Renterghem 1), Provincial de Flandre-Belgique, et est écrite d'une plume très émue. Le Recteur a passé la nuit au chevet de son subordonné et vient de recueillir son dernier soupir. Rien du style officiel, raide, bref et froid qu'ont souvent les lettres mortuaires de ce genre. On sait que ces lettres se conservent en grand nombre aux Archives Générales. Ce n'est pas une perte ordinaire que le Collège vient de faire; c'est le savant en vue, qui était l'honneur de la maison, mais c'est aussi le religieux, qui par son caractère jovial, pieux et un peu enthousiaste, faisait le charme de la communauté. La lettre du P. van der Mersch est écrite sans le moindre apprêt et même avec une certaine négligence, qui la rend par moments difficile à traduire si l'on cherche à serrer le texte de près; mais elle est vivante. La voici telle quelle en entier, sans l'interrompre par des éclaircissements. Je reviendrai ensuite sur quelques-uns des faits qu'elle raconte, en tâchant de les préciser et de les compléter. C'est, bien entendu, un document qui n'a pas la prétention d'un morceau de littérature: van der Mersch eût été fort surpris, si on lui avait dit qu'il serait un jour publié 2). ,, Révérend Père dans le Christ. ,, La paix de N.-S. ,, Le troisième mois de l'Ordre (le 3 mois scolaire) a été funeste pour ce collège. Il nous a enlevé cette nuit, pour le transporter au Ciel, nous l'espérons, le P. André Tacquet, qui avait reçu à temps tous les Sacrements de l'Église en présence des Pères et des Frères. ,, Né à Anvers, l'an 1611 3), il était entré dans la Compagnie en 1629 et avait fait la profession des quatre vœux, le 1er novembre 1) Jean-Baptiste van Renterghem naquit à Anvers, le 23 juin 1606, et entra au noviciat de Malines, le 5 octobre 1623. Ordonné prêtre, le 7 avril 1635, il fut quatre ans missionnaire en Hollande, recteur du Collège de Bruges (avril 1653avril 1656), deux fois recteur du Collège de Louvain (1 août 1646-10 août 1650 et 12 janvier 1662-28 mars 1666), provincial de Flandre-Belgique (24 août 16578 novembre 1661), recteur du 3e an de probation à Lierre (9 mai 1664-...1669). Envoyé enfin à la Maison professe d'Anvers, il y mourut le 6 novembre 1681. 2) Archives jésuitiques. Provinces Flandre-Belgique, no 1477. La signature seule est autographe, le reste de la pièce est de la main d'un secrétaire. Ceci s'explique aisément par le fait que la lettre mortuaire s'envoyait à toutes les maisons de la Province. 3) Je crois cette date erronée. La plupart des documents le font naître en 1612. temps qu'il passa dans la Compagnie fut en partie employé à étudier les Mathématiques, mais surtout à les enseigner, à Louvain et à Anvers, tant aux Nôtres qu'aux étrangers. Il le fit avec autant de succès que d'honneur pour la Compagnie, et compta des élèves bien formés recrutés dans la noblesse de Pologne, de Bohême, d'Allemagne, de France et d'autres nations. La réputation de son savoir le mit plus d'une fois en relations épistolaires avec les principaux mathématiciens de l'Europe, qui le consultaient sur des matières relatives à leur science. Les supérieurs de Rome et de Belgique le stimulaient à écrire, et il se préparait à publier un ouvrage remarquable, encore inédit, qui s'étendait à cette science tout entière. Il y avait préludé en mettant au jour divers opuscules sur la même matière. Dans leurs Préfaces, il manifestait toujours qu'il n'avait en vue qu'un seul but diriger le cœur et l'esprit du lecteur vers Celui qui a tout fait avec nombre, poids et mesure. Durant le cours entier de sa vie, il joignit la piété à la science. De sa jeunesse à son dernier soupir, son innocence et la délicatesse de sa conscience restèrent immaculées et à l'abri de toute espèce de souillure. Dès avant son entrée dans la Compagnie; son visage reflétait la candeur et la beauté virginale de son âme. Ses proches parents attestaient la supériorité de son talent. On ne le rencontrait qu'à l'Église et