rehausser d'autant Torricelli, qui n'en a d'ailleurs nul besoin. En cela, le Professeur de l'Université de Bologne s'est montré historien impartial, soucieux seulement de la vérité. A mon sens, il a vu clair. Car, s'il est permis de parler ici de soi et de faire remarquer que n'étant ni français, ni italien, je n'ai en l'occurrence aucune susceptibilité d'amourpropre national à ménager ; qu'il m'est donc bien indifférent que la formule soit italienne ou française ; qu'au surplus, je professe une même admiration pour Torricelli et pour Fermat, je dirai que c'est précisément la réponse que j'eusse faite moi-même à la question. Dans le passage incriminé il faut voir une absence de mémoire du grand Géomètre, ou tout au plus une distraction ou une négligence d'autant plus excusable qu'il la commet dans l'abandon d'une lettre privée. Pour bien juger Fermat, remettons-le dans son milieu ; n'oublions pas non plus ses habitudes de travail. Ce n'est pas un professeur d'université dont les mathématiques absorbent l'attention et font l'objet de la préoccupation principale. Bien au contraire, c'est un magistrat fort tenu par les devoirs de sa charge ; à ce point féru du prestige de la robe, qu'il croirait déroger aux yeux de ses collègues du Parlement de Toulouse s'il s'oubliait jusqu'à publier lui-même ses découvertes en mathématiques. On sait que de son vivant, il n'en fit jamais imprimer personnellement une ligne. Magistrat, il se distrait par les mathématiques, comme à l'occasion ses confrères se reposent et se distraient, peut-être, par une partie d'échecs. La géométrie l'amuse et même beaucoup, tout en restant à ses yeux occupation très accessoire, sans importance réelle. A qui en douterait, je rappellerais l'indifférence, voire l'insouciance, avec laquelle il communiquait de beaux théorèmes à deux Jésuites de ses amis, les PP. Jacques de Billy et Antoine Lalouvère, pour leur en abandonner tout l'honneur de l'invention. De plus, Fermat travaillait de tête. La plume lui pesait et il ne la prenait qu'à la dernière extrémité. Sa mémoire des propriétés des nombres était grande. Aussi, conserver par écrit le souvenir du théorème que lui avait communiqué Mer senne n'eût guère été conforme à ce que nous savons de ses habitudes. Si l'on veut bien tenir compte, enfin, que la lettre à Digby est de onze ans postérieure à cette communication ; qu'écrite dans l'intimité à un ami, elle n'était pas destinée à être publiée ; que le problème de Torricelli était de l'ordre de ceux que le Toulousain se plaisait à méditer pendant ses heures de loisir ; qu'en ayant imaginé et résolu beaucoup d'autres analogues tout aussi difficiles, il pouvait aisément avoir oublié qu'il n'avait pas trouvé celui-ci le premier; on comprendra sans peine, je le répète, qu'il ait pu écrire à Digby, soit avec un défaut de mémoire, soit même avec une certaine négligence relative à un détail qu'il pouvait croire sans conséquence dans les circonstances où il en parlait à son correspondant. Le mémoire « De infinitis hyperbolis » de Torricelli, par E. Bortolotti (1). — Cet article divisé en quatre parties fait suite, nous apprend l'auteur, à celui que je viens d'analyser. Il est vrai, mais les réflexions que ce travail complémentaire suggère sont d'un genre bien différent. Elles portent avant tout sur l'édition récente des Opere di Evangelista Torricelli, par MM. Loria et Vassura; ou, pour mieux préciser, sur les deux volumes du tome I, qui firent plus spécialement l'objet des soins de M. Loria. On a dit beaucoup de mal de cette édition, et M. Bortolotti notamment ne s'en est pas fait faute. Je suis loin de prétendre qu'elle soit un chef-d'oeuvre. N'importe, malgré ses incontestables défauts, on ne saurait être trop reconnaissant aux éditeurs qui nous l'ont néanmoins donnée telle quelle. Sans rappeler, qu'en dehors de l'Italie, elle nous a révélé Torricelli, que la rareté des anciennes éditions de ses cuvres nous obligeait jusque là d'admirer de confiance, je crains qu'exiger le mieux eût été une fois de plus se montrer l'ennemi du bien. A vouloir faire trop bien, on s'exposait à persister à ne rien faire du tout. (1) E Bortolotti, La memoria « De infinitis hyperbolis » di Torricelli. ARCHIVIO DI STORIA DELLA SCIENZA, T VI. Roma, Casa editrice Leonardo da Vinci, 1925 ; pp. 49-58 et 139-152. Torricelli mourant avait exprimé le désir de voir publier ses manuscrits inédits. Dès le premier moment ses amis y songèrent. Mais pourquoi ce souhait subit-il un retard de plusieurs siècles, avant de se réaliser ? Pourquoi fallut-il attendre l'édition de M. Loria ? On se plaisait à en accuser l'indifférence des compatriotes de l'immortel ami de Galilée. La cause en était bien plus sérieuse : elle provenait avant tout de l'extrême désordre qui régnait dans les manuscrits qu'il s'agissait d'imprimer. Je qualifierai volontiers l'édition de M. Loria d'édition d'essai. Elle rend possible une édition critique définitive, à laquelle il ne faudrait guère songer, si cette première tentative n'avait pas été faite. Au point de vue d'une édition meilleure, l'édition Loria rend un double service. D'abord elle prouve aux Italiens que Torricelli gagnerait beaucoup à être mieux connu. Puisse-t-elle donc une bonne fois les secouer, et les décider à faire l'effort nécessaire pour nous donner l'édition savante que l'Étranger leur demande! Or, je viens de le dire, et voilà le deuxième service qu'on