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d'un géomètre; mais celui-ci, comme tel, est loin d'éclipser ses contemporains. Encore une fois, pareil éloge serait une exagération. Si on s'est plu à le répéter, du moins est-ce en dehors du cercle des historiens des mathématiques.

Et d'abord, on ne voit pas en quoi Pascal-géomètre éclipse, par exemple, Fermat ; bien au contraire. Non seulement ce dernier l'égale en tout, mais il eut une plus grande influence que lui sur les progrès de l'analyse infinitésinale. De plus, s'il créa avec Pascal le calcul des probabilités, il créa, en outre, avec Descartes, la géométrie analytique, que Pascal ignora toujours.

En géométrie puie, Desargues l'emporte nettement sur Pascal par son esprit d'invention, ou, si l'on préfère, par son esprit de finesse ; mais Desargues est obscur. Pascal a popularisé quelques théorèmes du Lyonnais, en les formulant clairement, notamment celui de l'Involution ; mais, il y ajouta son propre théorème de l'hexagramme mystique, qui lui fait grand honneur.

Il n'y a pas lieu d'établir un parallèle entre Descartes et Pascal, dont les méthodes diffèrent trop. Le premier est algébriste ; le second - et je l'ai dit à satiété — ignora, ou du moins, dédaigna toujours l'algèbre. La conséquence devait en être fatale, et le fut. Descartes a laissé sur l'analyse une trace ineffaçable ; celle de Pascal est nulle ou à peu près.

Dans le calcul infinitésimal, Cavalieri imagine les artifices géométriques avec une virtuosité étourdissante ; mais il écrit en logogriphes et fait peu de cas de la rigueur. Sans l'égaler, Pascal possède quelque chose de son ingéniosité. Dans son Traité de la sommation des puissances semblables, il a encore les idées confuses du Bolonais sur la nature des indivisibles. En revanche, plus tard, dans ses travaux sur la cycloïde il les mania avec la correction qu'y mettent Tacquet et Grégoire de Saint-Vincent. Ajoutons que dans ses mémoires sur la cycloïde il prend pour point de départ de son analyse infinitésimale tout entière, la balance d’Archimède à laquelle il applique la théorie des nombres figurés. C'est original, mais peu naturel pour démontrer les théorèmes de géométrie pure ; aussi sa méthode n'a-t-elle guère eu d'imitateurs.

Restent la théorie des nombres et le calcul des probabilités. Ce sont les plus beaux titres de gloire du mathématicien Pascal ; aussi les ai-je réservés pour mettre fin à ce coup d'ail d'ensemble. Pascal s'y montre un maître et n'y mérite que des éloges. Son petit Traité du Triangle arithmétique proprement dit est un chef-d'ouvre d'ordre et de clarté. Peut-être est-ce même ce qu'il nous a laissé de plus achevé en mathématiques. Nous n'avons pas l'équivalent pour le calcul des probabilités, car les travaux de Pascal écrits directement en vue de ce calcul sont perdus. Mais dans la Préface de son De ratiociniis in ludo aleae (I),

(1) (Euvres complètes de Christiaan Huygens, t. XIV, La Haye, 1920, pp. 56-58.

Voici, traduites textuellement, les expressions de Huygens :

« Il faut savoir d'ailleurs qu'il y a déjà un certain temps que quelques-uns des plus célèbres Mathématiciens de toute la France se sont occupés de ce genre de calcul, afin que personne ne m'attribue l'honneur de la première invention qui ne m'appartient pas. »

Ces célèbres mathématiciens français sont, avant tout, Pascal et Fermat. Mais, leurs écrits s'étant perdus, il est difficile de préciser la part qui revient à chacun d'eux dans le travail du modeste Hol landais, et encore plus celle qu'on doit, malgré sa loyale déclaration, assigner à Huygens lui-même. Elle est très grande.