à l'École, fuyant dans les réunions toute mauvaise compagnie et tout ce qui avait l'apparence du vice. Une conduite si irréprochable dans le monde faisait prévoir ce que serait sa vie religieuse. Il y montra toujours et avant tout le plus grand zèle pour la méditation, qu'il préparait soigneusement dès la veille. A plusieurs reprises, il avoua ingénuement qu'il ne l'avait jamais écourtée en rien; qu'il n'aurait pu s'endormir tranquille sans l'avoir faite, quel que fut d'ailleurs son état de santé. Pour s'y unir le matin plus intimement à Dieu, il avait soin, la veille, à partir du signal des Litanies 1), de rejeter loin de lui toute préoccupation, toute pensée d'étude ou d'autres affaires. Pendant la journée, il entretenait de temps en temps le feu allumé dans la méditation du matin par de longues prières devant le Saint Sacrement. Elles le reposaient, et pour y vaquer il interrompait fréquemment son travail à certaines heures fixées d'avance. 1) Les Litanies des Saints, qui se récitaient après la récréation du soir. était plus ordinaire que de parler de ce Dieu, pour lequel il brûlait d'amour. Rien ne lui était plus agréable que les conversations sur Dieu et les choses qui le concernent. Quant au zèle des âmes, il disait que si sa santé compromise par l'asthme et la phtisie le lui eût permis, il se serait dépensé en prédications, en catéchismes et autres ministères de la Compagnie, qu'il tenait en la plus haute estime et qu'il prônait chez les autres. Dans ses entretiens avec les Nôtres et avec les étrangers, il déployait ce zèle en y mettant non moins d'adresse que d'ardeur. Naguère, il eut l'occasion d'essayer d'amener à la Foi un savant fort réputé pour ses connaissances en Mathématiques, jouissant d'une grande autorité en Hollande, très entendu dans cette science, mais hérétique 1). Aussi bien par ce qu'il lui dit de vive voix, que par les lettres qu'il lui écrivit ensuite, il semble lui avoir touché à ce point le cœur, que cet homme causa plus tard une grande émotion chez les siens et jeta la semence assurée d'un grand nombre de futures conversions. ,, Il préconisait assiduement les livres de spiritualité, aimait surtout l'Institut de la Compagnie, était très fidèle aux règles, montrait nettement son déplaisir quand parfois il apercevait quelque relâchement dans leur observation, dans l'esprit primitif de la Compagnie, ou quand il le voyait souffrir en quoi que ce soit. Toujours il défendait ouvertement les décisions des supérieurs. S'il voyait quelque défaillance dans la pratique des règles, notamment quand il croyait qu'il y avait danger de porter quelque atteinte à la pauvreté de la Compagnie, mettant de côté tout respect humain, sans distinction de personnes, il manifestait, avec une liberté religieuse, sa vive désapprobation. ,, Très soucieux de la charité fraternelle, il détesta toujours la médisance, principale ennemie de cette charité. ,, C'est pendant sa dernière maladie qu'il fit surtout apparaître sa piété et la force de ses vertus. Unissant ses souffrances à celles du Christ souffrant, il répétait de temps en temps: Passion du Christ, fortifiez moi! 2) Il remerciait avec beaucoup d'humilité ses con 1) Il s'agit de Christiaan Huygens. Je reviendrai plus loin sur ce sujet. 44 2),, Passio Christi conforta me. C'est une des invocations de la prière Anima Christi, familière à Saint Ignace. frères pour les services qu'ils lui rendaient, leur répétant que c'était trop. Épuisé par une petite fièvre de sept jours qui se déclara et fit dégénérer l'asthme et le catarrhe en phtisie de poitrine, il expira très doucement vers onze heures de cette nuit, en pleine connaissance d'esprit, maître de lui-même, entouré d'un groupe des Nôtres. Il y a trois jours, tandis qu'on lui administrait le Saint Viatique et qu'on lui donnait les Onctions pour le dernier combat avant l'Éternité, il demanda humblement pardon à ses frères; après quoi, plein d'une douce joie, il sembla