Page images
PDF
EPUB

M. Karpinski a ajouté à son édition une traduction anglaise du premier texte et divers commentaires. Je me plais à y signaler surtout les exemples numériques joints à la traduction anglaise. Ils en éclaircissent beaucoup le sens ; car, il faut bien l'avouer, les vieux algorismes du Moyen Age sont, à une première lecture, parfois plus difficiles à comprendre qu'on pourrait le croire.

Les titres de gloire des Italiens, dans les Progrès de l'Algèbre, par BORTOLLOTI (1). Il me serait assez difficile de louer à la fois le fond et la forme de l'article de M. Bortolotti; je commencerai donc par dire le bien que je pense du fond. La travail est le fait d'un érudit averti, fort au courant du sujet qu'il traite. Le lecteur y apprend du neuf, notamment dans les renseignements bibliographiques. L'orateur car nous ne sommes pas en face d'un mémoire, mais bien d'un discours l'orateur, dis-je, a divisé ce discours en deux parties: 1o Léonard de Pise et l'origine des mathématiques italiennes; 2o L'École de Bologne, la théorie de l'équation du 3e degré et les prodromes de la méthode infinitésimale.

Dans cette seconde partie, pour commencer par elle, nous trouvons le récit du différend tapageur de Cardan et de Tartaglia, qui tourna en querelle ardente, souvent racontée, mais dont on relit volontiers les épisodes. A la fin de la seconde partie, M. Bortolotti mentionne complaisamment l'Algèbre de Bombelli. Il a mille fois raison, et je lui reprocherais même de s'être contenté d'effleurer le sujet. L'orateur, je le sais, est revenu à Bombelli deux ans plus tard, dans son discours inaugural à l'Université de Bologne (2); mais encore beaucoup trop sommairement à

(1) Prof. Ettore Bortolotti, Italiani Scopritori e Promotori di teorie algebriche. Discorso inaugurale. ANNUARIO DELLA REGIA UNIVERSITA DI MODENA. ANNO ACCADEMICO 1918-1919. Modena, G. Ferraguti, 1919; pp. 49-148.

(2) Lo studio di Bologna, ed il rinnovamento delle Scienze matematiche in Cccidente. Discorso inaugurale letto dal Prof. Ettore Bor tolotti ordinario di analisi algebrica. ANNUARIO DELLA REGIA UNIVERSITA DI BOLOGNA, PER L'ANNO ACCADEMICO 1920-1921, DALL'ORIGINE ANNO DCCCXXXIII. Bologna, Paolo Neri, 1921; pp.

mon gré. L'Algèbre de Bombelli mérite plus et mieux. Il nous en manque une étude approfondie, avec extraits justificatifs à l'appui; car, du moins à l'étranger, le volume est rare et on est le plus souvent réduit à l'admirer sur la foi d'autrui et de confiance. Dans l'analyse détaillée, que je préconise, je voudrais voir comparer l'œuvre de Bombelli aux travaux similaires de ses principaux contemporains, Cardan, Stifel, Nunes, Pelletier, Butéon, Petri, Stevein et d'autres encore. Le grand Italien soutiendrait sans trop de peine l'épreuve. Pourquoi M. Bortolotti ne tenterait-il pas ce travail ?

Abordons maintenant la première partie du discours. Elle est consacrée, je viens de le dire, à Léonard de Pise. L'orateur s'y livre à un réquisitoire en règle contre Moritz Cantor. Il y critique le parallèle que le professeur d'Heidelberg établit entre Léonard de Pise et Jordan de Nemore. M. Bortolotti admet, après le prince Boncompagni, Treutlein, Curtze et Cantor que Jordan est Allemand. C'est probable effectivement. Mais avant d'assommer cet Allemand à coups de butoir, l'orateur de Bologne n'eût-il pas été bien avisé de réfuter Duhem, et de nous montrer que ses assauts redoublés ne risquaient pas de tomber sur la tête d'un Italien? On sait que dans ses Origines de la Statique (1), le professeur de Bordeaux traduit le nom de Jordanus Nemorarius par Giordano de Nemi et que, d'après lui, Nemi désigne le lieu d'origine de Giordano.

