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horizontale au-dessus de laquelle il inscrit l'exposant. L'ensemble a l'aspect gracieux d'une petite coupe contenant un chiffre. Or, il se fait qu'en étudiant le manuscrit de l'Algebra (1), M. Bortolotti a constaté que l'exposant y était déjà figuré d'une manière plus moderne, car il est plutôt écrit à droite qu'au-dessus de la parenthèse horizontale. C'est très curieux et, pour permettre au lecteur d'en juger en pleine connaissance, l'auteur joint à son article les photographies de plusieurs pages du manuscrit. Jusqu'ici, M. Wieleitner n'aurait rien à redire, mais il reproche à son collègue de Bologne d'avoir, depuis sa découverte, pris l'habitude de transcrire les formules de Bombelli en plaçant l'exposant, non plus au-dessus, mais franchement à droite de la parenthèse qui figure l'inconnue. Ce serait, d'après lui, forcer la vérité.

En soi, le différend n'est pas bien grave. Aussi, sans y attacher trop d'importance, s'il me fallait prendre parti, j'avouerais sans difficulté que je me rangerais plutôt aux côtés de M. Wieleitner.

Tout d'abord, il ne faut pas oublier que Bombelli ayant surveillé lui-même l'impression de l'Algebra, celle-ci, dernière en date, doit être considérée comme reflétant la forme ultime de sa pensée.

Peut-être objectera-t-on qu'il n'a adopté cette forme que pour des nécessités typographiques. Mais c'est là une conjecture gratuite. D'ailleurs, s'il eût préféré le mode d'écriture que lui prête M. Bortolotti, était-il plus malaisé d'imprimer l'exposant en haut et à droite de la parenthèse, qu'au milieu et au centre? Si Bombelli a choisi cette dernière disposition, c'est qu'il avait d'autres raisons pour le faire; voire une simple raison d'élégance qui n'étonne pas chez un géomètre doublé peut-être d'un artiste italien. Même en mathématiques, il ne faut pas faire fi de l'esthétique d'une formule, ne fût-ce que pour soulager la mémoire.

(1) I''Algebra de Bombelli est rare chez nous. J'en possède un exemplaire, mais je n'en connais pas d'autre dans les Bibliothèques belges. Pour permettre de juger de l'influence de l'algorithme du géomètre italien sur celui de Simon Stevin, j'en ai fait reproduire une page par la photogravure dans l'« Introduction » que la Société des Bibliophiles anversois m'a demandé d'écrire pour la réédition facsimilé qu'elle a donnée de la « Thiende » de Stevin. Anvers. Au siège de la Société, 1924.

Il y a cependant autre chose. Mieux que personne M. Bortolotti le sait, car c'est lui qui a eu l'honneur de nous révéler l'existence du manuscrit de l'Algebra de Bombelli: ce n'est pas par son manuscrit, mais par son volume imprimé que l'ingénieur bolonais a contribué au progrès de l'Algèbre. Rappelons-nous à ce propos que les réactions mutuelles des savants les uns sur les autres, sont un des éléments qu'il faut le moins négliger dans l'histoire des mathématiques. Or, la parenthèse horizontale sous la forme d'une demicirconférence au centre de laquelle se lisait l'exposant, eut, précisément à cause de la position centrale de ce dernier, une influence considérable sur les Géomètres des Pays-Bas. Ce dispositif leur donna tantôt l'idée d'achever le dessin entier de la circonférence pour y inscrire l'exposant, comme cela se remarque chez Simon Stevin, Albert Girard et d'autres tantôt celle de remplacer la parenthèse horizontale par de doubles parenthèses verticales écrites à notre manière ordinaire et comprenant entre elles l'exposant. C'est ce qui se voit dans l'In Mahumedis Algebram d'Adrien Romain (1).

Que dans l'impression de son Algebra Bombelli eût été mieux inspiré en modifiant, dans le sens moderne, l'écriture en réalité encore un peu douteuse de son manuscrit, et en écrivant l'exposant à droite de la parenthèse, je n'en disconviens pas. Mais il a pris le parti contraire, le fait est là, et il faut bien en tenir compte. L'autre disposition de l'exposant eût-elle suggéré les mêmes idées aux Géomètres des Pays-Bas? On peut en douter.

Telles sont les deux raisons qui m'engagent à me ranger plutôt aux côtés de M. Wieleitner. Ceci dit, je prie le lecteur de ne pas attacher à ce joli, mais au fond très mince sujet de discussion une importance qu'il n'a pas.

Pour l'Histoire des exposants fractionnaires, par H. Wieleitner (2). L'échange de vues Bortolotti-Wie

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(1) Voir mon mémoire intitulé: Le Fragment du Commentaire d'Adrien Romain sur l'Algèbre de Mahumed ben Musa el-Chowârezmî. ANNALES DE LA SOCIÉTÉ SCIENTIFIQUE. T. XXX, 2o part., pp. 14-15 de la pagination spéciale de ce mémoire.

(2) H. Wieleitner, Zur Geschichte der gebrochenen Exponenten. ISIS, VI, Bruxelles, Weisenbruck, 1924, pp. 509-520.

leitner relatif à la notation exponentielle de Bombelli appelle naturellement notre attention sur une étude très fouillée consacrée par le Professeur d'Augsbourg à l'origine des exposants fractionnaires.

