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O cueur plus dur que n'eft la roche bife! O cueur plus faux, qu'onques nafquit de mere !

Mais refpons moi à ma complainte amere:
Me promis-tu en ma chambre parée,
Quand te promis fuivre jour & ferée,
De me laiffer en ce bois en dormant?
Certes tu es le plus cruel amant,
Qui onques fut, d'ainfi m'avoir fraudée.
Ne fuis-je pas la feconde Medée?
Certes ouy; & à bonne raison
Dire te puis eftre l'autre Jafon.

Difant ces mots, d'un animé courage,
Te vois querant, comme pleine de rage,
Parmi les bois, fans douter nuls travaux:
Et fur ce poinct rencontray nos chevaux
Encor liez, paiffant l'herbe nouvelle,
Dont ma douleur renforce & renouvelle:
Car bien cogneus que de ta volonté
D'avecques moy ne t'estois absenté.
Si commençay comme de douleur taincte,
Plus que devant faire telle complaincte.
Or voy-je bien (Amy) & bien appert,
Que maugré toi en ceftuy bois defert
Suis demourée. O Fortune indecente:
Ce n'eft pas or', ne de l'heure presente,
Que tu te prens à ceux de haute touche,
Et aux loyaux. Quel' rancune te touche?
Es-tu d'envie entachée, & polluë, (1)
Dont noftre amour n'a efté diffoluë?

O cher amy, ô cueur doux & benin,

Que

(1) Es-tu d'envie entachée, & polluë?] Ce vers eft. autrement dans l'édition de Bonnemere, & il me paroît beaucoup mieux: Es-tu de dueil aggravée & pol

lue?

Que n'ai-je prins d'Atropos le venin
Avecques toi? voulois-tu que ma vie (1)
Fuft encor plus cruellement ravie?
Je te promets qu'onques à creature
Il ne furvint fi piteufe advanture.
Et à tort t'ai nommé, & fans raifon (2)
Le defloyal, qui conquift la toyfon:
Pardonne-moy, certes je m'en repens.
O fiers lyons, & venimeux ferpens,
Crapaux enflez, & toutes autres bestes,
Courez vers moi, & foyez toutes preftes
De devorer ma jeune tendre chair,
Que mon amy n'a pas voulu toucher
Qu'avec honneur. Ainfi morne demeure
Par trop crier, & plus noire que meure,
Sentant mon cueur plus froid que glace, ou

marbre:

Et de ce pas montay deffus un arbre
A grand labeur. Lors la veuë s'efpart
En la foreft: mais en chacune part
Je n'entendy que les voix très-hydeufes,
Et hurlemens des beftes dangereufes.

De tous cofteż regardois, pour fçavoir,
Si le tien corps pourroye appercevoir:
Mais je ne vy que celuy bois fauvage,

La

(1) Avecques toy be. Ce vers & le fuivant font ainfi dans l'édition de Bonnemere:

Avecques toy voulois-tu que ma mort
Touchée fuft de plus afpre remort ?

(2) Et à tort t'ay &c.] Ce vers eft beaucoup mieux dans les plus anciennes éditions, le voici; Et à grant tort te nommay par blafon; blafon cenfure; mais il teroit encore mieux, fi on mettoit, Et à grant fort te nemmay fans raison.

La mer profonde, & perilleux rivage,
Qui durement fit mon mal empirer.

Là demouray, non pas fans foupirer,
Toute la nuict: ô vierge très-hautaine!
Raifon y eut, car je fuis très-certaine,
Qu'oncques Thysbé, qui à la mort s'offrit
Pour Piramus, tant de mal ne souffrit.
En évitant que les loups d'avanture
De mon corps tien ne fiffent leur pasture,
Toute la nuict je paffay fans dormir
Sur ce grand arbre, où ne fis que gemir:
Et au matin que la clere Aurora
En ce bas monde efclercy le jour a,
Me defcendy, trifte, morne, & pallie,'
Et nos chevaux en plorant je deslie
En leur difant: ainfi comme je penfe,
Que vostre maistre au loin de ma prefence
S'en va errant par le monde en efmoi,
C'eft bien raifon que, comme luy & moi,
Alliez feulets par bois, plaine & campaigne.
Adonc rencontre une haute montagne:
Et de ce lieu, les pelerins errans

