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un peu vite sur les judicieuses observations du Samielois relatives à la « Syncrèse » (1) de Viète. Le sujet ne manquait pas d'intérêt; mais, il m'aurait entraîné dans une digression qui eût allongé un commentaire de l'Invention nouvelle déjà trop étendu. Il m'a paru préférable de lui consacrer une Note séparée.

Girard s'occupe de la « Syncrèse à l'occasion du théorème qui fait le principal titre de gloire de ce Géomètre, théorème dont voici l'énoncé modernisé (*):

Étant donnée une équation rationnelle et entière en x, écrite dans ce que Girard nomme l'Ordre alternatif, c'est-à-dire, une équation dont le coefficient de la plus haute puissance de x est l'unité, et dont les termes de degré pair sont rangés dans un des membres, suivant les puissances décroissantes de x et ceux de degré impair le sont de même dans l'autre x2 + Вxm-2 + Dæm-+ + Axm-1+Сxm-3+...

...

=

1° Cette équation a m racines, ni plus, ni moins; 2o Si x, x ... xm désignent ces racines,

Σπι

B,

=

(1)

Σx1 = A, Σxx2 = В, Σx1xx2 = C, Σx, xxzx, D, etc. Fidèle à son habitude, le vieil algébriste affirme ce théorème sans le démontrer, car l'Invention Nouvelle a l'allure d'un mémoire, dans lequel l'auteur fait connaître les résultats de ses recherches, en laissant au lecteur le plaisir ou du moins le soin d'en trouver l'origine et la preuve.

la solution des equations, que pour recognoistre le nombre des solutions qu'elles reçoivent, avec plusieurs choses qui sont necessaires à la perfection de cette divine science. A Amsterdam, Chez Guillaume Lansson Blaeuw, M. DC. XXIX. (Anvers, Musée Plantin). - In-4°, dont les pages ne sont pas numérotées, mais signées par 8, A-H. L'édition originale est fort rare, mais elle a été réimprimée page par page et ligne par ligne, ce qui en fait presque un fac-similé. Il faut cependant signaler une différence importante. Les petites circonférences encerclant l'exposant, qu'à l'imitation de Stevin Girard emploie pour désigner l'inconnue, sont remplacées par de doubles parenthèses, comme je le fais dans le présent article.

Albert Girard. L'Invention Nouvelle En L'Algebre. Réimpression par Dr. D. Bierens de Haan. L. L. D. Leiden, 1884. Imprimé chez Muré frères.

(') Elle fait notamment l'objet des Ch. 16 et 18 du premier traité Francisci Vietae Fontanaeensis, De Aequationvm Recognitione Et Emendatione Tractatvs Dvo..... Parisiis, Ex Typographia Ioannis Laqvehay... 1615; pp. 40-48 et 53-58. (Bibl. Roy, de Belgique). Réédité dans

Francisci Vietae Opera Mathematica. . recognita operâ atque studio Francisci à Schooten.. Lugdvni Batavorvm, Ex Officina Bonaventurae et Abrahami Elzeviriorum M. DC. XLVI; pp. 104-108 et 111-113.

Ce traité est posthume. Il fut trouvé à l'état de brouillon dans les papiers de l'auteur et publié tel quel par Alexandre Anderson. C'est l'un des plus beaux de Viète; mais à la lecture on se rend assez bien compte des raisons pour lesquelles il ne le publia pas. Le sujet était si neuf que tout n'y est pas encore parfaitement au point. En particulier l'auteur ne pouvait être satisfait de ses considérations sur les racines négatives des équations. (2) F° (E) r° et vo,

Dans la terminologie de l'Invention Nouvelle, les termes de l'équation sont les Meslés, et leurs coefficients A, B, C, D se nomment respectivement les Nombres du premier, second, troisième, etc. Meslé. Ex1, Ex ̧x2, Ex ̧x2X3, etc., sont la première, la seconde, la troisième, etc. Faction; en d'autres termes, la p° faction de m objets, n'est autre chose que la somme des combinaisons simples de ces objets pris p à p.

Il importe de retenir le sens précis de ces mots, Meslés et Factions. C'est la seconde partie du théorème de Girard qui nous intéresse, car il l'a probablement trouvée à la suite de ses étu des de la « Syncrèse » de Viète. Etymologiquement ce mot « Syncrèse veut dire: comparaison; mais, voici le sens mathématique que l'Algébriste de Fontenay-le-Comte y attache.

