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nage singulier, mystérieux. Dans le titre, l'abbé Boulmont le qualifie de savant mathématicien. « Savant » ‚c'est peutêtre beaucoup dire, mais, il eut son heure de célébrité. Les MÉMOIRES DE TRÉVOUX, par exemple, dans leur cahier de mars 1739, publient un compte rendu détaillé et très élogieux des Eléments de Géométrie de Le Ratz; et dans leur cahier d'avril 1751, les mêmes MÉMOIRES annoncent et analysent ses Nouveaux essais de Physique. Le ton de l'éloge, il faut le dire, a cette fois beaucoup baissé.

Qui était Le Ratz de Lanthenée ? Quelle valeur avaient ses ouvrages? Ces questions paraissaient devoir rester à jamais insolubles. A Thuin, patrie de l'auteur, on en avait perdu tout souvenir. Quant à le faire revivre par ses œuvres, il n'y fallait guère songer. Elles sont devenues des raretés bibliographiques introuvables et Quetelet, toujours si bien renseigné, avoue, dans son Histoire des Sciences Mathématiques et Physiques chez les Belges (1), qu'il ne les avait jamais vues.

Tel est le personnage, en réalité aussi intéressant qu'inconnu jusqu'ici, dont M. Boulmont a réussi à mettre la figure en pleine lumière. Voici comment. Les archives de la famille Le Ratz se conservaient chez feu M. 't Serstevens-Toye, qui les mit à la disposition de l'auteur.

« Ces archives, nous dit ce dernier, consistaient surtout dans une correspondance intime du père (il s'agit de notre Le Ratz) et des fils, se répartissant entre les années 1729 et 1752, cessant, par conséquent, quatre ans avant la mort du père arrivée en 1756.

» Le dépouillement de cette correspondance, très curieuse à plus d'un titre, nous a révélé entre autres choses l'existence simultanée de deux mathématiciens, le père et le fils, portant tous deux le nom de Jean-François Le Ratz de Lanthenée, dont les publications citées plus haut seraient en grande partie l'œuvre commune. »

Le travail de l'abbé Boulmont compte près de cent pages richement documentées. On conçoit que nous ne puissions ni le résumer, ni même indiquer les discussions, pleines souvent d'une judicieuse critique, qu'on y rencontre, mais je transcris les dernières conclusions:

(1) T. I. Bruxelles, Hayez, 1864, p. 279.

« De tout ceci il résulte que le véritable auteur des ouvrages qui ont valu une certaine célébrité au nom de Le Ratz de Lanthenée, pendant le XVIIIe siècle, ne peut être que Jean-François Le Ratz de Lanthenée, né à Thuin, en 1679, et y décédé, en 1756. A chacun ses œuvres ! C'est dans cette pensée que nous nous plaisons à rendre hommage au mérite et au désintéressement de ce savant, jouissant, du fond de sa paisible retraite, des succès que son fils ne doit guère qu'à lui, et se trouvant suffisamment récompensé de ses propres labeurs, par la réputation scientifique acquise par cet autre lui-même ».

Le « Diarium » de Jean Henri Lambert, publié par KARL BOPP (1). — Cet important et très utile travail parut pendant la guerre, et par suite, comme plus d'un autre, passa chez nous inaperçu. Il n'est pas trop tard pour le signaler.

Jean Henri Lambert naquit, on le sait, le 28 août 1722, à Mulhouse, alors ville libre de l'Alsace, et mourut à Berlin, le 25 septembre 1777. Avec Euler et Lagrange, qui l'éclipsent cependant un peu, Lambert fut l'une des gloires de l'Académie fondée par le grand Frédéric. Son érudition était merveilleuse, et ses connaissances des plus variées. A l'exemple de Leibniz, auquel on l'a souvent comparé, il écrivit avec compétence sur les sujets les plus disparates, philosophie, théologie, esthétique, physique, géographie:

