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chute. En désignant donc par le rayon terrestre, et par a une constante, la trajectoire pourra se représenter par l'équation:

p = r — aw2.

Dans sa Solutio problematis a Domino Pascal propositi (1) (il s'agit, bien entendu, d'Etienne Pascal, le père, et non ras de son fils Blaise, le grand Pascal), Fermat donne à cette courbe le nom d'Helix Galilei, Hélice, ou mieux Spirale de Galilée; mais, par une erreur de lecture, Bossut, dans sa première édition de l'opuscule de Fermat, avait imprimé : Helix Baliani (2).

Galilée dit dans la deuxième journée de ses Dialogues (3) que la trajectoire parcourue par le mobile est « à peu près » un demi-cercle décrit sur le rayon terrestre. Mansion a jadis montré, dans une communication à la première Section de la Société scientifique (4), comment le savant florentin avait pu assez aisément tomber dans une erreur aussi singulière.

En France, Mersenne, le premier, combattit la solution de Galilée. C'est en essayant de construire la courbe par points que le Minime se rendit compte de la méprise de l'illustre astronome. La trajectoire « est grandement différente, dit-il, au livre second de son Harmonie Universelle (5),

(1) Fermat, t. I, pp. 70-76.

(2) Eu res de Blaise Pascal (par l'abbé Bossut), t. IV. A La Haye, chez Delun, libraire, 1769; F. 453.

Cette erreur a fait l'objet de la question 797 dans L'INTERMÉDIAIRE DES MATHÉMATICIENS, Paris, Gauthier-Villars, t. III, 1896, pp. 78-79 et 213.

(3) Opere. Le Opere di Galileo Galilei, t. VII, p. 193 « ella gli è sommamente prossima » (à une demi-circonférence).

(4) Sur une opinion de Galilée relative à la chute des corps. ANN. DE LA SOC. SCIENT., XVIIIe année, 1893-1894, 1re partie, pp. 92-94. Il faut remarquer que dans la solution qu'il donne de ce problème, Galilée n'a pas l'idée nette de la loi de l'espace parcouru par un mobile animé d'un mouvement uniformément accéléré.

(5) Harmonie Universelle... Par Marin Mersenne de l'Ordre des Minimes. A Paris, chez Sébastien Cramoisy. M.DC.XXXVI. Livre second. Des Mouvements de toutes sortes de corps. Prop. IV, p. 98.

M. de Waard observe que cette partie de l'ouvrage était sous presse dès 1634. Supplément, p. 5.

non seulement du demi-cercle, mais de quelque partie de cercle et d'arc que l'on voudra. Car, si l'on oste la portion (supérieure de la figure) (1) le reste n'est guère différent d'une ligne droite, comme l'on void particulièrement dans la portion (inférieure de la figure) ».

Mersenne s'en ouvrit à Peiresc en le priant d'informer Galilée.

Averti de son erreur, le Maître de Florence était trop perspicace pour ne pas la voir. Il était d'autre part trop adroit pour ne pas imaginer un biais qui le tirât d'affaire. En homme d'esprit, sans se rétracter ouvertement, il s'expliqua, ou, pour mieux dire, il s'excusa. Voici notamment ce qu'il écrivit, sur ce sujet, à Carcavi, le 23 février 1637. (Plutôt que de traduire le texte italien, je cite une vieille version contemporaine, publiée par M. de Waard, d'après un manuscrit de la Bibliothèque Nationale de Paris) (2).

<< Bien que dans mon Dialogue il soit dict qu'il peult estre que le mouvement droict du tombant estant meslangé auec le circulaire esgalable du mouuement journalier, il se composast vne demye circonferance, qui allast se terminer au centre de la Terre, cela fust dict par gausserie, comme il se veoid assez clairement, ayant esté appelé vn caprice et bizarrerie (3), c'est-à-dire vne certaine liberté de jeu ».

Acceptons l'explication sans insister, car ce qui nous intéresse, c'est l'entrée de Fermat dans le débat.