Soit une équation trinome de la forme

xm pxm - n = q ;

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(2)

(3)

faire la «Syncrèse » ou comparaison de ces identités, c'est tout bonnement les résoudre par rapport à p et à q, mais dans le but de trouver les relations qui relient les coefficients de l'équation aux deux racines considérées.

Il faut s'habituer au parler de Viète. Son langage est d'ordinaire fort clair, mais pour qui s'est familiarisé avec le vocabulaire de son étrange latin. Malheureusement, Viète ne prend pas souvent la peine de définir le sens des mots techniques qu'il emploie. Pour le deviner dans les chapitres de la « Syncrèse », il importe de ne pas oublier que, chez le Fondateur de l'Algèbre moderne, la théorie des équations littérales est encore imprégnée de considérations géométriques. Un principe, dont nous faisons complète abstraction aujourd'hui, continue à la dominer: c'est que tous les termes doivent être du même degré, celui-ci se composant, bien entendu, de la somme des exposants du coefficient et de l'inconnue. D'après cette loi d'homogénéité, les divers éléments de l'équation trinome (2) prennent assez naturellement les noms suivants : xm est la Potestas, la Puissance; q est l'Homogeneum, l'Homogène, qui doit être nécessairement du même degré que xm ; xm−n est le Gradus, le Grade ou Degré; p est le Coefficiens subgradualis, le Coefficient sous-graduel, qui est de degré n; x, et plus généralement toute lettre du premier degré, mais du premier compté au sens géométrique de Viète, est un Latus, un Côté. Résoudre une équation se dira donc très correctement en chercher les côtés.

m

Dans un autre ordre d'idées, les identités (3) sont des Equationes correlativae, des Équations corrélatives; et les équations qui admettent plusieurs solutions positives sont des Equationes ancipites, Équations ambiguës.

Viète, souvent si désespérément concis, nous paraît prolixe dans la théorie de la syncrèse. C'est qu'au moment où il écrivait, l'application de l'algèbre littérale aux équations était un procédé neuf, qu'il venait de créer. Il ne pouvait guère le supposer déjà familier à ses lecteurs. Bien plus, lui-même n'entendait pas le nouvel algorithme avec la généralité qu'on y vit plus tard. I attribuait donc à ses démonstrations une portée plus restreinte que celle que nous leur attacherions. C'est ainsi qu'il ne supposait pas qu'elles fussent valables quand les racines des équations étaient négatives. S'il rencontrait des racines de ce genre, il les traitait comme si elles étaient les racines positives de la transformée en - x. Dans le cas de deux racines des équations trinomes, dont seules nous nous occupons, il était donc parfois amené à étudier des équations qu'il nommait, tantôt Equationes contradictoriae, Équations contradictoires, quand

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ce qui pouvait se présenter dans le cas d'une racine unique négative; tantôt Equationes inversae, Équations inverses, ce qui pouvait avoir lieu, quand les deux racines étaient négatives et transformaient l'une et l'autre, la proposée en

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Non seulement ces diverses hypothèses sont toutes traitées dans le De Aequationum Recognitione ('), mais après avoir été examinées au long sur les équations générales, elles sont en outre reprises pour les cas particuliers de m=1, 2, 3,... et accompagnées d'exemples numériques.

Nous ne suivrons pas Viète dans ces multiples répétitions, car si l'on admet, ce qui est évidemment permis, que les coefficients et les racines des équations peuvent être négatifs, une seule des démonstrations générales de Viète vaut pour tous les cas. Elle consiste en effet à résoudre les identités (3) par rapport à p et à q, ce qui donne

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L'hypothèse m-n=1 mérite de notre part une attention spéciale. Dans ce cas les divisions des fractions des seconds membres se fait sans reste, et

p = am−1 + eam-2 + e2am−3+ +em-2 a + em−1,

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— q === (ae)m―n (en−1 + aen−2+

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Les deux polynomes qui y figurent maintenant sont en progression géométrique. Viète, qui attache de l'importance à ce fait, l'exprime en disant qu'ils forment une Proportion continue entre les puissances des deux

(1) Dans les chapitres relatifs à la « Syncrèse » indiqués ci-dessus.

racines. Il importe aussi de noter que la seconde formule donne la valeur de -q et non pas de +q; fait dont le grand Algébriste ne vit pas l'importance et qui le fit se heurter à plusieurs difficultés qu'il ne put résoudre. La forme trop géométrique qu'il conserva dans sa théorie des équations et dans l'expression des résultats obtenus fut, croyons-nous, l'une des principales causes qui l'empêchaient de voir clair dans ces délicates questions de signes.