s'affaiblir dans de derniers efforts pour rendre l'âme. Fondant abondamment en larmes et en arrachant aux autres, il répondait lui-même à chaque invocation. Puis, pendant des heures, il tint le Crucifix, l'étreignant de ses mains, le baisant, lui parlant, le suppliant, et lui répétant très souvent avec gémissements: Venez, Seigneur Jésus. Pendant ses derniers jours et ses dernières nuits, il redisait ces paroles en contemplant son Crucifix d'un visage souriant, le pressant de ses bras, multipliant de beaux actes de vertu, tels que ceux d'une charité parfaite et d'une vraie contrition; renouvelant ses confessions, car sa délicatesse de conscience étant extrême, il s'efforçait à mainte reprise d'effacer toute trace qui aurait pu rester de ses fautes anciennes. Après Dieu et sa sainte Mère, auxquels il était profondément attaché, il mit, dans sa dernière agonie, toute sa confiance dans les Saints de notre Compagnie et surtout en saint François Xavier, auquel au milieu de ses souffrances il fit plusieurs vœux. Comme on lui apportait des reliques du saint, munies de l'approbation de l'Illustrissime [Archevêque] de Malines, il se redressa tant bien que mal à leur vue, les contempla d'un regard affectueux, les vénéra pieusement et demanda qu'on les déposât à son chevet en gage assuré pour un moribond. Il se montrait d'autant plus certain d'obtenir le patronage du saint au moment de son passage à l'autre monde, qu'il s'était fait pendant toute sa vie son client et son imitateur le plus fidèle. Nous espérons à bon droit, que sous les auspices d'un si grand Apôtre, il lui a déjà été permis, au delà de ces Orbes célestes sur lesquels il a composé un ouvrage si remarquable d'arriver auquel il a travaillé constamment de cœur et d'esprit à un séjour où il peut contempler de près ce qu'il n'a pu admirer que de loin pendant la plus grande partie de sa vie. ,,Si peut-être quelques fautes de la fragilité humaine empêchaient cependant encore chez lui la vue de ce spectacle, Votre Révé rence voudra bien prescrire pour lui les suffrages ordinaires de la Compagnie. Qu'elle daigne me recommander (à Dieu) dans ses saints Sacri Anvers, 23 décembre 1660. ,, De Votre Révérence, le Serviteur dans le Christ, FRANÇOIS VAN DER MERSCH 1). “ Complétons cette lettre. Pour se conformer à une tradition de la Compagnie de Jésus, Tacquet en entrant au noviciat, donna sur sa famille et ses premières études, quelques renseignements écrits de sa main et consignés dans un registre nommé Album Novitiorum. Le registre de l'ancienne province Flandre-Belgique se conserve au Noviciat de Tronchiennes. Voici ce que nous y lisons: Moi, André Tacquet d'Anvers, je suis né l'an du salut du genre humain 1612, au mois de juin 2), du mariage légitime de mon père Pierre Tacquet d'Anvers et de ma mère Agnès Wandelen de Nurenberg, autrefois négociants à Anvers, dont le premier a payé sa dette à la nature, mais dont la seconde survit encore et vit de ses propres rentes. J'ai fait sept ans d'études d'humanités au Collège des Pères de la Compagnie de Jésus. Quand enfin, embrasé du désir d'une vie meilleure, je me suis présenté à la Compagnie de Jésus, j'y ai été reçu à Anvers par le P. Jacques van der Straeten 3), Provincial de la province Flandre-Belgique de cette Compagnie, l'an 1629, au mois de septembre, le..., 4) après l'examen préalable requis. Je suis arrivé au noviciat de Malines le dernier jour du mois d'octobre de l'an 1629. J'y ai été examiné par le P. Frédéric de 1) Adresse: Reverendo Patri in Christo P. Joanni Renterghem Soc. Jesu Lovanii. 2) Tacquet semble ignorer le jour précis de sa naissance. 3) Le P. Jacques van der Straeten, ou Stratius, naquit à Anvers en 1559, et entra au noviciat de Malines en 1580. Il fut recteur des collèges de Louvain et de Bruges. On lui doit un grand nombre d'ouvrages de piété. Il mourut à Louvain, le 7 avril 1634. 4) Il y a ici, dans le manuscrit, un blanc qui n'a pas été rempli. |