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Extrait des Annales de la Société scientifique de Bruxelles Tome XLIII, première partie. Documents et Comptes rendus, p. 187 Session du 31 janvier 1924. Première section.

A PROPOS

DE LA PREMIÈRE TRADUCTION FRANÇAISE
DES « CONIQUES » D'APOLLONIUS

par le P. H. BOSMANS, S. J. (')

Apollonius naquit à Perge en Pamphylie et vécut au déclin du troisième et au début du second siècle avaut Jésus-Christ. Il est donc presque le contemporain d'Archimède, qui le précède cependant d'environ un demi-siècle. On sait peu de chose de sa vie, si ce n'est qu'il la passa en majeure partie à Alexandrie. Il séjourna aussi quelque temps à Pergame, où il rencontra l'historien des mathématiques Eudème et le géomètre Attale, auxquels il adressa successivement les huit livres de la seconde édition de ses Coniques. C'est de cet ouvrage fameux que M. Paul Ver Eecke vient de publier une traduction.

Elle est faite d'après les principes adoptés par l'auteur dans sa traduction des Euvres d' Archimède (), c'est-à-dire, en s'efforçant de serrer le texte grec d'aussi près que le permet le génie de la langue française, sans jamais sacrifier, même dans ses nuances, l'exactitude à l'élégance; mais en multipliant

() Les Coniques d'Apollonius de Perge. Œuvres traduites pour la première fois du grec en français, avec une introduction et des notes, par Paul Ver Eecke, Ingénieur des mines (A. I. Lg.), Inspecteur général du travail. Ouvrage publié sous les auspices de la Fondation Universitaire de Belgique. Bruges, Desclée et De Brouwer, 1924. (Euvres complètes d'Archimède traduites du grec en français, avec une introduction et des notes, par Paul Ver Eecke. Paris et Bruxelles, Desclée-De Brouwer, 1921.

d'autre part les éclaircissements utiles dans les notes de petit texte du bas des pages.

On a beaucoup discuté et on ne se mettra probablement jamais d'accord sur la meilleure règle à suivre pour traduire les géomètres grecs. Aussi, pour éviter toute équivoque, je déclarerai tout d'abord et sans ambages que la méthode de M.Ver Eecke me paraît excellente.Mais, est-elle la seule bonne ? Et pour être précis, faut-il désormais proscrire toute traduction en notations modernes ? Ici j'hésite à répondre, car cela dépend du point de vue du lecteur.

Balsan (') et Heath (') ont traduit les Coniques d'Apollonius en notations modernes, ce qui rend pour nous leur version fort claire. Plus d'un géomètre apprécie avant tout cette clarté, ce qui se comprend. Mais la facilité de lecture qui s'ensuit n'a-t-elle pas l'inconvénient grave de ne plus nous donner une connaissance véritable des méthodes grecques? Il faut reconnaître sans hésiter qu'il en est bien ainsi. Une notation moderne nous permet seulement d'entrevoir ce qu'était la démonstration grecque. Si elle en conserve l'idée générale, elle lui enlève sa saveur archaïque et la prive souvent de son caractère propre. Il ne faut pas oublier, en effet, qu'un mathématicien grec, contemporain d'Apollonius, ne soupçonne pas ce que peut être un algorithme formé comme le nôtre de lettres et de signes d'opération. Il lit, sur une figure géométrique, les conclusions arithmétiques et algébriques que nous déduisons d'une formule. La figure classique du carré de l'hypoténuse, par exemple, lui tient lieu de notre formule a2+ b2=c2. De plus, au cours des démonstrations, il invoque des théorèmes sur la transformation des proportions, là où nous usons d'égalités algébriques. N'est-il pas clair, dès lors, que ce qui nous paraît détour et complication est pour lui la voie directe? et qu'au

(1) Apollonius von Perga sieben Bücher über Kegelschnitte nebst dem durch Halley wieder hergestellten achten Buche. Deutsch bearbeitet von H. Balsam... Berlin, 1861, Verlag von Georg Reimer.