(1) Johann Heinrich Lamberts Monatsbuch mit den zugehörigen Kommentaren sowie mit einem Vorwort über den Stand der Lambertforschung, herausgegeben von K. Bopp, Heidelberg. Vorgelegt am 5. December 1914. ABHANDLUNGEN DER KOENIGLICH BAYERISCHE AKADEMIE DER WISSENSCHAFTEN (Mathematisch-physikalische Klasse, XXVII Band, 6. Abhandlung, München, Verlag der Koeniglich Bayerischen Akademie der Wissenschaften, 1916, in-4o de 84 pages et deux photogravures hors texte. La première représente Lambert dans son cabinet d'études, donnant une leçon à cinq personnages qui l'écoutent. La seconde nous offre un specimen de son écriture. C'est la reproduction d'une page du codex Got. 740, dans laquelle Lambert donne la liste de ses principaux travaux antérieurs à 1771.

Peut-être n'est-il pas hors de propos d'observer que Lambert traduit lui-même le mot Monatsbuck par Diarium.

que sais-je encore? Mais il se distingua surtout par des travaux de premier ordre en mathématique et en astronomie.

Lambert a beaucoup publié, notamment dans les collections de l'Académie de Berlin; cependant, ses travaux inédits semblent ne devoir le céder, ni en nombre, ni en valeur à ceux qui ont déjà vu le jour. Sa correspondance avec les personnalités scientifiques de son temps était très active, et il est permis de croire, d'après ce qu'on en connaît, qu'elle était loin d'être banale. Il y aurait probablement bien des choses à y apprendre, car les plus illustres savants de l'Europe se faisaient gloire d'être en relations épistolaires avec Jean Henri Lambert. La correspondance et les manuscrits de Lambert forment aujourd'hui l'une des richesses de la bibliothèque du château de Friedenstein à Gotha.

Que conviendrait-il d'en publier, quand les circonstances permettront de donner une édition des Euvres de Lambert, désirée depuis longtemps? Comment répartir les lettres et mémoires inédits parmi les écrits de Lambert qui ont déjà été imprimés une première fois? Probablement faudra-t-il faire le départ entre la correspondance et les mémoires. Mais dans chacune de ces subdivisions l'ordre chronologique sera sans doute le meilleur, pour ne pas dire le seul possible. Or, c'est ici que le travail de M. Bopp est appelé à rendre grand service, car une vaste collection d'écrits comme celle de Lambert est presque toujours difficile à mettre en ordre. Heureusement que, cette fois, l'auteur lui-même nous a laissé un document propre à faciliter beaucoup le classement : j'ai nommé son « Diaire ».

De janvier 1722, jusqu'en mai 1777 c'est-à-dire jusque quatre mois avant sa mort Lambert prit l'habitude. de noter en peu de mots, mois par mois, ce qui avait fait l'objet de ses études pendant le mois écoulé. Il y fut fidèle avec une constance et une ténacité remarquables. Tel est l'objet du « Diarium », et c'est le document que nous donne aujourd'hui le successeur de Cantor dans la chaire d'histoire des mathématiques d'Heidelberg.

Si l'éditeur s'était contenté de le publier sans y rien ajouter, par cela seul il eût déjà fait œuvre excellente. Mais il a cru bon d'aller plus loin. Le « Diarium » devant, comme

nous venons de le dire, servir de fil conducteur pour classer les travaux de Lambert, M. Bopp n'a pas voulu laisser à d'autres le soin d'exécuter cette œuvre de patience, aussi longue que délicate. Dans une annotation très riche et très serrée, il nous indique non seulement, mois par mois, mais, s'il m'est permis de m'exprimer ainsi, membre de phrase du Diaire par membre de phrase, quels sont les travaux, soit imprimés, soit manuscrits, de Lambert qui semblent avoir été le fruit de chacune de ses méditations. C'est très original, mais encore une fois très utile.