Je pouvois veoir, qui tiroient fur les rengs
Du grand chemin de Rome fainete & digne,
Lors devant moi vey une pelerine,
A qui donnay mon royal veftement
Pour le fien povre: & dès lors promptement
La tienne amour fi m'incita grand' erre
A te chercher en haute mer, & terre:
Où maintefois de ton nom m'enqueroie,
Et Dieu tout bon fouvent je requeroic,
Que de par toy je fuffe rencontrée.

Tant cheminay,
, que vins en la contrée
De Lombardie, en foucy très-amer:
Et de ce lieu me jectay fur la mer,
Où le bon vent fi bien la nef avance,

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Qu'elle aborda au pays de Provence:
Où mainte gent, en allant, me racompte
De ton depart: & que ton pere Compte
De ce pays durement s'en contrifte:
Ta noble mere en a le cueur fi trifte,
Qu'en defefpoir lui conviendra mourir.
Penfes-tu point donques nous fecourir?
Veux-tu laiffer ceste povre loyalle
Née de fang, & femence Royalle
En cefte fimple & miferable vie?
Laquelle encor de ton amour ravie,
En attendant de toi aucun rapport,
Un hofpital a basty fur un port

Dict de fainct Pierre, en bonne souvenance
De ton haut nom: & là prend fa plaisance
A gouverner, à l'honneur du haut Dieu,
Povres errans & malades en ce lieu:
Où j'ai basti ces miens triftes efcripts
En amertume, en pleurs, larmes, & cris,'
Comme peux veoir qu'ils font faits & tiffus:
Et fi bien veois la main, dont font yffus,
Ingrat feras, fi en ceft hofpital,

Celle qui t'a donné fon cueur total
Tu ne viens veoir: car virginité pure
Te gardera, fans aucune rompure:
Et de mon corps feras feul jouyffant.
Mais s'ainfi n'eft, mon aage
fleuriffant
Consumerai fans joye finguliere
En povreté, comme une hofpitaliere.
Donques (amy) viens moy veoir de ta grace:
Car tiens-toi feur qu'en cefte povre place
Je me tiendrai attendant des nouvelles
De toy, qui tant mes regrets renouvelles.

Voyez ci-après le premier des Rondeaux fait fur ce suject.

EPITRE II.

Le Defpourveu à ma Dame la Ducheffe d'Alençon, & de Berri, Marguerite Sœur unique du Roy. (1)

1518.

I j'ai empris en ma fimple jeuneffe De vous efcrire, ô très-haute Princeffe, Je vous fuppli, que par douceur humaine Me pardonnez: car Bon vouloir, qui meine Le mien defir, me donna efperance, Que voftre noble & digne preference Regarderoit par un fens très-illuftre, Que petit feu ne peut jetter grand luftre. Autre raifon, qui m'induit & inspire

De.

(1) Le Poëte étoit jeune, lorfqu'il fit pour Madame Marguerite Ducheffe d'Alençon, & depuis Reine de Navarre, cette Epitre, dont le tour eft ingenieux, & l'invention agréable. La Princeffe avoit un goût exquis pour la poëfie où elle a réuffi. Et c'eft fans doute ce qui engagea François I. à prier Madame fa foeur de le prendre en qualité de valet de Chambre.. Marot crut bien faire de ne paroître pas les mains vuides devant la Princeffe. Le Seigneur de Pothon. lui prefenta donc le Poëte qui, pour fe faire mieux connoître, y parut avec cette piece. Il fut agréé, & ne la quitta que fur la fin de 1534. après avoir été feize ans à fon fervice. Ainfi il entra chez elle fur la fin de 1518.

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