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HISTOIRE DES MATHÉMATIQUES

Les principaux traités d'Algèbre depuis l'origine de l'imprimerie jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, par Vivanti (1). Les lecteurs italiens du PERIODICO DI MATEMATICHE diffèrent peu des lecteurs belges de notre excellente revue MATHESIS. Ce ne sont pas des spécialistes de l'histoire des sciences exactes, mais des mathématiciens qui désirent néanmoins ne pas ignorer les grandes lignes de cette histoire. Aussi la Rédaction du PERIODICO a-t-elle pris la bonne habitude d'accueillir volontiers des articles consacrés, soit au tableau des progrès apportés à la démonstration d'un théorème particulier, tableau présenté au point de vue de l'histoire; soit un résumé de grande vulgarisation embrassant l'histoire d'une théorie complète. Le travail de M. Vivanti se rattache à ce dernier genre d'articles; celui de M. Agostini, dont je parlerai immédiatement après, rentre dans la première catégorie.

Commençons par le travail du Professeur de Pavie. Il s'y propose de nous faire connaître les principaux traités d'Algèbre qui ont paru depuis l'invention de l'imprimerie jusqu'à la fin du XVIIe siècle, c'est-à-dire, depuis la Summa

(1) I principali trattati di Algebra dalle origine della stampa al 1800. PERIODICO DI MATEMATICHE, ser IV, t. IV, Bologna, Zanichelli, 1924, pp. 277-306.

di Arithmetica de Luc Paccivolo, vieil incunable qui parut à Venise en 1494, jusqu'à l'Algèbre de Lacroix qui est de 1799.

L'auteur commence par délimiter son sujet. Et d'abord qu'est-ce que l'Algèbre ? En réalité, le mot manque de précision, répond-il; mais il l'entend dans le sens exclusif de « Théorie des équations ». C'est convenu et nous ne lui demanderons pas davantage. En outre, M. Vivanti n'a pas l'intention, nous dit-il, de nous donner à proprement parler une histoire de l'Algèbre, mais uniquement une bibliographie critique des principaux manuels qui la concernent, à l'exclusion des mémoires publiés dans les recueils périodiques, des notes échangées par lettres entre savants, ainsi que des chapitres consacrés à l'Algèbre dans des ouvrages étrangers à cette science, tels, par exemple, que la Géométrie de Descartes.

D'après cela, on devine sans peine le genre d'ouvrages que le Professeur de Pavie met sous les yeux de ses lecteurs. La liste en est assez longue, et il serait de peu d'intérêt d'en transcrire ici les titres.

Le triage des manuels cités est bien fait. L'auteur possède à fond son sujet. Ses appréciations sont impartiales et objectives. Ce n'est pas à dire, cependant, que s'il écrivait pour des historiens des mathématiques, ceux-ci ne trouveraient aucune observation à lui faire. En voici une en passant. Pourquoi n'avoir pas signalé dans l'Algèbre de Bombelli une des pages les plus importantes de ce bel ouvrage, je veux dire, celle qui contient les réflexions de l'ingénieur bolonais sur le cas irréductible de l'équation du ze degré et du calcul des imaginaires? Elles m'ont toujours paru un de ses plus beaux titres de gloire.

Autre observation: Malgré le grand nombre d'ouvrages passés en revue, il en est plusieurs, et non des moindres, dont il n'est rien dit. Dès la seconde page, l'auteur s'en excuse dans une note de petit texte, où il donne comme raison, d'ailleurs très plausible, de son silence, la rareté des ouvrages dont il ne parle pas ; tels sont la Clavis mathematica d'Ougtred, le Libro de Algebra de Pedro Nunes (1),

(1) La Bibliothèque de l'Université de Louvain possédait autrefois ces deux ouvrages, ce qui m'a permis de leur consacrer avant la

et bien d'autres encore qu'il nomme. J'eusse cependant voulu en trouver dans cette note une liste un peu plus complète, car pour m'en tenir aux manuels d'Algèbre antérieurs à la Géométrie de Descartes, pourquoi n'y avoir pas ajouté l'Algèbre de Pelletier du Mans, le De arte magna de Gosselin, la Practycke om te leeren cypheren de Patri de Deventer (1) dans laquelle se sont formés tant de nos grands géomètres des Pays-Bas, et surtout l'admirable Invention nouvelle en l'Algèbre d'Albert Girard? Celle-ci peut-elle d'ailleurs passer encore pour un livre rare depuis la réédition presque facsimilé qu'en a donnée Bierens de Haan (2)? Tout cela n'eût pris que quelques lignes.

Mais ce sont là autant de critiques de pur détail, qui prouveront surtout à M. Vivanti l'attention avec laquelle j'ai lu son travail.

Le théorème fondamental de l'Algèbre, par Agostini (3). Euler assimilait le théorème fondamental de l'Algèbre à un casse-tête analogue à celui du dernier problème de Fermat. Simple boutade si l'on veut, mais justifiée. Il y a quelque trente ans, dans un article remarqué, publié par la RIVISTA DI MATEMATICA (4), M. Loria passait en revue les multiples démonstrations, plus ou moins heureuses, qui avaient été données du théorème. M. Agostini renvoie à cet examen critique de son collègue de Gênes,

guerre des études assez étendues, dont je ne puis sans abuser de l'hospitalité de la REVUE transcrire au long les titres.

