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E PIT RE. IX.

Pour le Capitaine Raifin, audict Seigneur de la Rocque. (1)

E

N mon vivant je ne te fis fçavoir

Chofe de moi, dont tu deuffes avoir Ennuy ou dueil: mais pour l'heure prefente, Très-cher Seigneur, il faut que ton cueur fente Par amitié, & par cefte efcripture

Un peu d'ennuy de ma male adventure.
Et m'attens bien, qu'en maints lieux où iras,
A mes amis cefte Epistre liras.

Je ne veux pas aufli que tu leur celes:
Mais leur diras, Amis, j'ai des nouvelles
D'un malheureux, que Venus la Déesse
A forbany de foulas & lieffe.

Tu diras vrai, car maux me font venus
Par le vouloir d'impudique Venus,
Laquelle fit tant par mer, que par terre
Sonner un jour contre femmes la guerre,
Où trop toft s'eft maint chevalier trouvé,
Et maint grand homme à son dam efprouvé,

Maint

(1) Ce Capitaine Raifin eft le même Marot qui dans l'Epitre précedente s'eft nommé le Capitaine Bourgeon. Il n'eft pas le feul qui foit devenu la dupe de la Déeffe d'Amours. Il a pour compagnons des Princes & des Rois, qui n'en ont pas été quittes à fi bon marché que lui. Comme il n'y avoit pas long-tems que la maladie étoit connue en France, on n'avoit pas encore découvert les remedes les plus prompts & les plus efficaces, que le grand ufage du mal a fait rechercher depuis.

Maint bon courtaut y fut mis hors d'alaine,
Et maint mouton y laiffa de fa laine.
Bref, nul ne peut (foit par feu, fang, ou mine)
Gaigner proffit en guerre feminine:

Car leur ardeur eft afpre le poffible:
Et leur arnois haut & bas invincible.
Quant eft de moy, jeuneffe povre & fotte
Me fit aller en cefle dure flotte,

Fort mal garny de lances & efcus:
Semblablement le gentil Dieu Bacchus
M'y amena accompagné d'andouilles,
De gros jambons, de verres, & gargouilles,
Et de bon vin verfé en maint flafcon:
Mais je y receuz fi grand coup de faucon, (1)
Qu'il me fallut foudain faire la poulle,
Et m'en fuyr, de peur, hors de la foulle.
Ainfi navré je contemple, & remire,
Où je pourrois trouver fouverain Mire:
Et prenant cueur autre que de malade
Vins circuir les limites d'Archade,

La

(1) Faucons.] C'étoit le terme dont on fe fervoit alors, & dont on s'eft encore fervi depuis pour défigner les femelles dont la fanté eft encore plus équivoque que la conduite. On le voit par une Chanfon faite du temps de la Ligue contre le Duc de Mayenne de la maifon de Guife, Prince affez maleficie par les plaifirs auxquels il fe livroit. La Voici.

Que chafeun prefte l'oreille,

Et vous orr 2 tantoft merveille

De l'effet du Catholicon:

La drogue eft fi fouveraine,

Qu'elle a gueri Monfieur du Maine

De la morfure d'un faux C..

Voyez les Remarques fur la fatyre Menipée Tom. 2. pag. 26. édition de 1711.

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La Terre neufve, & la grand' Tartarie,
Tant qu'à la fin me trouvay en Surie: (1)
Où un grand Turc me vint au corps faifir,
Et fans avoir à lui fait defplaifir,

Par plufieurs jours m'a fi très-bien frotté
Le dos, les reins, les bras, & le costé,
Qu'il me convint gefir en une couche
Criant les dents, le cueur, aussi la bouche,
Difant helas, 8 Bacchus puiffant Dieu,
M'as-tu mené exprès en ce chaut lieu,
Pour veoir à l'œil moi le petit Raisin
Perdre le gouft de mon proche coufin?
Si une fois puis avoir allegeance,
Certainement j'en prendrai bien vengeance,
Car je ferai une armée legere,

Tant feulement de lances de fougere,
Camp de taverne, & pavois de jambons,
Et boeuf fallé, qu'on trouve en mangeant bons,
Tant que du choc rendrai tes flacons vuides,
Si tu n'y mets grand ordre, & bonnes guides.
Ainfi j'efleve envers Bacchus mon cueur,
Pource qu'il m'a privé de fa liqueur,

Me faifant boire en chambre bien ferrée
Fade tifane, avecques eau ferrée,

Dont fouvent fais ma grand' foif eftancher.
Voilà comment, ô Monfeigneur tant cher,
Sous l'eftendard de Fortune indignée,

Ma vie fut jadis predeftinée.