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A lire les historiens des mathématiques, même les plus autorisés, on serait porté à croire qu'un beau matin Nicole Oresme philosophe et géomètre éminent mort en 1382 évêque de Lisieux, - inventa de toutes pièces cette notation, en donnant préalablement une signification à l'exposant fractionnaire, et en encadrant dans de petits carrés les nombres employés comme exposants, à peu près de la manière dont deux siècles plus tard Simon Stevin encerclera ces nombres dans de petites circonférences. C'est ce qui résulterait de l'Algorithmus proportionum d'Oresme, publié en 1868, à Berlin, par Maximilien Curtze. De là cette formule Les exposants fractionnaires sont dus à Oresme.

Énoncée en ces termes trop brefs, la proposition appelle de multiples réserves que M. Wieleitner met en relief d'une manière judicieuse. Il semble tout d'abord que ni l'idée, ni la notation de l'exposant fractionnaire soient de ces inventions simples auxquelles on puisse accoler le nom de celui qui les a imaginées le premier. Il y a là toutes sortes de distinctions à faire entre la notion primitive de l'exposant, sa généralisation et leur expression tant parlée qu'écrite. Nous nous trouvons dans la théorie des exposants en face d'une évolution lente, parallèle à celle de la théorie des proportions et qui se développe avec elle. Oresme y a sans doute contribué, mais il ne faudrait pas exagérer son rôle.

A ce propos, M. Wieleitner reproche à Curtze d'avoir un peu trop modernisé Oresme, dans son Édition de l'Algorithmus proportionum ce serait la cause principale des malentendus.

Il se pourrait bien; car, si peu d'érudits ont rendu autant de services à l'histoire des mathématiques que Curtze, il travaillait parfois assez vite et la fidélité de ses transcriptions de manuscrits s'en ressent.

La découverte et les développements successifs d'une formule fondamentale du Calcul intégral, par Bortolotti (1). - Cette formule est celle que nous écrivons aujourd'hui:

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Je dis à dessein « aujourd'hui », car j'éprouve toujours quelque scrupule à m'en servir sous cette forme pour traduire les théorèmes énoncés au long et en langage courant. chez les Géomètres du XVIIe siècle. Son emploi évoque en nous des suggestions si différentes des leurs qu'ici encore les malentendus sont toujours à craindre. Au milieu du XVIIe siècle, on doit exclure de cette formule toutes les idées de dépendance d'une fonction primitive qu'elle fait naître spontanément chez nous. Or, l'expérience en est faite, il faut une grande habitude de l'histoire des mathématiques pour ne pas le perdre de vue.

Cavalieri, Torricelli et tous leurs contemporains, sans en excepter Fermat lui-même, se forment de l'intégrale définie un concept qui n'a pas la moindre nuance algébrique. Pour eux, cette intégrale se compose exclusivement d'éléments géométriques infinitésimaux.

En outre, ils la conçoivent avec des degrés de rigueur très différents, dont on désire parfois pouvoir mettre les nuances en relief. Or, il est plus aisé de les distinguer à l'aide du majuscule des Grecs, que par l' allongé de l'École leibnizienne; cette dernière notation ayant reçu un sens précis universellement accepté qu'il vaut mieux ne pas modifier.

On le sait, la découverte purement matérielle, dirai-je, de la formule précède d'assez loin son analyse philosophique. Cavalieri la trouva grâce au merveilleux instrument de recherche qu'il créa; instrument dont jamais d'ailleurs il ne

(1) Ettore Bortolotti, La scoperta e le successive generalizzazioni di un teorema fondamentale di calcolo integrale. ARCHIVIO DI STORIA DELLA SCIENZA. T. V. Roma, Casa editrice Leonardo da Vinci, 1924, pp. 205-227.

prit la peine de scruter à fond la nature intime. « C'était là, disait-il, œuvre de philosophe et non pas de géomètre » (1). Telle que l'emploie le Hiéronymite milanais, pour qui les indivisibles étaient rigoureusement nuls, la traduction exacte de la formule paraît être :

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C'est pour marquer que les indivisibles sont nuls que j'omets dans le premier membre le facteur dx ou A.

Torricelli et Fermat, donnant au contraire une épaisseur aux indivisibles, en font nos quantités qui tendent vers zéro. Le Géomètre français insiste en outre sur la nécessité de ramener la méthode des indivisibles à la méthode d'exhaustion d'Archimède. Il semble donc qu'on puisse traduire leurs manières respectives de concevoir l'intégrale par am+1

Σ

xm Ax

" et lim x"Ax m+I

am+1 m+ I

Je me suis déjà expliqué ailleurs sur ce sujet et je ne l'oublie pas. Mais il faut y revenir. Impossible, en effet, de n'en pas tenir compte, quand on ne s'arrête pas à la seule découverte de la formule, mais qu'on s'intéresse au concept précis que s'en formaient ceux qui la trouvèrent.

Or, pour ne parler que des Italiens, Torricelli, répétons-le, eut une notion plus correcte des indivisibles que l'illustre créateur de la méthode lui-même, son ami Cavalieri. Il y a peu de chose à reprendre dans la manière dont il s'en sert pour résoudre les 14 exemples de son De solido acuto hyperbolico Problema alternum (2). Mais M. Bortolotti nous annonce une étude approfondie de ce sujet et je ne m'y arrête

pas.

(1) Exercitationes geometricae sex... Auctore F. Bonaventura Cavaliero Ordinis Jesuatorum S. Hieronymi. Bononiae. Typis Iacobi Montii, 1647; p. 241 ; à la fin de l'Exercitatio tertia.

(2) Opere di Evangelista Torricelli edite da Gino Loria e Giuseppe Vassura. T. I, part I, Faenza, Montanari, 1919, pp. 173-190. Dans les Opera Geometrica Evangelistae Torricelli Florentiae, typis Amatoris Massae et Laurentii de Landis, 1644; PP. 93-112.

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