Il va de soi, cependant, que malgré son mérite, une étude comme celle de M. Bopp ne saurait être définitive. On la complétera probablement, on en corrigera peut-être plus d'un détail. N'importe, elle rendra néanmoins telle quelle les plus grands services. Il faut en remercier l'auteur.

Jean Henri Lambert fut membre de l'Acadamie de Bavière. L'Académie accueillit le « Diarium » dans ses ABHANDLUNGEN, à la mémoire de son ancien et illustre associé.

Pierre Duhem, par ÉMILE PICARD (1). — Le 12 décembre 1921, dans la séance publique annuelle de la Classe des Sciences de l'Institut de France, M. Emile Picard a fait une lecture sur La vie et l'Euvre de Pierre Duhem. Nous ne pourrions mieux clore ce Bulletin qu'en signalant à nos lecteurs l'hommage qu'il y a rendu à notre ancien collègue de la Société Scientifique.

«Nos classifications académiques, y disait M. Picard dans l'exorde, aiment à placer les savants dans des cadres bien définis; celui-ci est géomètre, cet autre physicien, celui-là chimiste. La spécialisation, souvent nécessaire dans les recherches modernes, rend en général utile notre division en sections. Il serait à désirer, cependant, qu'on l'entende parfois d'une manière plus large, en corrigeant ce qu'elle a de trop rigide. Cette réflexion m'est imposée par l'œuvre du confrère éminent qui n'a fait que passer parmi

(1) Institut de France. Académie des Sciences. La vie et l'Euvre de Pierre Duhem, membre de l'Institut, lues dans la séance publique annuelle du 12 décembre 1921, par M. Emile Picard, Secrétaire perpétuel. Paris, Gauthier-Villars, 1921. Une brochure in-4o de 44 pages et un portrait de Duhem hors texte.

nous, Pierre Duhem. Si ce théoricien de la mécanique, de la physique et de la chimie eût habité Paris, trois de nos sections se le seraient peut-être successivement renvoyé, et son cas se fût aggravé de ce qu'il cultivait en même temps l'histoire et la philosophie des sciences. Nous avons heureusement, depuis dix ans, une division de membres non résidents qui n'est pas fractionnée en spécialités. Duhem y a trouvé la place que méritaient la puissance de son esprit et le labeur intense qu'il a fourni dans des voies très diverses pendant une carrière trop tôt interrompue. Je vais essayer de retracer aujourd'hui sa Vie et son Euvre.

Faut-il dire le talent et l'autorité avec lesquels l'éminent secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences a rempli ce programme ? En Duhem, comme il l'annonce dans son exorde, il étudie successivement le professeur de mécanique, le chimiste, le physicien, l'historien, le philosophe. Sans qu'il s'en explique en termes exprès, il semble bien qu'aux yeux de M. Picard, les fondements de la mécanique soient le plus beau titre de gloire de Duhem. En cela peut-être a-t-il raison, je n'insiste pas, car M. Picard pourrait me reprocher de soulever plutôt là une question oiseuse. Malgré leur diversité apparente, les études de Duhem concourent, en effet, toutes au même but, et comme M. Picard le fait remarquer, non sans insistance, elles ont entre elles des liens nombreux, disons plus elles ont une unité fort grande. Ces considérations et bien d'autres encore, M. Picard nous les présente en des tableaux clairs, largement dessinés, que n'obscurcissent ni de trop nombreux détails d'érudition, ni de multiples données bibliographiques. L'émotion perce dans le discours. Écoutons-en la péroraison. L'orateur y oublie un peu le savant pour se laisser entraîner par la sympathie que lui inspirait son ami.

« Qu'il me soit permis d'ajouter, dit-il, qu'en Duhem l'homme s'élevait à la hauteur du savant; tous ceux qui l'ont connu et approché admiraient l'indépendante fierté de son caractère, son inflexible conscience, la bonté et la sûreté de son cœur.

» La facilité de travail de Duhem était prodigieuse. Mémoires scientifiques, articles philosophiques ou historiques, il menait tout de front, comme en se jouant; les pages

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