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que dans le voisinage existe un descendant des anciens princes d'Inismore, autrefois propriétaires de ce canton; ils furent dépouillés de leurs domaines du tems de Cromwel, en faveur d'un des ayeux du lord M. qui, dans la fureur des guerres civiles, tua de sa main le malheureux prince au milieu de son château saccagé. C'est dans les ruines de cet antique manoir qu'un dernier rejeton du sang des princes d'Inismore, déchu du rang et de la fortune de ses ancêtres, vit loin du commerce de presque tous les hommes; fier de son origine, que suivant la tradition établie, il rapporte à Milesius et à ses fils, fondateurs de toutes les branches royales qui ont gouverné l'Irlande jusqu'au tems de la conquète, il regarde le nouveau possesseur de ses domaines comme un usurpateur; il a défendu de jamais prononcer devant lui Je nom du meurtrier de son aïeul. Le prince d'Inismore entouré de quelques vassaux attachés comme lui à la religion catholique, n'a pour consoler ses chagrins que lady Glorvina, sa fille, et le père John, son chapelain. Il a conservé les mœurs et les usages des anciens souverains de I'Irlande, et jusqu'à la forme de leur habillement. Horatio, curieux de connaître ce personnage extraordinaire, franchit la chaîne de rochers qui sépare le château et son petit territoire du reste de la contrée; il arrive, et c'est au milieu d'une chapelle à demi ruinée par les ravages du tems et de la guerre, au pied des autels, et dans le recueillement d'une cérémonie religieuse, que le prince et sa fille se montrent à ses regards. Rien de plus touchant et de plus noble, que la peinture de ce mélange de faste et d'infortune qui entoure ce prince. Ce tableau de la grandeur éclipsée est animé des plus riches couleurs. L'appareil religieux, la solennité du moment ; l'air, la démarche, le costume de l'illustre vieillard, frappent le jeune anglais d'étonnement et de respect. Lady Glorvina est auprès de son père; vêtue « d'une robe blanche, » attachée au-dessous de la poitrine par une étroite » ceinture ornée de pierres précieuses. Un manteau de >> soie écarlate flottait sur ses épaules, sa tête était cou» verte d'un voile fixé sur son front par une espèce de >> diadême couvert de pierreries semblables à celles de

» ses bracelets: telle était la princesse d'Inismore. » Horatio, transporté d'admiration, erre le soir autour du château; les sons d'une lyre éolienne frappent son oreille; pour mieux observer dans l'intérieur des appartemens, il monte sur un vieux mur qui tout-à-coup s'écroule sous ses pieds; Horatio blessé, évanoui, reprend ses sens dans l'intérieur du château ; en ouvrant les yeux il se voit entouré du prince et de ses serviteurs qui lui prodiguent les soins les plus affectueux. Sa blessure le contraint de prolonger son séjour; et la haine du prince contre la famille de ford M. l'oblige à ne pas se faire connaître; il s'annonce en qualité de peintre et se donne un nom supposé. Ce déguisement lui fournit l'occasion de donner des leçons de dessin à la jeune lady. Son père, grand amateur des antiquités de son pays, et le chapelain, homme sage et instruit, prennent la plus tendre affection pour l'étranger; Horatio et Glorvina, qui se voient à chaque moment, ne tardent pas à prendre des sentimens qui les subjuguent avec d'autant plus de rapidité que Glorvina ne les a jamais connus, et qu'Horatio n'en a point encore éprouvé d'aussi purs. L'un et l'autre ne s'aperçoivent de leur situation que lorsqu'il n'est plus tems de s'y soustraire. Toute cette partie de l'ouvrage est traitée avec un charme qui ne se trouve que sous la plume délicate d'une fenime. L'auteur a employé toutes les ressources de son talent pour peindre la naissance de cette passion et ses progrès au milieu de conversations, dont les arts et l'étude des anciennes coutumes du pays sont l'objet. Cette situation se développe, malgré l'incertitude d'Horatio, qui ne peut se faire connaître sans ruiner toutes ses espérances. Une fâcheuse découverte vient alarmer son amour : le hasard lui fournit la preuve que Glorvina entretient une correspondance secrette avec un homme inconnu. La reconnaissance porte cet homme à combler le prince et sa fille de présens et de soins délicats. Cette liaison dure depuis le tems où ce mystérieux personnage, qui s'est présenté comme une victime de la politique, a trouvé au château d'Inismore une noble et touchante hospitalité.