Car, il ne faudrait évidemment pas outrer le sens des paroles de Huygens. Voici comment il les précise (0. c., t. XIV, p. 58) :

« Ces savarts (Pasal et Fermat), quoiqu'ils se missent à l'épreuve l'un l'autre en se proposant beaucoup de questions difficiles à résoudre, ont cependant caché leurs méthodes. J'ai donc dû examiner et approfondir moi-même toute cette matière à commencer par les éléments et il m'est impossible, pour la raison que je viens de mentionner, d'affirmer que nous somines partis d'un même premier principe. »

Le mémoire de Huygens fut publié par son professeur, François van Schooten, en appendice d'un de ses propres ouvrages qui parut à trois ans de distance en latin et en hollandais.

Titre de départ : Francisci à Schooten Exercitationum Mathematicarum Libri quinque... sans lieu, ni date, ni nom d'imprimeur.

Titre spécial du livre V: Francisci à Schooten Leydensis In Academia Lugduno-Batava Matheseos Professoris Exercitationum Mathematicarum Liber V. Continens Sectiones triginta miscellaneas. Ivgd. Batav. Ex Officina Johannis Elsevirii, Academiae Typographi. M. DC. LVII.

La disposition des titres de l'édition hollandaise est analogue :

Huygens, probablement mieux documenté que nous, fait profession de devoir à Pascal et à Fermat presque tout ce que cet ouvrage immortel contient de bon.

Titre de départ : Francisci van Schooten Mathematische Oeffeningen...

Titre du livre V: Vijfde Bouck der Mathematische Oeffeningen Begrijpende Dertich Afdeelingen van gemengde stoffe. Door Franciscys van Schooten, Professor Matheseos in de Vniversiteyt tot Leyden. 't Amsterdam, By Gerrit van Goedesbergh... Anno 1660. Cette édition doit être regardée comme l'édition originale de Huygens qui écrivit son Mémoire en Hollandais. Van Schooten se chargea de la traduction latine.

Jacques Bernoulli a fait du mémoire de Huygens la première partie de son Ars conjectandi ... Basileae, Impensis Thurnisiorum, Fratrum. M. DCC. XIII, pp. 1-71.

On voit en quel sens on peut dire avec vérité que Pascal et Fermat créèrent le calcul des Probabilités. Sans leurs travaux, aujourd'hui perdus, les ouvrages fondamentaux d'Huygens et de Bernoulli n'eussent probablement jamais existé.

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Extrait des Annales de la Société scientisque de Bruxelles Tome XLIII, première partie. Documents et Comptes rendus, p. 187

Session du 31 janvier 1924. Première section.

A PROPOS
DE LA PREMIÈRE TRADUCTION FRANÇAISE

DES « CONIQUES » D'APOLLONIUS

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par le P. H. BOSMANS, S. J. (1)

Apollonius naquit à Perge en Pamphylie et vécut au déclin du troisième et au début du second siècle avaut Jésus-Christ. Il est donc presque le contemporain d'Archimède, qui le précède cependant d'environ un demi-siècle. On sait peu de chose de sa vie, si ce n'est qu'il la passa en majeure partie à Alexandrie. Il séjourna aussi quelque temps à Pergame, où il rencontra l'historien des mathématiques Eudème et le géomètre Attale, auxquels il adressa successivement les huit livres de la seconde édition de ses Coniques. C'est de cet ouvrage fameux que M. Paul Ver Eecke vient de publier une traduction.

Elle est faite d'après les principes adoptés par l'auteur dans sa traduction des Euvres d' Archimède (), c'est-à-dire, en s'efforçant de serrer le texte grec d'aussi près que le permet le génie de la langue française, sans jamais sacrifier, même dans ses nuances, l'exactitude à l'élégance ; mais en multipliant

☺) Les Coriques d' A pollonius de Perge. Euvres traduites pour la première fois du grec en français, avec une introduction et des notes, par Paul Ver Eecke, Ingénieur des mines (A. I. I.g.), Inspecteur général du travail. Ouvrage publié sous les auspices de la Fondation Uhiersitaire de Belgique. Bruges, Desclée et De Brouwer, 1924.

(*) Euvres complètes d'Archimède traduites du grec en français, avec une introduction et des notes, par Paul Ver Eerke. Paris et Bruxelles, Desclée-De Brouwer, 1921.

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