'or; 3o celui de M. Jay, qui a obtenu l'accessit; 4o le discours qui a concouru sous le no 2, qu'on attribue à un membre distingué de la Classe des sciences mathématiques et physiques; 5o celui de M. Joseph-Victor Leclerc, adjoint-professeur au Lycée Napoléon. Peut-être en a-t-il paru d'autres que je ne connais pas, car sur les onze qui ont concouru, le rapport de M. Suard en a mentionné neuf: il ne s'est tu que sur le

ordre que le goût et l'impartiale équité les placent, maintenant qu'ils sont tous sous les yeux du public, attestent du moins que ce sujet est riche et qu'il était bien choisi.

Le plan que s'est fait M. Victorin-Fabre est clairement annoncé dans son exorde tiré, ainsi que l'épigraphe, du texte de Montaigne, ou des entrailles du sujet même. « Si jamais un écrivain a tracé d'avance à ses panégyristes la route qu'ils devaient tenir, sans leur laisser le choix d'en prendre une autre, c'est à coup sûr le philosophe qui fait le sujet de ce discours. Il est lui-même l'argument et la matière de son livre; ou plutôt vous dirat-il dans ce style plein d'images qui colore et anime tout, ce n'est point un livre que je compose, c'est moi que je représente; c'est ma statue que je dresse, non dans une place publique ou dans le parvis d'un temple, mais dans la bibliothèque d'un voisin' ou d'un àmi qui, fidèle à ma mémoire, lorsque je ne serai plus, goûtera quelque plaisir à me retrouver dans cette image. Qui de nous, Messieurs, n'a pas été ce voisin, cet ami fidèle? Qui de nous ne s'est plu souvent à fréquenter le philosophe, à l'entretenir dans cette image qui lui ressemble si bien? Rendons aujourd'hui ce commerce plus étroit, cet entretien plus intime; apprenons de lui-même à le connaître, nous l'aurons assez loué. »

Mais en se représentant ainsi lui-même, en ne songeant qu'à se peindre, Montaigne a dévoilé le cœur humain et a fait le portrait de tous les hommes. «Par quel heureux concours de circonstances, par quelle chaîne d'idées ce moraliste ingénieux qui, sans nous cacher ses vertus,

1

n° r et le no 9. Je dois ajouter à ceux que je viens d'indiquer, celui de M. Emile Vincens, professeur à l'Académie de Gênes ; l'auteur nous avertit qu'il n'a point paru au concours auquel il était destiné, parce qu'envoyé de loin, il s'est égaré en route; s'il fût arrivé à tems, je ne doute pas qu'il n'eût eu part à l'attention de la Classe et aux encouragemens donnés en son nom par M. le rapporteur. Ily a dans ce discours, comme dans tous les autres, beaucoup de mérite; et tous ensemble justifient bien ce que dit le Rapport, en comparant Je concours de 1812, aux précédens : « Ce dernier concours a été plus honorable pour les concurrens et plus satisfaisant pour les juges: »

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