Dans ses attaques contre Cantor, M. Bortolotti soutient une triple thèse : L'auteur des Vorlesungen ueber Geschichte der Mathematik s'est efforcé, dit-il, d'accréditer trois erreurs relatives à Léonard de Pise. 1o Il cherche à faire croire que Léonard fut méprisé par ses compatriotes et qu'il dut tous ses succès à l'empereur Frédéric II et ses courtisans ; 2o Léonard fut un brillant météore dont l'éclat s'éteignit en peu d'années; 3o Les mathématiques indiennes ne se propagèrent pas en Occident, grâce à l'influence de Léonard, mais à celle du moine saxon Jordan de Nemore.

Les thèses de M. Bortolotti doivent se considérer à un double point de vue. En tant qu'elles suspectent la bonne

(1) T. I. l'aris, Hermann, 1905, p. 106.

foi et l'équité de Cantor, il est impossible de s'y rallier. Semblable défiance n'est pas l'impression que laisse la lecture des Vorlesungen. J'ajouterai, en ce qui me concerne, que j'ai toujours rencontré chez le vieux maître d'Heidelberg, le correspondant le plus impartial et le plus loyal du monde. C'était aussi le plus tolérant, et il eût examiné avec une curiosité bienveillante les thèses de M. Bortolotti, car elles sont intéressantes. Pour moi, je n'oserais me prononcer sur les deux premières. Les documents me font défaut pour me former une opinion. Il en est autrement de la troisième. Et tout d'abord, celui qui connaît les ouvrages originaux de Jordan de Nemore et de Léonard de Pise admettra très difficilement avec M. Bortolotti que les premiers soient l'œuvre d'un «pygmée » allemand comparée à un «< géant »> italien. Léonard est un «< géant », d'accord. Mais le pygmée» n'est pas si petit que cela: c'est au contraire un fort grand homme. J'admets, cependant, volontiers et c'est, au surplus, l'avis de Cantor lui-même (1) — qu'en fait de génie mathématique, le Géomètre italien l'emporte sur l'Allemand. La solution de la célèbre équation numérique du 4o degré est, pour l'époque, une merveille de calcul exécutée par Léonard, dont il serait difficile de trouver l'équivalent chez Jordan. Mais, d'autre part, ce dernier était moine. Son habit, quoi qu'en pense M. Bortolotti, lui assura, du moins dans les pays du Nord, une influence que n'y eut pas Léonard. Je pourrais en apporter comme preuve les grandes abbayes de Ter Doest et des Dunes, dont les manuscrits sont aujourd'hui l'un des trésors de la Bibliothèque de la Ville de Bruges, comme je viens de le dire. Léonard de Pise, il faut bien le reconnaître, au Moyen Age, passa chez nous inaperçu.

Le discours de M. Bortolotti appelait ces réserves, mais je me hâte de reconnaître que pour la plupart l'orateur peut invoquer une excuse. Il n'a pas écrit à froid. Il a parlé de vive voix, à de jeunes Italiens, dont il voulait échauffer le patriotisme au sortir de la guerre. Sans aller peut-être aussi loin, qui de nous à cette époque et en pareille circonstance n'eût pas forcé la note ?

(1) Vorlesungen, ze éd., t. II, Leipzig, Teubner, 1900, p. 86.

A propos de Torricelli, par BORTOLLOTI et LORIA (1).Une polémique, dont la vivacité toute méridionale tranche sur le ton d'ordinaire plus calme des discussions scientifiques chez les hommes du Nord, se poursuit entre M. Hector Bortolotti, professeur à l'Université de Bologne, et M. Gino Loria, professeur à l'Université de Gênes, à l'occasion de la récente édition que celui-ci a donnée des Œuvres de Torricelli, avec la collaboration de M. Giuseppe Vassura. J'aime à y voir plutôt un tournoi qu'une querelle. Il ne saurait, cependant, entrer dans les intentions de la Rédaction de la REVUE d'y prendre une part active. Il s'y agit moins d'une question de fait, que d'une appréciation personnelle. Chacun des deux champions possède assez d'autorité et de talent pour défendre lui-même son opinion. Ensuite et surtout, l'abstention s'impose, parce que le différend me paraît provenir plutôt d'un malentendu que d'une vraie divergence sur le fond de la question. Les deux jouteurs s'accordent, en effet, sur la haute valeur de Torricelli, et ils ont raison. Mais alors quoi ?