(

Le P. Mersenne, dit Pascal, dans son Histoire de la Roulette (4), « avoit un talent tout particulier pour former de belles questions; en quoy il n'avoit peut-estre pas de semblable. Mais encore qu'il n'eust pas un pareil bonheur à les résoudre, et que ce soit proprement en cecy que consiste tout l'honneur, il est vray néantmoins qu'on luy a obligation, et qu'il

(1) Dans la citation, j'ai remplacé, par des membres de phrases entre parenthèses, les lettres de la figure sur laquelle Mersenne raisonne.

(2) Supplément, p. 51.

(3) «Che vi pare de questa mia bizarra ?» demande Salviati à Sagredo. Le Opere di Galileo Galilei, t. VII, p. 192.

(4) Les Grands Ecrivains de la France. Euvres de Blaise Pascal publiées suivant l'ordre chronologique, par Léon Brunschvicg, Pierre Boutroux et Félix Gazier, t. VIII. Paris, Hachette, 1914, PP. 195-196.

a donné l'occasion de plusieurs belles découvertes, qui peut estre n'auroient jamais esté faites s'il n'y eust excité les

sçavans ».

Cette fois, ce fut Fermat que le Minime « excita ». Il le pria d'étudier les propriétés de la Spirale de Galilée. Toujours complaisant, le Toulousain lui répond, le 26 avril 1636, dans la plus ancienne lettre que nous possédons de lui (1) : « Je vous envoierai l'Hélice, que vous me demandez, par la première commodité ».

Mais il lui faut quelque répit, car, suivant son habitude, il n'a encore travaillé que de tête. En outre, le sujet est fort vaste et il n'a pas trouvé jusqu'ici le temps de le coucher sur le papier. Il s'en excuse par une lettre du 3 juin suivant (2):

« Si la démonstration de la proposition de l'Hélice n'étoit pas de grand discours et de grande recherche, écrit-il à Mersenne, je vous l'envoierois présentement. Mais, elle contiendra autant que deux des plus grands traités d'Archimède, de sorte que je vous demande un peu de loisir pour cela, et cependant vous la pouvez tenir pour très véritable ».

L'envoi eut lieu avant le 4 novembre de la même année, car à cette date Fermat écrit à Roberval (3):

« Vous m'obligerez beaucoup de prier le P. Mersenne de vous donner mes nouvelles Hélices ».

Qu'étaient au juste ces « nouvelles Hélices » ? On ne le savait pas, et on croyait devoir l'ignorer toujours, quand M. de Waard trouva la copie d'un mémoire de Fermat sur le sujet parmi les papiers de Galilée conservés à la Bibliothèque Nationale de Florence. Il est vrai que ce document n'est pas signé; mais, dès la première lecture, on en devine l'auteur, « ex ungue leonem » Aussi, par une discussion serrée, trop longue pour être même résumée ici, M. de Waard démontre sans peine que cet écrit ne saurait être que du grand géomètre de Toulouse.

Quant au fond de la pièce, je dirai seulement que la dernière partie est consacrée à une quadrature de la Spirale de Galilés, dont l'idée première est visiblement inspirée par la

(1) Fermat, t. II, p. 5.
(2) Ibid., t. II, pp. 12-13.
(3) Ibid., t. II, p. 85.

quadrature de la Spirale d'Archimède. C'est le même procédé d'inscription et de circonscription de secteurs circulaires, qui est employé pour carrer les deux spirales. Fermat, lui-même, déclare néanmoins sa quadrature très difficile. Elle l'était, en effet, pour l'époque, car avec les moyens dont on disposait alors, elle supposait la formule qui donne la somme des puissances semblables quelconques des termes d'une progression arithmétique. Ce problème, qui nous paraît si simple, faisait alors la croix des géomètres et Fermat en avait trouvé la solution (1).

IV

Toutes les pièces publiées par M. de Waard mériteraient d'être passées en revue, si pareille analyse ne nous entraînait trop loin. Pour terminer je dirai, cependant, encore un mot du mémoire de Beaugrand sur la théorie des tangentes. Il est emprunté à un manuscrit du British Museum, qui appartint jadis à Thomas Hobbes et fut formé par lui. Je rappelle que le savant anglais séjourna dïx ans à Paris, et qu'il y entretint des rapports suivis avec les mathématiciens français.

