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NOTICE

SUR

UN FEUILLET DE PAPYRUS

Récemment découvert à la Bibliothèque Impériale de Paris

ET

Relatif à la basilique que Maxime, évêque de Genève, substitua vers l'année 516 à un temple payen

Par LEOPOLD DELISLE

Les anciens manuscrits ont quelquefois passé par de bien étranges vicissitudes. On se rappelle cet exemplaire de Virgile, écrit en lettres capitales, dont M. Pertz a récemment suivi les destinées, avec tant de sagacité : le Vatican en possède plusieurs feuillets que Claude Dupuy offrit à Fulvio Orsini, vers la fin du seizième siècle; Mabillon en examina un deuxième fragment dans les restes de la bibliothèque de Pithou, qui, du temps de Louis XIV, appartenaient au ministre Le Peletier; un troisième fragment, composé de trois feuillets, s'est rencontré en 1862 dans le cabinet d'un savant hollandais et a été acquis par M. Pertz pour la bibliothèque de Berlin. L'histoire du manuscrit dont je m'occuperai dans cette no

Ueber die Berliner und die Vaticanischen Blätter der ältesten Handschrift des Virgil; Berlin, 1863, in-4°. C'est un extrait des Mémoires de l'Académie de Berlin, année 1863; un supplément a paru dans le compte rendu mensuel des travaux de cette Académie, séance du 21 avril 1864.

tice n'est guère moins extraordinaire. Il s'agit du recueil des œuvres de saint Avit, écrit sur papyrus, au sixième siècle.

Jusqu'à ces derniers temps, la Bibliothèque impériale en possédait: 1o sous le n. 8913 du fonds latin, quatorze feuillets plus ou moins mutilés; 2° sous le n. 8914 du même fonds, une trentaine de lambeaux qui ont jadis appartenu à des feuillets dont le sort nous est inconnu.

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Tous ces fragments sont depuis longtemps à la Bibliothèque, quoiqu'ils ne figurent pas sur les anciens catalogues. Ils sont cités comme conservés à la bibliothèque du roi, par D. Ruinart en 1689', par Mabillon en 1704 et par les auteurs du Nouveau traité de diplomatique en 1754 3. Ils avaient précédemment fait partie de la bibliothèque du président de Thou. C'est là qu'ils furent étudiés par le P. Sirmond, qui en donna de courts extraits dans son édition de saint Avit, imprimée en 1643 et reproduite en 1696 dans le second volume des OEuvres du savant jésuite. C'est également chez de Thou que Jérôme Bignon dit avoir trouvé ces curieux débris, dont il fit une copie, qui fut revisée par Bigot, et qui, tombée dans les mains de Baluze, entra à la bibliothèque du roi en 1719.

Les travaux de Sirmond et de Bignon ne prouvent pas seulement que les fragments de saint Avit appartenaient à la famille de Thou dans la première moitié du XVIIe siècle; ils

1 << Has autem schedas quæ in bibliotheca regia modo asservantur, vivente adhuc Avito, aut saltem paullo post ipsius obitum scriptas fuisse affirmant qui eas inspexerunt viri peritissimi. » Acta sincera, éd. de 1731, p. 238, col. 2.

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« Duo codices, unus bibliothecæ regiæ, Aviti homilias continens...» Librorum de re diplom. supplementum, p. 10.

3 « La première espèce (d'écriture gallicane cursive) peut être appelée romano-gallicane, tant elle approche de la cursive romaine la plus élégante, la plus hardie et la plus majestueuse! Le modèle que nous en donnons d'après D. Mabillon est tiré du célèbre manuscrit de saint Avit, en papier d'Égypte, de la bibliothèque du roi. » Nouveau traité de diplom., III, 422.

* La copie de Bignon occupe les feuillets 71 à 78 du volume 297 de la collection de Baluze.

montrent encore que dès cette époque le manuscrit ne se composait que de quatorze feuillets.

Rien ne pouvait faire espérer la découverte de nouveaux morceaux de ce manuscrit quand, au mois de janvier dernier, un des hommes de service, attachés au département des manuscrits, Emile Dambreville, m'annonça tout joyeux qu'il venait de trouver << quelque chose de bon » : en même temps il me montrait un feuillet de papyrus, admirablement conservé, que je reconnus sur le champ pour appartenir à notre manuscrit de saint Avit. Ce nouveau feuillet a été aussitôt rapproché des quatorze feuillets que la Bibliothèque impériale possédait anciennement; il forme aujourd'hui la feuille 15 du manuscrit latin 8913.

Le volume dans lequel Emile Dambreville avait fait cette importante trouvaille, est le manuscrit latin 11859, jadis no 113 du fonds français de Saint-Germain. C'est un grand infolio, rempli des travaux d'un savant médecin du seizième siècle, Jacques Daleschamps, sur l'ornithologie. Il est entré à la Bibliothèque nationale en 1795, et il n'est pas admissible que ce soit depuis cette époque qu'on y ait placé un feuillet de papyrus, dont aucune note d'ailleurs n'atteste l'entrée ou la présence à la Bibliothèque.