Cependant les manières fastueuses du vieux prince,

peu d'accord avec la médiocrité de sa fortune, ont mis ses affaires dans un dérangement total. Horatio s'en aperçoit sans toutefois en connaître l'étendue; sa délicalesse le force à s'éloigner, et le prince, toujours fier, fait céder, dans cette circonstance, ses affections à son orgueil. Horatio, revenu au château de M., reçoit un nouveau coup de foudre; son père arrive et lui amène une épouse c'est la fille d'un ancien ami. Le jeune homme est obligé d'aller au-devant d'elle jusqu'à Dublin. Lord M. laisse Horatio avec la famille de miss D., jouir des plaisirs de la capitale; il se rend seul dans son chàteau pour les préparatifs du mariage; il est suivi de près par son fils qui ne le rencontre pas chez lui. Horatio le cherche jusque dans les ruines d'Inismore; il y pénètre sans rencontrer personne, tout en a disparu; une vieille nourrice restée seule dans le palais, lui apprend que le prince, arrêté pour dettes, a été jeté dans les prisons de la ville voisine. Glorvina et le chapelain partagent volontairement son sort. Horatio vole au secours d'une famille qui lui est si chère, mais il a recouvré déjà sa liberté, elle doit ce nouveau bienfait à une main inconnue. Désespéré, il retourne au château d'Inismore; c'est là que l'attend une nouvelle épreuve. A son arrivée, le chapelain est au pied de l'autel, le prince au milieu de la chapelle touche à ses derniers momens; près de lui, Glorvina debout, pâle et résignée, présente sa main à un inconnu dont il ne peut voir la figure; le père John est près de prononcer les paroles sacrées; aux cris d'Horatio l'inconnu se retourne.....; mais n'allons pas plus avant, laissons au lecteur du roman l'intérêt d'une scène aussi pathétique, qu'elle est bien conçue et heureusement conduite. Ce dénouement noble, imprévu, ajoute au vif intérêt qu'inspire toute l'action. Horatio apprend enfin quel est ce rival ; le prince expirant connaît le véritable nom de son jeune ami. La haîne s'arrête sur les bords de la tombe, le vieillard pardonne ; nos lecteurs s'y attendent peut être, mais ils voudront savoir ce qui amène ce résultat; je les invite à consacrer quelques momens à une lecture qui flattera leur goût autant que leur esprit.

Ce n'est pas seulement sous ce rapport que le roman de Glorvina est recommandable; il se distingue par des détails historiques qui lui donnent une physionomie particulière. Les arts, les mœurs de l'Irlande, ses lois et ses coutumes, les préjugés du pays meine, forment les sujets des fréquens entretiens d'Horatio, du prince et de son chapelain. On sent quel parti l'auteur a dû tirer de cette mine féconde. La situation des personnages prête à tous ces développemens. Le prince est jaloux de donner de sa patrie une idée analogue aux sentimens qui nourrissent son orgueil, et son jeune ami qui apporte des préjugés et une opinion contraires reçoit avec avidité une instruction si nouvelle pour lui. Miss Ovenson, dans son ouvrage composé à l'imitation d'Anacharsis, de Séthos, peut-être même de Corinne, si toutefois ce roman est antérieur à Glorvina, ce qu'il m'est impossible de vérifier à l'instant, miss Ovenson a donné le signal aux amateurs des recherches et des anciennes traditions. L'Irlande placée dans l'Océan aux extrémités du monde, est peu connue du reste de l'Europe; son histoire est environnée de ténèbres, et ce n'est point sans surprise que l'on verra l'auteur de Glorvina rapporter à une origine grecque ou orientale tous les anciens usages de sa patrie. Sans doute ces traditions, en passant d'âge en âge, se sont enveloppées d'un voile fabuleux que le prestige du tems a fait confondre avec la vérité; mais il en résulte toujours que ces traditions doivent avoir une base qu'il serait intéressant de découvrir. Miss Ovenson n'a dû présenter que les résultats ; c'est aux savans de profession à rechercher les causes premières.

Ce roman pourra servir encore à établir une controverse historique et littéraire sur les poésies d'Ossian. On sait que beaucoup d'érudits n'ont voulu voir dans ces poëmes vaporeux, ainsi que dans toutes les histoires de la famille de Fingal, rien de plus que le produit de l'imagination de Macpherson. D'autres ont prétendu, au contraire, que les originaux de ces chants s'étaient conservés dans les montagnes d'Ecosse, et que leur authenticité ne pouvait être révoquée en doute. Le plus grand nombre a pensé que Macpherson ayant effecti

vement recueilli quelques traditions des montagnards écossais, en a fait le texte d'une paraphrase toute de son invention. L'Irlande a déjà réclamé la propriété des poésies erses; miss Ovenson démontre avec force la justice des droits de sa patrie : selon ce système, les poésies d'Ossian non-seulement n'appartiennent pas à l'Ecosse, mais elles n'auraient été connues dans ce royaume qu'à une époque fort rapprochée de nous. Ainsi Öscar, Malvina, Evirallina aux cheveux d'or, Ossian, Dermotd, tous ces héros de la race de Fingal appartiennent à l'Irlande. Il faut avouer que miss Ovenson s'appuie sur des autorités imposantes, et que l'érudition qu'elle déploie dans cette circonstance doit inviter les savans à vérifier des faits qui intéressent à-la-fois l'histoire, la littérature et les sciences. G. M.

REVUE LITTERAIRE.

(SUITE *.).

CONSIDÉRATIONS NOUVELLES SUR LE DROIT EN GÉNÉRAL, ET PARTICULIÈREMENT SUR LE DROIT DE LA NATURE ET DES

GENS; par C. L. S. MICHEL, ex-procureur-général près la Cour d'Appel de Douai, membre de la Légiond'Honneur et chevalier de l'Empire. — Un vol. in-8°. A Paris, chez Delaunay, libraire, Palais-Royal, galeries de bois, n° 243.

Au milieu de ces productions frivoles qui dureront moins que la saison où elles naissent, les hommes raisonnables qu'un roman sans caractère et sans style, un recueil de mauvaise prose mal rimée qu'on appelle vers; une comédie à l'eau rose; un drame bien lugubre, un opéra à fracas, ve sauraient contenter, voient avec intérêt que des écrivains laborieux et habiles publient de bons ouvrages, tels que les Nouvelles considérations sur le droit, dont M. le chevalier Michel vient d'enrichir notre littérature, Annoncer que cet auteur a rempli long-tems les importantes fonctions de procureur-général dans une cour supérieure, c'est dire

(*) Voyez le Mercure du 17 juillet 1813.

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