(1) Fermat possédait cette formule, dès 1636, comme on peut le conclure de sa lettre à Roberval, du 22 septembre de cette année (Fermat, t. II, p. 74). Il y était évidemment arrivé par une voie algébrique, qu'il ne nous fait d'ailleurs pas connaître.

Vers la même époque, Cavalieri découvrait la formule

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qui lui rendait le même service. Voir mon article: Un chapitre de l'Euvre de Cavalieri, publié dans MATHESIS, t. XXXVI, Bruxelles, Stevens, 1922, pp. 365-373 et 446-456. Les démonstrations de Cavalieri sont géométriques et basées sur sa méthode des indivisibles.

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A propos de la formule précédente, je relève, chez M. de Waard, une faute d'impression, dans la note I de la page 149, mais elle est de nature à induire en erreur. Il y est dit, que Cavalieri ne trouva la formule pour n 4 qu'après avoir reçu l'envoi de Beaugrand. Il faut lire n = 5. Cavalieri avait au contraire communiqué au géomètre français, par l'entremise de Nicéron, la solution pour n = 4· Beaugrand répondit en la généralisant et en nontrant qu'elle était vraie pour n = 5 et au delà. Pour plus de détails, voir mon article de MATHESIS.

Peut-être, le lecteur s'étonnera-t-il de voir un mémoire de Beaugrand figurer parmi ceux de Fermat. Son étonnement redoublera même à la lecture de la pièce. Le ton y est personnel, suffisant, et le nom de Fermat n'est prononcé que tout à la fin; encore ne l'est-il qu'une seule fois et comme celui d'un géomètre absolument quelconque.

Beaugrand essaie d'en imposer. Il pille Fermat. Mais, à ce propos, je ferai à M. de Waard un reproche : c'est de ne pas avoir reproduit intégralement dans le présent volume, la si érudite «< Introduction » qu'il a écrite, en 1918, dans le BULLETIN DES SCIENCES MATHÉMATIQUES (1), quand, une première fois, il a publié le mémoire de Beaugrand. J'emprunte à cette « Introduction » plusieurs des détails qui suivent, tout en les complétant à l'occasion.

Comme Fermat, comme Viète, comme Carcavi, comme de Beaune, Jean de Beaugrand était magistrat. Il s'intéressait aux mathématiques et fut en relation avec les principaux géomètres de France et d'Italie, dont aucun ne contestait son talent. Mais, caractère désagréable, esprit chicanier, il finit par se brouiller avec la plupart d'entre eux. Cette brouille dégénéra même en querelle ouverte avec Descartes (2) et Desargues (3).

Pascal a donné de Beaugrand un portrait célèbre, mais méchant, où il le peint comme un modèle de plagiaire roué et sournois. Ecoutons-le (4):

« En 1638, feu Mr de Beaugrand, dit-il, ayant ramassé les solutions du plan de la Roulette, dont il y avoit plusieurs copies, avec une excellente méthode De Maximis et Minimis de Mr de Fermat, il envoya l'un et l'autre à Galilée, sans

(1) T. LIII. Paris, Gauthier-Villars, 1918; pp. 157-177 et 327-328. L'article est intitulé: Un écrit de Beaugrand sur la méthode des tangentes de Fermat à propos de celle de Descartes.

(2) On trouvera d'intére. sants détails sur cette querelle dans : La correspondance de Descartes dans les inédits du fond Libri étudiée pour l'histoire des Mathématiques, par Paul Tannery. Paris, GauthierVillars, 1893. Voir, notamment, le chap. III, pp. 27-35.

(3) Voir Œuvres de Desargues réunies et analysées par M. Poudra, t. II, Paris, Leiber, 1864; notamment pp. 355-380; et aussi t. I, PP. 354-355.

(4) Edit. citée, t. VIII, pp. 197-198.

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