(2) Apollonius of Perga treatise on conic sections edited in modern notation with introduction including an essay on the earlier history of the subject, by T. L. Heath... Cambridge, University Press, 1896.

point de vue historique et méthodologique, il y a un vrai intérêt à pouvoir s'en rendre compte? Or, ces transformations des proportions, ces démonstrations algébriques par des figures géométriques, un Euclide, un Archimède, un Apollonius les exécutent avec une maîtrise et une élégance que nous ne soupçonnons plus. Voilà cependant ce qu'on peut désirer connaître et ce que les notations modernes dissimulent presque complète

ment.

Ceci dit, examinors l'oeuvre même du géomètre de Perge. Elle se compose de huit livres, divisés, d'après l'auteur lui-même, en deux groupes de caractère différent : Celui des quatre premiers livres, qui constitue les Éléments des Coniques; celui des quatre derniers, qui est d'un genre plus relevé et se compose de mémoires originaux.

Justifions d'abord ce nom d'Éléments donné par Apollonius lui-même aux quatre premiers livres. Zeuthen a démontré ('), et tous les historiens des mathématiques admettent depuis lors, que les Grecs eurent jadis une savante et belle algèbregéométrique. Je ne répéterai pas ici une fois de plus, pourquoi les Grecs n'eurent néanmoins jamais l'idée de s'y servir de lettres; pourquoi ils préférèrent employer des lignes dans leurs démonstrations, ce qui les conduisit naturellement à en représenter le résultat final par une figure géométrique qui leur rappelait les opérations à effectuer.

Mais, il fallait construire ces figures, ce qui donnait lieu tantôt à des Problèmes plans, c'est-à-dire, des constructions qui pouvaient s'exécuter par la règle et le compas ; tantôt à des Problèmes solides, c'est-à-dire, à des dessins dont le tracé géométrique exigeait l'emploi des Coniques. Ce nom de Problème solide provenait de ce que les trois coniques, tout en étant des courbes planes, ne se définissaient qu'à l'aide d'un

(1) Histoire des mathématiques dans l'Antiquité et dans le Moyen Age, par H. G. Zeuthen.. Édition française revue et corrigée par l'auteur, traduite par Jean Mascart. Paris, Gauthier-Villars, 1902. Voir dans la Table des matières les passages indiqués aux mots « Équations du second degré, »

solide, le cône. On nommait aussi les coniques Lieux solides, par opposition aux deux Lieux plans qui étaient la droite et la circonférence.

Or, quand il ne s'agissait que de construire la figure-formule de solution de l'équation du second degré, le problème était plan. Euclide fait de la formule de solution de cette équation l'un des principaux objets du second livre et celui des propositions 27-30 du sixième livre de ses Eléments (1).

Mais quand des problèmes tels que la duplication du cube, la trisection de l'angle ou d'autres plus compliqués conduisaient à des équations des troisième ou quatrième degrés, le problème devenait solide. De là chez les Grecs une question d'une importance primordiale pour eux, dont voici l'énoncé général : Deux coniques étant données, déterminer leurs points d'intersection. Il forme l'objet du quatrième livre des Coniques d'Apollonius et donnait lieu à une vraie algèbre-géométrique supérieure, tandis que la résolution des équations du second degré par les lieux plans était du ressort de l'algèbre-géométrique élémentaire. Sans vouloir forcer l'analogie, il y avait entre la théorie des équations chez les Grecs et la rôtre un parallélisme lointain.

On m'excusera de m'être attardé à rappeler ces détails; ils vont m'être utiles.

Dès avant Apollonius, le problème de l'intersection des lieux solides fut chez les Grecs l'objet de plusieurs ouvrages classiques nommés Eléments des Coniques. Il en faut nommer au moins deux, aujourd'hui perdus il est vrai, mais qui ont laissé un souvenir dans l'histoire de la science: ceux d'Aristée et ceux d'Euclide. Les quatre premiers livres du géomètre de Perge ne sont donc pas une création originale. Mais les essais de ses prédécesseurs laissaient beaucoup à désirer et présentaient des lacunes importantes. Il les reprit, les corrigea et les compléta. Beaucoup des beaux théorèmes, qu'on lit chez lui, sont neufs, dit-il, et de son invention.

Parmi ses trouvailles, il en faut signaler au moins deux.

(3) Il ne s'agit, bien entendu, que des racines positives des équations.

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