peut attendre de l'édition Loria, il serait difficile d'y réussir si on n'avait pas cette imparfaite, mais précieuse édition. Une édition critique de Torricelli semble devoir présenter, en effet, des difficultés peu ordinaires. Pour faire une bonne besogne, il faudra la soumettre à des travaux d'approche destinés à subir préalablement le feu de la discussion. M. Bortolotti nous apprend que les manuscrits de Torricelli sont plutôt encore à l'état de brouillons que de mémoires achevés. L'édition Loria le faisait pressentir, car bien que le fond de certains mémoires soit rédigé en latin, les diverses parties en sont parfois reliées entre elles par des phrases en italien. Ces brouillons se composent tantôt de minces cahiers détachés, tantôt de simples feuilles volantes, le tout non classé. Il faut donc commencer par en retrouver, si possible, l'ordre naturel. En d'autres termes, il faut y effectuer une pénible reconstitution des mémoires ; dur et long labeur jusqu'ici insoupçonné, dont la nécessité fut, à n'en pas douter, la cause principale de tous les retards apportés à la réalisation du veu de Torricelli. Pour activer le classement des pièces en suscitant des collaborateurs, une description détaillée des manuscrits ne s'imposerait-elle pas ? Il faudrait y donner l'incipit et le desinit de chaque cahier et de chaque feuille volante, ainsi que l'indication exacte des pages, au besoin même des lignes, où les divers fragments sont reproduits dans l'édition Loria. A défaut des manuscrits, ces renseignements fourniraient, en outre, des données précieuses aux travailleurs qui cherchent à démêler le sens de certains passages embrouillés du texte de Torricelli. Mais si, par nos temps de difficultés financières, il y avait du danger à vouloir de prime abord faire trop grand, ne pourrait-on du moins débuter par la publication d'un mémoire unique, auquel on annexerait la description du manuscrit correspondant, faite sur le plan que je viens de proposer ? L'ensemble ne dépasserait pas les bornes d'un article de grande Revue. Au surplus, même avec les moyens dont on dispose grâce aux travaux déjà accomplis, chercher à faire du premier coup cuvre parfaite semble être une entreprise encore précaire. Avant d'accepter comme définitif le texte reconstitué d'un mémoire de Torricelli, il vaut mieux le soumettre à la critique. C'est à cette condition seulement qu'on élèvera au grand Italien un monument digne de lui. Un mot pour finir sur l'objet propre de l'article de M. Bortolotti. Comme le titre l'indique, c'est une étude du mémoire De infinitis hyperbolis publié pour la première fois par M. Loria, dans le second volume du tome I des Opere (1). Après la description sommaire du manuscrit édité, description qui a suggéré les réflexions auxquelles je viens d'un peu m'attarder, l'auteur propose plusieurs transpositions à faire dans le texte tel qu'il est publié. En général, ces remaniements paraissent heureux, parfois même ils s'imposent. Pour en juger cependant en pleine connaissance, il faudrait disposer de cette description minutieuse et complète du manuscrit, dont l'absence se fait si fort sentir. Voilà pour l'ensemble des trois premières parties de l'article. Mais, c'est la quatrième et dernière qui est la plus intéressante. M. Bortolotti y analyse systématiquement (1) Pp. 227-274. le mémoire entier De infinitis hyperbolis. J'abuserais de l'hospitalité de la Revue en énumérant toutes les conclusions, parfois cependant bien neuves, de notre fin critique. Parmi les plus inattendues, j'en relève deux : Torricelli a entrevu que le problème des tangentes et celui des quadratures sont les inverses l'un de l'autre. Ensuite, l'auteur de l'article apporte quelques arguments tendant à faire croire que son héros avait déjà une certaine notion de l'intégrale indéfinie. Ce n'est pas la géométrie, mais l'algèbre, qui répandra un jour la pleine lumière sur ces deux problèmes. Quant à Torricelli, il était trop géomètre, trop peu algébriste, pour pousser fort loin ses recherches dans cette voie. Contentonsnous de le nommer parmi les précurseurs de ceux qui s'y engagèrent ; c'est déjà un fleuron de plus ajouté à sa cou ronnie. Pierre Mengoli, par Agostini (1). - J'ai parlé ci-dessus de la belle étude de M. Agostini sur le théorème fondamental de l'Algèbre ; les mémoires de M. Bortolotti relatifs à l'histoire de la quadrature des paraboles et des hyperboles, que je viens d'analyser, m'engagent à signaler aussi les deux notes consacrées par son collègue de l'École navale de Livourne à Mengoli. La première s'occupe du problème de l'intégration, entre les limites (o, a) des expressions de la forme xf (a-x)& dx ; la seconde a pour but de nous faire connaître l'idée que Mengoli se faisait du concept de limite. C'est un bien intéressant et curieux personnage que ce Pierre Mengoli, qui appela si tardivement sur lui l'attention des historiens des mathématiques. Cantor ne le nomme même pas, et c'est, si je ne me trompe, Enestroem (2) qui a tiré de l'oubli ses Novae quadraturae arithmeticae, publiées (1) La teoria dei limiti in Pietro Mengoli. PERIODICO DI MATEMATICHE, ser. IV, t. V, Bologna, Zanichelli, 1925, pp. 18-30 Il concetto d'integrale definito in Pietro Mengoli. Même volume, Pp. 137-146. (2) Zur Geschichte der unendlichen Reihen um die Mitte des siebzehnten Jahrhunderts. BIBLIOTHECA MATHEMATICA, 3° sér., t XII, Leipzig, Teubner, 1911-12, PP, 135-148. |