En fin d'efcrit, bien dire le te vueil,
Pour adoucir l'aigreur de mon grand dueil:
Car dueil caché en defplaifant courage

Caufe

(1) Surie] Qu'on ne s'y trompe pas, ce n'eft point ici le nom d'une Province; c'eft un pays limitrophe à toute l'humanité, où l'on va fort aiféinent, mais d'où l'on revient avec un peu plus de peine

Caufe trop plus de douleur & de rage,
Que quand il eft par parolles hors mis,
Ou declaré par lettre à fes amis.
Tu es des miens le meilleur efprouvé:
A Dieu celui que tel j'ai bien trouvé,

EPITRE X.

A Monfieur Bouchar Docteur en Theologie. (1)

1525.

Onne refponse à mon present affaire, D Docte Docteur. Qui t'a induit à faire Emprifonner depuis fix jours en çà, Un tien amy, qui onc ne t'offenfa?

Et

(1) La crainte que l'on eut de voir pulluler en France les erreurs de Luther & des Sacramentaires de Zuingliens, donna lieu de créer un Inquifiteur de la foy. Le Docteur Bouchar l'étoit en 1525. & Marot fut arrêté à fa requête ; mais cependant à la follicitation fecrette d'une puiffante & vindicative donzelle, c'étoit Diane de Poitiers, Ces vieux Docteurs s'adouciffent comme les autres à la vuë d'une aimable perfonne :

Où il n'y a frere frapart
Qui fon courage n'amollie
Comme un enfant ou un pouppart
A l'ocul d'une femme jolie.

C'eft ce qu'affure le Champion des Dames, maître en amours, fol. 23. Le vieux Docteur ne fit donc rien pour le pauvre Marot. Il falut de fortes follicitations pour obtenir fa liberté. Voyez la Preface fur la fin de 1525. & au commencement de 1526.

Et vouloir mettre en luy crainte & terreur
D'aigre juftice, en difant que l'erreur
Tiens de Luther? Point ne fuis Lutherifte,
Ne Zuinglien, & moins Anabaptifte: (1 & 2)
Je fuis de Dieu par fon fils Jefus-Chrift.
Je fuis celui, qui ai fait mainte efcrit,
Dont un feul vers on n'en fçauroit extraire,
Qui à la Loy divine foit contraire.
Je fuis celui, qui prens plaifir & peine
A louer Chrift, & fa Mere tant pleine (3)
De grace infufe: & pour bien l'efprouver,
On le pourra par mes efcrits trouver.

Bref

(1) Zuinglien.] Leur chef étoit Ulric Zuingle, Curé de Zuric en Suiffe, qui fe mit à dogmatifer contre l'Eglife en 1516. ou 1517. On les nomme auffi Sacramentaires, parce qu'ils attaquoient l'efficace & la fainteté des Sacremens; fur-tout de celui de l'Autel, qu'ils prétendoient n'être qu'une fimple figu re de ce que Jefus-Chrift avoit fait dans la Cene.

(2) Et moins Anabaptifte.] J'ai deux éditions de Paris de Bonnemere en 1536. & 1538. qui mettent, Encores moins Papifte. Mais c'eft quelque ennemi de Marot, ou quelque novateur qui a changé ce terme: car toutes les autres éditions écrivent comme celleci, Anabaptifte. Ces Anabaptiftes parpiffoient depuis 1520. que Jean de Leyde en fut le chef, & fit de fi grands ravages à Munster & dans la Weftphalie. Voici comme l'édition de Bonnemere met ce vers & les fuivans:

Ne Zuinglien, encore moins Papifte
Je ne fuz onc, ne fuys & ne ferai
Sinon Chreftien, & mes jours pafferai,
S'il plaift à Dieu, fous fon fils Jesus-Chrift.

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On voit que Marot a fait des changemens dans cette Epitre, & a retranché le 2. & 3. vers de ceux que nous rapportons ici.

(3) Sa mere.] Voyez les Chants 1. & 2. & le Rondeau 3. fur la conception de la Ste. Vierge.

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