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TANCREDE,

Mettons un frein terrible à l'infidélité,
Au falut de l'Etat que toute pitié céde,
Combattons Solamir, & profcrivons Tancrede.
Tancrede né d'un fang, parmi nous détesté,
Eft plus à craindre encor pour notre liberté.
Dans ce dernier Confeil un décret jufte & fage,
Dans les mains d'Orbassan remit son héritage,
Pour confondre à jamais nos ennemis cachés,
A ce nom de Tancrede en fecret attachés;
Du vaillant Orbaffan, c'eft le jufte partage,
Sa dot, fa récompense.

CATANE.

Oui, nous y foufcrivons, Que Tancrede, s'il veut, foit puiflant à Byfance, Qu'une Cour odieuse honore fa vaillance; Il n'a rien à prétendre aux lieux où nous vivons. Tancrede, en fe donnant un maître defpotique, A renoncé lui-même à nos facrés remparts; Plus de retour pour lui; l'Efclave des Céfars Ne doit rien pofféder dans une République.. Orbaflan de nos loix eft le plus ferme appui, Et l'Etat qu'il foutient ne pouvait moins pour lui. Tel eft mon fentiment.

ARGIRE.

Je vois en lui mon gendre; Ma fille m'eft bien chere, il eft vrai; mais enfin, Je n'aurais point pour eux dépouillé l'orphelin. Vous fçavez qu'à regret on m'y vit condefcendre. LOREDAN.

Blâmez-vous le Sénat?

ARGIR E.

Non je hais la rigueur ;

Mais toujours à la loi je fus prêt à me rendre,
Et l'intérêt commun l'emporta dans mon cœur.
ORBASSAN.

Ces biens font à l'Etat, l'Etat feui doit les prendre;
Je n'ai point recherché cette faible faveur.

ARGIRE.

N'en parlons plus; hâtons cet heureux hymenée ;
Qu'il amene demain la brillante journée,
Où ce Chef arrogant d'un Peuple destructeur,
Solamir, à la fin, doit connaître un vainqueur.
Votre rival en tout, il ofa bien prétendre,
En nous offrant la paix, à devenir mon gendre
Il penfait m'honorer par cet hymen fatal.
Allez, dans tous les temps triomphez d'un rival.
Mes amis, foyons prêts; ma foibleffe & mon âge
Ne me permettent plus l'honneur de commander.
A mon gendre Orbaffan vous daignez l'accorder.
Vous fuivre eft, pour mes ans un affez beau partage;
Je ferai près de vous, j'aurai cet avantage;

Je fentirai mon cœur encor fe ranimer,

Mes yeux feront témoins de votre fier

courage;

Et vous auront yû vaincre avant de fe fermer,

LOREDAN.

Nous combattrons fous vous, Seigneur; nous ofons croire
Que ce jour, quel qu'il foit, nous fera glorieux :

Nous nous promettons tous l'honneur de la victoire,
Ou l'honneur confolant de mourir à vos yeux.

(Les Chevaliers fortent.)

*Il étoit alors très-commun de marier les Chrétiens à des Mufulmans. Abdalife, le fils de Mufa, Conquérant de l'Espagne, époufa la fille du Roi Rodrigues. Cet exemple fut imité dans tous les pays où les Arabes porterent leurs armes victorieuses.

* B iij

SCENE II.

ARGIRE, ORBASSAN.

ARGIRE.

EH! bien, brave Orbaffan, fuis-je enfin votre pere?

Tous vos reffentimens font-ils bien effacés ?
Pourrai-je en vous d'un fils trouver le caractere?
Dois-je compter fur vous ?

ORBASSAN.

Je vous l'ai dit affez.

J'aime l'Etat, Argire; il nous reconcilie.

Cet hymen nous rapproche, & la raifon nous lie;
Mais le nœud qui nous joint n'eût point été formé,
Si, dans notre querelle, à jamais affoupie,
Mon cœur qui vous haït, ne vous eût estimé.
L'amour peut avoir part à ma nouvelle chaîne i
Mais un fi noble hymen ne fera point le fruit
D'un feu né d'un inftant, qu'un autre inftant détruit.
Que fuit l'indifférence, & trop fouvent la haine.
Ce cœur que la patrie appelle aux champs de Mars,
Ne fçait point foupirer au milieu des hafards..
Mon hymen a pour but l'honneur de vous complaire,
Notre union naissante, à tous deux nécessaire,
La fplendeur de l'Etat, votre interêt, le mien.
Devant de tels objets l'amour a peu de charmes.
Il pourra refferrer un fi noble lien;

Mais fa voix doit ici fe taire au bruit des armes,

ARGIR E.

J'eftime en un Soldat cette mâle fierté;
Mais la franchise plaît, & non l'austérité:
J'efpere que bientôt ma chere Aménaïde
Pourra fléchir en vous ce courage rigide.
C'est peu d'être un guerrier; la modeste douceur
Donne un prix aux vertus, & fied à la valeur.
Vous fentez que ma fille, au fortir de l'enfance,
Dans nos temps orageux de trouble & de malheur,
Par fa mere élevée à la Cour de Byfance,
Pourrait s'effaroucher de ce févere accueil,
Qui tient de la rudeffe, & reflemble à l'orgueil.
Pardonnez aux avis d'un vieillard & d'un pere.

ORBASSAN.

Vous même pardonnez à mon humeur févere:
Elevé dans nos camps, je préférai toujours
A ce mérite faux des politesses vaines,
A cet art de flatter, à cet efprit des Cours,
La groffiere vertu des mœurs républicaines.
Mais je fçais refpecter la naiffance & le rang
D'un estimable objet formé de votre fang.

Je prétends par mes foins mériter qu'elle m'aime,
Vous regarder en elle, & m'honorer moi-même.

ARGIR E.

Par mon ordre en ces lieux elle avance vers vous.

SCENE

III.

ARGIRE, ORBASSAN, AMÉNAIDE.

ARGIR E.

LE bien de cet Etat, les voix de Syracuse,
Votre pere, le ciel, vous donnent un époux;
Leurs ordres réunis ne fouffrent point d'excufe,
Ce noble Chevalier, qui fe rejoint à moi,
Aujourd'hui, par ma bouche, a reçu votre foi.
Vous connaislez fon nom,
fa renommée.
Puiffant dans Syracufe, il commande l'armée.
Tous les droits de Tancrede entre fes mains remis.
AMÉNAIDE, à part.

De Tancrede !

fon rang,

ARGIRE.

A mes yeux font le moins digne prix,

Qui releve l'éclat d'une telle alliance.

ORBASSA N.

Elle m'honore affez, Seigneur; & fa préfence
Rend plus cher à mon cœur le don que je reçois ;
Puiffé-je, en méritant vos bontés & fon choix,
Du bonheur de tous trois confirmer l'efpérance!
AMÉNAIDE.

Mon pere, en tous les temps, je fçais que votre cœur
Sentit tous mes chagrins, & voulut mon bonheur.
Votre choix me deftine un Héros en partage;

Et quand ces longs débats qui troublerent vos jours, Grace à votre fageffe, ont terminé leur cours

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