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son fils, résolut de le marier, et lui promit de remplir les nombreux engagemens auxquels il ne pouvait faire face, s'il voulait choisir parmi les princesses d'Europe, une compagne digne de sa haute destinée. Le prince opposa long-temps une résistance opiniâtre, Agé de 33 ans, habitué à user d'une liberté sans bornes, il n'envisageait qu'avec effroi les chaînes qu'on voulait lui imposer; mais ses créanciers le poursui vaient. Le paiement de six cent trente-neuf mille huit cent quatrevingt-dix livres sterling, quatre schellings, quatre pences (monnaie anglaise); c'est-à-dire, douze millions sept cent quatre-vingtdix-sept mille huit cent cinq livres quatre sous (monnaie française) (Voyez les débats de la chambre des communes, à cette époque); le paiement de cette énorme somme, montant des dettes du prince, était l'une des clauses du contrat. Il finit par se rendre à ces puissantes considérations, et épousa Caroline de Brunswick, sa cousine, le 8 avril 1795. Jamais union ne parut se former sous de plus heureux auspices. Les âges étaient assortis: les liens de la parenté resserraient encore ceux de l'hymen. Le parlement anglais, à qui l'on ne peut généralement reprocher trop de parcimonie, quand il s'agit de l'apanage des héritiers de la couronne, avait signalé, cette fois encore, sa générosité, en doublant le revenu du prince, et en lui accordant, pour les frais du mariage, une somme de vingt-sept mille livres sterling, outre plus de quarante mille livres sterling, pour

menus frais, vaisselle, ameublement, etc. Tout semblait conspirer au bonheur de ce couple royal, environné de tant de pouvoir, de richesses et d'espérances. Cependant, à peine la jeune princesse, séparée de sa famille, éloignée de son pays, avait-elle échappé aux derniers complimens des députés de toutes les provinces; à peine les fêtes du mariageTM étaient-elles terminées, qu'elle se vit exilée de la couche nuptiale, privée de la présence et de l'affection de son mari. Un appartement écarté fut préparé pour elle, dans le palais de Carlton. Veuve long-temps avant d'être mère, elle vécut ainsi dans le plus complet abandon, dans le plus cruel isolement, jusqu'au moment de la naissance de sa fille Charlotte, princesse malheureuse, dont le berceau et le cercueil furent également solitaires, dont les premiers comme` les derniers momens ne reçurent ni les baisers ni les pleurs d'un père. Deux mois après cette triste naissance, le sort de Caroline devint plus amer encore; chassée du palais même où elle vivait en étrangère, abreuvée des humiliations que versait sur toute să vie l'inexplicable inimitié d'un époux, elle fut forcée de se retirer à Blackheath; là, sa vie fut simple, sans éclat et sans plaisirs. Déjà cependant la calomnie inventait mille fictions romanesques; on parlait d'un capitaine Pole, d'un officier irlandais, d'un Allemand qu'elle avait aimé dans son enfance; c'est-à-dire que, pour justifier une conduite inconcevable, on forgeait un ro

man, dont l'incohérence trahissait la fausseté. Les sycophantes de cour commencèrent à jeter, sur la conduite de la princesse abandonnée, des insinuations perfides. On fit, aux yeux du peuple anglais, un crime à Caroline de cette indépendance d'actions qui fait partie, sur le continent, du savoir-vivre, et pour ainsi dire de l'étiquette des cours: on voulut trouver dans l'innocente vivacité de son âge, dans la vive gaieté de ses discours, une preuve irrefragable des habitudes les plus vicieuses. Pendant qu'elle veillait sur le berceau de sa jeune enfant, ces calomnies se répandaient, s'imprimaient; et le prince, livré à des dissipations, que nous laissons à la postérité le soin de caractériser, écrivait à la princesse une lettre, que l'histoire conservera, et dans laquelle il déclare, avec la plus singulière franchise, que les inclinations de l'homme ne dépendant pas de sa volonté, il se croit complétement en droit de renoncer à toute espèce de liaison avec la princesse, et qu'en aucun temps il ne prétendra former avec elle une union plus intime, que les rapports ordinaires de société. (Voyez lettre transmise par lord Cholmondeley). D'après cette formelle déclaration, plus d'une femme aurait pu se croire libre de tout engagement envers l'homme qui brisait lui-même ses liens. Néanmoins la conduite de la princesse parut long-temps encore assez irréprochable, pour ôter à la persécution des motifs suffisans de s'appesantir sur elle. Son père, son frère, sa tante, moururent: les deux premiers, sur