En spectateur désintéressé, qui voit de loin les reprises de l'assaut, je dirai qu'il y a entre MM. Bortolotti et Loria deux points contestés : La valeur de la récente édition des Euvres de Torricelli; la place qui revient à Torricelli dans l'histoire du Calcul infinitésimal.

J'ai répondu ailleurs (2) à la première question, et je me résume ici en deux mots. Malgré ses défectuosités, l'édition de Torricelli nous a révélé l'illustre savant de Faenza. En dehors de l'Italie, ou du moins en Belgique, ses œuvres étaient des raretés bibliographiques. Nous en étions réduits à l'admirer de confiance et sur la foi d'autrui; nous ne le connaissions pas. Grâce à M. Loria, ses écrits nous sont aujourd'hui accessibles. Il faut en savoir gré à l'éditeur.

(1) L'Opera geometrica di Evangelista Torricelli, par Loria. IL BOLLETTINO DI MATEMATICA. Nuova serie, t. I, Florence, 1922, 2o part.; pp. I-VII.

Compte rendu critique de l'article précédent, par H. Bortolotti. PERIODICO DI MATEMATICHE, Sér. IV, t. II, Bologne, 1922; pp. 274-279. Réplique de Loria. Même vol., pp. 364-369.

(2) ANNALES DE LA SOC. SCIENT., t. XLI, année 1921-1922, 2o part., PP. 141-148.

La nouvelle édition contient beaucoup de fautes, objecte M. Bortolotti; elle aurait pu être mieux soignée.

C'est entendu. Mais, il y a à cela une excuse. L'édition a paru au milieu du trouble de la guerre. M. Loria n'a pas cru devoir choisir entre tout ou rien. Il a préféré nous donner son travail tel quel. Loin de le regretter, je m'en félicite. Nous possédons, enfin, je viens de le dire, l'instrument indispensable à l'étude de Torricelli.

La seconde question est plus complexe. Torricelli clôt-il l'ère purement géométrique d'Euclide, comme le dit M. Loria? Ouvre-t-il, au contraire, avec son ami Cavalieri, l'ère de l'analyse infinitésimale moderne, comme le soutient M. Bortolotti ?

Posées en ces termes, ni l'une ni l'autre de ces questions ne me paraît susceptible d'une réponse courte et précise. Elles nécessitent beaucoup de distinction. Ni l'une ni l'autre, en effet, ne tient compte suffisamment du progrès lent et continu de la science. Quand on s'en rapporte aux Œuvres de Torricelli, on constate que l'auteur y fait encore beaucoup de géométrie à la manière des anciens. Il s'y sert aussi, et très habilement, des indivisibles de Cavalieri. Mais, à ce dernier point de vue, il ne saurait cependant soutenir la comparaison avec le grand Milanais. A ce propos, je me contenterai de dire que tous deux sont assez inexactement connus aujourd'hui. Ils devraient être étudiés à nouveau dans leur cadre; c'est-à-dire dans l'ensemble des travaux de leurs prédécesseurs, Stevin, Luc Valerio, Kepler, Snellius et tant d'autres géomètres de talent, qui leur préparèrent le terrain. Il en ressortirait, que ni Torricelli, ni Cavalieri, ne vinrent brusquement bouleverser les méthodes d'Archimède. Cette œuvre de transformation était commencée depuis un demi-siècle. Mais, ils y donnèrent une impulsion puissante, qui fit peut-être trop oublier leurs devanciers.

Il faut bien reconnaître aussi que, tandis que notre analyse infinitésimale est tout algébrique, celle de Cavalieri et de Torricelli est encore purement géométrique. Définir où commence l'ère moderne de l'analyse infinitésimale,paraît donc chose un peu conventionnelle, qui dépend surtout du point de vue auquel on se place. Il est bien permis d'y différer d'avis. Pour moi, sans y attacher beaucoup d'im

« PreviousContinue »