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Un peu devant qu'Aurora la fourriere
Du cler Phebus commençaft mettre arriere
D'obfcurité nocturne fans fejour,

Pour efclaircir la belle aube du jour.

Si me fouvint tout à coup de mon fonge. (1)

Dont la plufpart n'eft fable, ne menfonge,
A tout le moins pas ne fut menfonger
Le bon Efpoir, qui vint à mon fonger:
Car verité fit en lui apparoiftre

Par les vertus, qu'en vous il difoit eftre.
Or ai-je fait au vueil du Dieu Mercure,
Or ai-je prins la hardieffe & cure
De vous efcrire à mon petit pouvoir,
Me confiant aux parolles d'Espoir

Le bon vieillard, vrai confort des craintifs,'
A droit nommé repaiffeur des chetifs:
Car repeu m'a tousjours fous bonne entente
En la forest nommée longue Attente:
Voire & encor de m'y tenir s'attend,
Si voltre grace envers moy ne s'eftend:
Parquoi convient qu'en efperant je vive,'
Et qu'en vivant trifteffe me pourfuive.
Ainfi je fuis pourfui, & pourfuivant
D'eftre le moindre & plus petit fervant
De vostre hostel, magnanime Princeffe,'
Ayant efpoir que la vostre nobleffe

Me

(1) Si me fouvint de mon fonge &c.] Ce vers & les trois fuivans font formez fur les premiers vers du Roman de la Rofe qui commence ainsi.

Maintes gens dient que en fonges
Ne font que fables & menfonges,
Mais on peut telz fonges fongier
Qui ne font mie menfongier.

Me recevra, non pour aucune chofe,
Qui foit en moy pour vous fervir enclofe:
Non pour prier, requefte, ou retorique,
Mais pour l'amour de voftre Frere unique,
Roy des François, qui à l'heure prefente
Vers vous m'envoye, & à vous me presente
De par Pothon, gentil homme honorable.
En me prenant, Princeffe venerable,
Dire pourrai que
la nef oportune

Aura tiré de la mer infortune,

Maugré les vents, jufqu'en l'ifle d'honneur
Le pelerin exempté de bon heur:

Et fi aurai par un ardant desir

Cueur & raifon de prendre tout plaifir
A efveiller mes efperits indignes

De vous fervir, pour faire œuvres condignes,
Tels qu'il plaira à vous, très-haute Dame,
Les commander: priant de cueur & d'ame
Dieu tout puiffant, de tous humains le pere,
Vous maintenir en fortune profpere:
Et dans cent ans prendre l'ame à mercy
Partant du corps fans douleur, ne foucy.

EPITRE III.

Du Champ d'Attigni, à madite Dame d'Alençon. (1)

L

1521.

SUSCRIPTION.

Lettre mal faite & mal efcrite,
Vole de par ceft efcrivant
Vers la plus noble Marguerite,
Qui foit point au monde vivant.

A main tremblant deffus la blanche carte Me voy fouvent: la plume loin s'escarte, L'encre blanchift, & l'efperit prend ceffe, Quand j'entreprens (très-illuftre Princeffe) Vous faire efcrits: & n'euffe prins l'audace, Mais

(1) Attigny fur la riviere d'Aine à trois lieuës de Rhetel en Champagne, endroit célebre pour avoir été, dès la premiere race de nos Rois, une maison Royale où le font paffez depuis divers événemens confiderables. L'on occupa le Champ d'Attigni près Rhetel, lorique Henry de Naffau avec les Troupes de Charles-quint vint attaquer Mezieres 1521. Le brave Chevalier Bayart fit tant par fa prudence & fa bravoure, que Naffau fut obligé de lever le fiege. Boucal fi eftimé dans les guerres de ce temps-là fut tué à la prife de Novarre par les François en 1522.

Mais Bon vouloir, qui toute peur efface,
M'a dit, crains-tu à efcrire foudain
Vers celle-là, qui onques en defdain
Ne print tes faits? ainfi à l'eftourdy,
Bien cognoiffant neantmois, que la faute
Ne vient finon d'entreprise trop haute:
Mais je m'attens, que fous voftre recueil
Sera cogneu le zele de mon vueil.
Or eft ainsi, Princeffe magnanime,
Qu'en haut honneur, & triumphe sublime
Eft fleuriffant en ce Camp, où nous fommes,(1)
Le conquerant des cueurs des gentils hommes:
C'eft Monfeigneur par fa vertu loyalle.
Efleu en chef de l'armée Royalle:

(1) On voit par cette Epitre & la fuivante, que le fervice de la Cour n'avoit pas empêché Marot de fuivre le parti des armes. Ce fut au fortir des amufemens de fa jeuneffe, comme il le marque lui-même, Ballade 4.

Or je voys voir fi la guerre eft perduë.

Il étoit apparemment dans une Compagnie d'ordon nance de quelque Seigneur. C'étoit Pulage de la nobleffe inferieure & de ceux qui vivoient noblement, d'entrer dans ces compagnies, dès qu'ils ne pouvoient point avoir eux-mêmes quelque forte de commandement. Mais Marot ne réuffit pas à la guerre. 11 ne laiffoit pas néanmoins de s'y trouver felon les occafions. Celle-cy du Champ d'Attigny fe prefenta en 1521. & le Prince qu'il défigne fous le nom de Mon feigneur, étoit le Duc d'Alençon, mary de Madame Marguerite, à qui le Poëte avoit l'honneur d'appar tenir. François I. avoit donné à ce Duc le comman dement d'une armée qui devoit s'opposer à celle de Charles-quint, commandée par le Comte de Naffau qui entroit en Champagne. Celle du Roy étoit pour alors à Attigni proche de Rhetel.

Où l'on a veu de guerre maints esbats,
Adventuriers efmouvoir gros combats (1)
Pour leur plaifir fur petites querelles,
Glaives tirer, & brifer allumelles,
S'entrenavrans de façon fort eftrange:
Car le eueur ont fi très-haut, qu'en la fange
Plustoft mourront que fuïr à la lice.
Mais, Monfeigneur, en y mettant police;
A deffendu de ne tirer efpée,

Si on ne veut avoir la main couppée.
Ainfi pietons n'ofent plus defgayner,
Dont font contrains au poil s'entretrainer,
Car fans combatre, ils languiffent en vie:
Et croi (tout feur) qu'ils ont trop plus d'envié
D'aller mourir en guerre honeftement,
Que demourer chez eux oifivement.

Ne penfez pas, Dame, où tout bien abonde,'
Qu'on puiffe voir plus beaux hommes au monde ?
Car (à vrai dire) il femble que Nature
Leur ait donné corpulence & facture

I.

Ainfi

(1) Avanturiers] C'étoit fous Louis XII. & Fran çois I. une forte d'Infanterie Françoife fort mal ha billée, mais qui pour cela n'en étoit pas moins bra ve. Selon Brantôme, & les Notes fur Rabelais liv. ch. 26. pag. 184. les advanturiers étoient une milice ramaffée qui faifoit corps dans l'Infanterie Françoife. Elle étoit propre pour un premier feu, ou pour un coup de main. Elle fut foumife par François I. au Colonel General de l'infanterie. D'abord elle n'avoit point de folde, mais on lui fourniffoit les étapes dans le Royaume, & vivoit en pays ennemis du butin qu'elle y pouvoit faire: elle fit de fi grands defordres en France même, qu'on fut obligé & par des regle mens & par des troupes qu'on leur oppofa, de les foumettre à la difciple militaire. On en voyoit encpre fous Henri IV. mais il n'en a point patu depuis.

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