Si m

=

3, les formules précédentes deviennent

p = a2 + ae + e2 = a2 + (Êe)2 + e2,

— q=ae (a + e) = a[(Vae)' + e2] = e [(Vae)2 + a2].

Comme nous le verrons, Girard n'aime pas les carrés mis en évidence dans les derniers membres. Ils sont, pense-t-il avec raison, de nature à égarer dans une mauvaise voie ceux qui chercheraient à perfectionner, en la généralisant, la théorie de la « Syncrèse ».

Pour entendre sur cette matière de la «Syncrèse » Viète lui-même, choisissons les passages dont Girard s'occupera. Ce sont précisément ceux qui concernent l'équation du 3o degré. Les deux éminents géomètres y reviennent l'un et l'autre à une double reprise. Pour les suivre, il faut supposer que la première fois l'équation a la forme

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Sans tenir compte du signe de q, Viète donne leur solution sous la forme suivante, mais en langage courant : (')

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«Est igitur p planum aggregatum quadratorum a duobus de quibus quaeritur lateribus, adjunctum ei quod sub iis fit plano »; p est le plan formé par la somme des carrés des côtés que l'on cherche, augmentée du plan des dits côtés.

«Est igitur q solidum quod fit ab aggregato laterum in planum sub lateribus; q est le solide formé sur la somme des côtés et le plan des côtés.

Viète n'y joint aucun exemple numérique et pour cause. Si p, q, a, e sont positifs, la seule racine positive de (4) est a +e, qui semble avoir échappé au Fondateur de l'algèbre moderne; les deux autres racines sont -a ete. Girard est mieux avisé (2). Il s'agit du cas irréductible:

(1) Éd. 1615, p. 44. Éd. 1646, p. 106. Dans cet énoncé et le suivant les lettres p et q remplacent celles dont Viète s'est servi dans ses formules.

(2) Fo D2 ro. Girard vient de donner deux solutions trigonométriques du cas irréductible de l'équation du 3° degré. De là son allusion aux Tables de Sinus.

<<< Ceste equation donc qu'on n'a peu faire jusques à present est en algebre litterale

A cube esgal à (Bq+BC+Cq)A-+BC(B+C), x3=(B2+BC+C2)x+BC(B+C), laquelle je l'avois bien resoute par deux ou trois manieres sans les Tables de Sinus; mais la maniere generale qui suivra en son lieu est à preferer. Or icy A vaut B + C, ou —B, ou —C. »

Viète revient une seconde fois à l'équation du 3° degré, en la prenant comme exemple d'équations inverses,

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Mais, il formule, non pas algébriquement, mais en langage courant les seconds membres de la solution des équations corrélatives qu'on en déduit :

p · a2 + (√αe)2 + e2, ce qu'il exprime par cette règle ('): «Est p planum compositum ex quadratis trium proportionalium; et q solidum quod fit ductu alterius extremae in aggregatum quadratorum a reliquis; et fit x prima vel tertia » ; p est le plan formé par la somme des carrés de trois proportionnelles; et q le solide formé par le produit d'un des extrêmes et la somme des carrés des autres; on prendra pour x le premier ou le troisième. Suit un exemple numérique : Soient trois nombres en proportion continue 2; 20, 10. Formons l'équation

q = a[(Vae)2 + e2] = e [(√αe)2 + a2],

124x-x3= 240,

x, dit Viète, vaut 2 ou 10. Remarquons de suite que la solution -12 est oubliée; nous y reviendrons car Girard relève la faute. De plus, l'équaion étant formée après coup, en partant des racines supposées connues, ces proportionnelles, d'après Girard, sont des propriétés simplement curieuses, dont on ne voit guère l'usage pratique pour la détermination des racines.

Aussi, tout en se gardant d'attaquer trop ouvertement un algébriste d'aussi grande autorité que Viète, Girard fait-il sur ces sujets des réserves. En outre, dit-il, si deux équations corrélatives suffisent pour l'équation du 2' degré, il en faut trois pour celle du 3, car elle a trois solutions. Or, par la méthode de Viète, on s'expose à en perdre, comme cela lui arrive d'ailleurs à lui-même (2).

«Touchant François Viète qui surpasse tous ses devanciers en l'algebre, on peut voir en son traité De recognitione equationum, cap. 16, p. 40,

(1) Ed. 1615, p. 53. Ed. 1646, p. 111.

(2) Fo Fvo.

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