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ARGIRE.

Ma fille....

AMÉNAIDE.

Vous m'avez condamnée.

Ah! que me voulez-vous?

ARGIRE.

O Deftins en courroux!

Voulez-vous, ô mon Dieu! qui prenez sa défense, Ou pardonner sa faute, ou venger l'innocence? Quels bienfaits à mes vœux daignez-vous accorder? Eft-ce justice ou grace? Ah! je tremble & j'efpere. Qu'as-tu fait? Et comment dois-je te regarder! Avec quels yeux, hélas!

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Vôtre fille eft encor au bord de fon tombeau,

Je ne fçais fi le ciel me fera favorable.

Rien n'eft changé, je fuis encor fous le couteau.
Tremblez moins pour ma gloire; elle est inaltérable.
Mais fi vous êtes pere, ôtez-moi de ces lieux;
Dérobez votre fille accablée, expirante,
A tout cet appareil, à la foule insultante
Qui fur mon infortune arrête ici fes yeux,
Obferve mes affronts, & contemple des larmes,
Dont la cause eft fi belle, & qu'on ne connaît pas.
ARGIRE.

Viens, mes tremblantes mains raffureront tes pas.
Ciel de fon défenfeur favorise les armes,
Ou d'un malheureux pere avance le trépas!

Fin du troifieme Acte.

ACTE IV.

SCENE PREMIERE. TANCREDE, LORÉDAN, CHEVALIERS. Marche guerriere; on porte les armes de Tancrede devant lui.

LORÉDA N.

SEIGNEUR, Votre victoire eft illuftre & fatale;

Vous nous avez privés d'un brave Chevalier,
Dont le cœur à l'Etat fe livrait tout entier,
Et de qui la valeur fut à la vôtre égale.

Ne pouvons-nous fçavoir vôtre nom, vôtre fort?
TANCREDE, ( dans l'attitude d'un homme penfif

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Orbaffan ne l'a fçu qu'en recevant la mort.

Il emporte au tombeau mon fecret & ma hainc..
De mon fort malheureux ne foyez point en peine.
Si je peux vous fervir, qu'importe qui je fois?
LORÉ DA N.

Demeurez ignoré, puisque vous voulez l'être
Mais vôtre vertu fe faffe ici connaître,

que

Par un courage utile & de dignes exploits.

Les drapeaux du Croiffant dans nos champs vont paraître. Défendez avec nous nôtre culte & nos loix.

Voyez

Voyez dans Solamir un plus grand adverfaire,

Nous perdons nôtre appui, mais vous le remplacez;
Rendez-nous le Héros que vous nous ravissez,

Le vainqueur d'Orbaffan nous devient néceffaire.
Solamir vous attend.

TANCREDE.

Oui; je vous ai promis

De marcher avec vous contre vos ennemis,
Je tiendrai ma parole, & Solamir peut-être
Eft plus mon ennemi que celui de l'Etat.

Je le hais plus que vous ; mais quoi qu'il en puiffe être,
Sçachez que je fuis prêt pour ce nouveau combat.

CATAN E.

Nous attendons beaucoup d'une telle vaillance.
Attendez tout auffi de la reconnaissance,
Que devra Syracufe à votre illuftre bras.

TANCREDE.

n'en attend pás

Il n'en eft point pour moi, mon cœur n'

Je n'en veux point, Seigneur, & cette triste enceinte,
N'a rien qui déformais foit l'objet de mes vœux.
Si je peux vous fervir, fi je meurs malheureux,
Je ne prétends ici récompenfe, ni plainte,
Ni gloire, ni pitié. Je ferai mon devoir,
Solamir me verra; c'eft-là tout mon efpoir.
LORÉ DA N.

C'est celui de l'Etat; déjà le temps nous preffe.
Ne fongeons qu'à l'objet, qui tous nous intéreffe,
A la victoire. Et vous qui Paiiez partager,
Vous ferez averti, quand il faudra vous rendre
Au pofte où l'ennemi croit bientôt nous furprendre.
Dans le fang Mufulman tout prêts à nous plonger,

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Tout autre fentiment nous doit être étranger.

Ne penfons, croyez-moi, qu'à fervir la patrie.

(Ils fortent.)

TANCRED F.

Qu'elle en foit digne ou non, je lui donne ma vie.

SCENE I I.

TANCREDE, ALDAMON.
ALDAM O N.

IL
Ls ne connaiffent pas quel trait envenimé
Eft caché dans ce cœur trop noble & trop
charmé.
Mais malgré vos douleurs & malgré vôtre outrage,
Ne remplirez-vous pas l'indispensable usage

De paraître en vainqueur aux yeux de la Beauté,
Qui vous doit fon honneur, fes jours, fa liberté?
Et de lui préfenter de vos mains triomphantes,
D'Orbaffan terraffé les dépouilles fanglantes?
TANCREDE.

Non, fans doute, Aldamon, je ne la verrai pas.
ALDA MON.

Eh! quoi, pour la fervir vous cherchiez le trépas,
Et vous fuyez loin d'elle?

TANCREDE.

Et fon cœur le mérite.

ALDAMON.

Je vois trop à quel point fon crime vous irrite.
Mais pour ce crime enfin vous avez combattu!

TANCRED F.

Oui, j'ai tout fait pour elle, il eft vrai, je l'ai dû.

Je n'ai pû, cher ami, malgré fa perfidie,
Supporter ni fa mort, ni fon ignominie.

Et l'euffé-je aimé moins, comment l'abandonner?
J'ai dû fauver fes jours, & non lui pardonner.
Qu'elle vive, il fuffit, & que Tancrede expire.
Elie regrettera P'Amant qu'elle a trahi,

Le cœur qu'elle a perdu, ce cœur qu'elle déchire...
A quel excès, ô ciel ! je lui fus affervi!
Pouvais-je craindre, hélas! de la trouver parjure?
Je penfais adorer la vertu la plus pure;

Je croyais les ferments, les autels moins facrés,
Qu'une fimple promeffe, un mot d'Aménaïde...

ALDAM O N.

Tout eft-il en ces lieux ou barbare, ou perfide?
A la profcription vos jours furent livrés,

La loi vous perfécute & l'amour vous outrage.
Eh! bien, s'il eft ainfi, fuyons de ce rivage.
Je vous fuis aux combats, je vous fuis pour jamais,
Loin de ces murs affreux trop fouillés de forfaits.

TANCREDE.

Quel charme dans fon crime à mes efprits rappelle
L'image des vertus que je crus voir en elle !
Toi qui me fais defcendre avec tant de tourment
Dans l'horreur du tombeau, dont je t'ai délivrée,
Odieufe, coupable, & peut-être adorée !
Toi qui fais mon destin jusqu'au dernier moment;
Ah! s'il était poffible, ah! fi tu pouvais être
Ce que mes yeux trompés t'ont vû toujours paraître !
Non, ce n'eft qu'en mourant que je peux l'oublier,
Ma faibleffe eft affreufe, il la faut expier.

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