Le manuscrit de Daleschamps fut conservé à l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, depuis 1715 jusqu'à la Révolution. Ce n'est pas non plus à cette période que l'on peut rapporter l'insertion du feuillet de papyrus dans le manuscrit. Les Bénédictins, qui faisaient un si grand cas des fragments de saint Avit, conservés à la bibliothèque du roi, auraient été trop fiers d'en posséder un feuillet dans leurs collections pour ne pas le mentionner sur leurs catalogues et pour ne pas le citer de préférence aux fragments de la bibliothèque du roi.

Avant d'arriver à Saint-Germain, le manuscrit de Daleschamps faisait partie de la bibliothèque de Seguier. Je croirais encore difficilement que les bibliothécaires du chancelier n'eus

sent pas apprécié la valeur d'un antique feuillet de papyrus s'ils en avaient eu connaissance, et je doute fort qu'on doive leur en attribuer l'introduction dans le volume de l'Ornithologie de Daleschamps. Nous sommes donc amenés à supposer que le feuillet dont il est ici question s'y trouvait déjà quand Seguier en devint propriétaire.

Il importe de faire observer que le manuscrit de Daleschamps venait de Lyon. Sur le premier feuillet on a tracé une note qui est aujourd'hui en partie déchirée, mais dont les mots suivants sont encore parfaitement lisibles : « Achepté à Lyon des héritiers de Rouille q...... cinq livres l'an 1626, revenant d'Italie. DE SAINT BASILE ». D'autre part, il est certain que les fragments de saint Avit recueillis par le président de Thou appartenaient primitivement à l'église Saint-Jean de Lyon. A cet égard, le témoignage de Guillaume Paradin ne laisse aucune espèce de doute. « Je ne veux omettre, écrivait cet historien en 1573', qu'en l'église de Sainct Jean se trouvent certains livres fort antiens, escrits en escorce d'arbre, dont l'un est lisable et contient un commentaire sur les psalmes: l'autre qui n'est relié, ains lacéré et imperfait, est escrit en caractères antiques, et qui bonnement ne se peuvent lire, combien que la lettre soit belle et nette, et semble à plusieurs qui ne sont stilez à tels caractères que ce soit lettre grecque, mais véritablement ce sont lettres latines, dont la forme est dissemblable aux nostres, pour la diversité des caractères, qui fait que, quelque bon esprit que ce soit, il luy seroit mal aisé d'en lire une page en huict jours. A la vérité, ce sont des œuvres d'Avitus, archevesque de Vienne, qui florissoit environ l'an cinq cens et vingt. Car il y a une homélie de la conversion de Lenteildis, sœur germaine du roy Clovis, laquelle fut lors convertie de l'hérésie arrienne à la vraye et catholique chrestienne. Il y a plusieurs autres traictez, monstrans manifestement que ce sont des œuvres d'Alcimus Avitus,

Mém. de l'hist. de Lyon, p. 103.

insigne théologien et excellent poëte, lequel est nommé en l'un d'iceux livres, en une épistre, de laquelle le titre est tel: Avitus episcopus papæ Constantinopolitano. Il y a aussi une omélie prononcée quand un grand seigneur de Lyon, nommé Sigistricus, et sa sœur furent convertis de l'hérésie arrienne. Aucuns ont estimé que ces livres sont de toille, les autres de joncs du Nil, parce qu'il semble qu'il y a des filamens; il y en a qui ont opinion que ce sont petites pièces de bois, collées et rapportées l'une à l'autre, car il y en a aucunes qui semblent se décoller, et ne peut on bonnement deviner ce que c'est. Tant il y a que c'est chose vénérable et digne d'être conservée pour la révérence de l'antiquité. >>>

N'y a-t-il pas lieu de conjecturer que le manuscrit de saint Avit, sorti de la bibliothèque de Saint-Jean de Lyon, vers la fin du XVIe siècle, aura été dépecé dans cette ville, que le président de Thou en aura acquis le fragment le plus considérable, composé de quatorze feuillets et d'une trentaine de lambeaux; qu'un amateur lyonnais s'en sera procuré un feuillet, dont il aura cru mieux assurer la conservation en le plaçant dans un volume de grand format, tel que l'Ornithologie de Daleschamps; et que le reste, c'est-à-dire trente feuillets au moins, aura été dispersé ou détruit?

Quoi qu'il en soit, les savants pourront désormais étudier à la Bibliothèque impériale un quinzième feuillet de saint Avit, dont l'intérêt est pour le moins égal à celui des quatorze feuillets anciennement connus.

Le recto du nouveau feuillet est à peu près entièrement occupé par la fin d'une homélie qui dut être prononcée à la fondation d'un établissement religieux et charitable. Vient ensuite un titre ainsi conçu :

1 DICTA IN DEDICATIONE BASILICAE QUAM MAXI

1 Dans la marge, en regard de ce titre, est tracée une croix aux bras de laquelle sont suspendus l'alpha et l'oméga. Ce signe se rencontre plusieurs

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