ne

le champ de bataille (à Iéna); cette dernière, du chagrin de les avoir perdus. Caroline resta seule, sans un protecteur au monde. « Dès lors, aucune mesure fut gardée : sa fille lui fut arrachée; il ne lui fut permis de la voir qu'une fois par semaine : quand le carrosse de la mère passait devant celui de la fille, la nourrice avait ordre de baisser les stores, et le cocher de tourner bride. (Voyez la lettre de Whitbread aux communes.) Un espionnage domestique fut organisé autour de la princesse; et enfin, en 1806, l'Europe étonnée apprit qu'une enquête judiciaire allait être faite, sur la requête et au nom du prince-régent, à l'effet de savoir si la princesse, sa femme, était ou non coupable d'adultère, et si (comme plusieurs témoins le déposaient) elle n'était pas accouchée secrètement en 1806, d'un enfant mâle, illégitime et adultérin. On ne put que voir avec la plus extrême surprise, un, prince, héritier de la couronne, s'inscrire lui-même sur la liste que Saint-Réal a dressée, des Grands hommes dont les femmes furent infidèles; on s'étonna surtout de retrouver tout à coup un intérêt si vif pour la bonne conduite de sa femme, chez un homme qui lui avait donné, dix ans auparavant, ce que les jurisconsultes appellent congé d'élire. Quoi qu'il en soit, deux personnages distingués par leur naissance et leur crédit à la cour du prince de Galles, sir John et lady Douglas, n'hésitèrent point à déposer devant la commission d'enquête, composée de lord Erskine, de

lord Spencer, de lord Grenville, et de ce célèbre Ellenborough, que la princesse (de son propre aveu, et sous leurs yeux) avait mis au monde un enfant mâle, fruit de son commerce adultérin avec l'amiral Sidney-Smith, ou le capitaine Manby. Ce procès étrange fut tenu secret: on apporta comme preuves, semi-preuves, ou probabilités, la bienveillance même et la facilité des manières de la princesse de Galles; on appela le dernier de ses serviteurs, et la plus légère de ses connaissances, pour leur demander une interprétation de tous les actes et de toutes les pensées de Caroline. Cependant George III, dont l'âme était aussi bonne que son esprit était faible, interposa son sceptre entre les persécuteurs et sa malheureuse nièce. On apporta la plus rigoureuse exactitude dans les enquêtes; et la commission finit par déclarer positivement, que la princesse était innocente; que quelque légèreté pouvait seulement être imputée à sa conduite; et que l'enfant dont il était question (William Austin), était, sans le moindre doute, fils d'un pauvre charpentier du Deptford. La conviction du parjure pesa donc sur la tête de sir John et de lady Douglas; et l'attorney-général déclara, en plein parlement, qu'il eût regardé comme son devoir indispensable de les poursuivre, si de secrets et d'invincibles obstacles n'eussent arrêté la main de la justice publique. Après la déclaration claire et formelle de la commission chargée de ce que les Anglais appelèrent l'investigation

délicate, on eût pu croire le triomphe de la princesse assuré. Cependant, lorsqu'il s'agit de la recevoir à la cour, et de reconnaître son innocence, de nouvelles difficultés s'élevèrent, Partout le prince de Galles opposait sa main puissante; de nouvelles épreuves lui furent préparées. Tantôt sa fille lui était enlevée ; tantôt d'affreux libelles répandaient sur elle d'odieuses calomnies. Elle voulut être jugée derechef: un nouveau jugement du cabinet, un second jugement des communes, firent éclater son innocence; lord Castlereagh lui-même sortit enfin des ténèbres de son éloquence énigmatique, pour avouer sans restriction et sans ambages, que rien n'était plus évident que l'innocence de Caroline. Trois fois jugée, trois fois acquittée...... le croirait-on ? l'infortunée princesse ne vit point de terme à son isolement; le roi, mort à la raison, ne pouvait plus la protéger; les princes la fuyaient; sa fille Charlotte ne pouvait la voir, et partageait cependant la défaveur sous laquelle gémissait sa mère. La cour, et la tourbe des écrivains salariés, des soldats du ministère, et de ces parasites courtisans de bas étage et de mauvais lieu, que le peuple appelle les toad-eaters (mangeurs de soupe à la tortue); toute cette foule corrompue avait grand soin de fuir la solitude d'une femme, qui avait pour ennemi le chef du pouvoir. Ainsi seule, abandonnée, après avoir échappé par miracle à une longue conspiration, qui trois fois avait menacé son honneur et sa vie; craignant peut-être que le

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