(1) J'ai eu également l'occasion, avant la guerre, de donner des analyses complètes de ces trois ouvrages.

(2) Leiden, Muré, 1884. La réimpression est faite page par page et ligne par ligne.

Terqem a jadis donné une analyse de l'Invention nouvelle qui reste un modèle du genre. BULLETIN DE BIBLIOGRAPHIE D'HISTOIRE ET DE BIOGRAPHIE MATHÉMATIQUES, t. I, Paris, Mallet-Bachelier, 1855, pp. 135-152. J'ai cependant cru pouvoir reprendre le sujet dans un article en cours de publication: La théorie des équations dans l'« Invention nouvelle en l'Algèbre » d'Albert Girard. MATHESIS, t. XL. Bruxelles, Stevens, 1926.

(3) Il teorema fondamentale dell'Algebra. PERIODICO DI MATEMATICHE, ser. IV, t. IV, Bologna, Zannichelli, 1924, pp. 397-327. (4) 1891, pp. 185-284.

n'est-il pas de reprendre cette étude sur documents nouveaux, mais de nous donner l'histoire du théorème; histoire assez confuse et embrouillée, disons-le de suite. Pour y répandre un peu de lumière, distinguons deux énoncés de la célèbre proposition. De nos jours, on l'exprime comme suit « Toute fonction rationnelle et entière d'une variable complexe, à coefficients quelconques, réels ou complexes, admet au moins un zéro ».

Mais à pareil énoncé nos ancêtres n'eussent vu que du feu. Pour faire ressortir la modalité sous laquelle le théorème se présentait à leurs yeux, il faut plutôt le formuler dans les termes suivants; encore leur eussent-ils paru bien généraux, bien abstraits, et plus d'un Géomètre n'eût pu même réprimer un geste de surprise en les entendant :

<< Tout polynôme rationnel et entier en x à coefficients réels, admet au moins un diviseur du premier ou du second degré en x à coefficients réels ».

C'est l'intégration des fractions rationnelles qui obligea les mathématiciens à s'en occuper sous cette forme. Les contemporains de Leibniz et de Newton, Brook Taylor par exemple, parvenaient à intégrer les fractions de ce genre, dans les cas particuliers où ils réussissaient à les décomposer en une somme de fractions plus simples, dont les dénominateurs étaient du premier ou du second degré. Ils constatèrent que, quand ils parvenaient à effectuer cette décomposition, les dénominateurs des fractions simples étaient les diviseurs du dénominateur de la fraction primitive. Dès lors à se demander s'il n'y avait pas là la clef d'une méthode générale, il semblait n'y avoir qu'un pas. Mais ce pas fut malaisé à franchir, car il fallait préalablement réussir, non seulement à résoudre, mais même à préciser le théorème subsidiaire qui nous occupe : « Tout polynôme rationnel et entier en x, etc., est décomposable en facteurs des deux premiers degrés, etc. »; chose encore bien ardue pour la science du début du XVIIIe siècle, du moins dans le cas où toutes les racines n'étaient pas réelles.

On n'y a pas suffisamment insisté, mais l'imprécision qu'avait alors la notion de l'imaginaire obscurcissait la question. Nous nommons aujourd'hui l'imaginaire « nombre

complexe », et nous la définissons par la formule z = a + ib, dans laquelle a,b et i ont un sens qu'il est superflu de rappeler. Gardons-nous d'oublier qu'il a fallu plusieurs siècles avant de rallier les mathématiciens à cette définition. L'un des principaux pas faits dans cette voie fut assez inconscient ; on le doit à Moivre, qui montra qu'à l'aide des fonctions circulaires les radicaux cubiques de la formule de Cardan étaient décomposables en une somme de radicaux simples. Or, on l'a répété à satiété, c'est la formule de Cardan dans le cas irréductible de l'équation du 3e degré, qui obligea de toute nécessité les géomètres à s'occuper des imaginaires. Faut-il dire qu'avant Moivre on n'aurait pas admis que la racine d'une équation pouvait toujours s'écrire sous la forme x = a + ib ?

Mais d'autres difficultés, plus inextricables peut-être, devaient trouver une solution. Quelle était la nature de ces singuliers nombres imaginaires ? D'après quelles règles fallait-il les soumettre au calcul? Ces règles s'imposaientelles ? N'étaient-elles pas au contraire en partie arbitraires, nous dirions conventionnelles? Autant de sujets de longues et ardentes controverses, qui divisèrent les savants les plus éminents. C'est merveille que, dans ce labyrinthe, ils ne se soient pas définitivement égarés. Un fil d'Ariane les en tira je veux dire, les efforts qu'au milieu de ce dédale ils ne cessèrent de faire pour donner un énoncé clair et une démonstration simple du théorème fondamental de l'Algèbre. Cette préoccupation finit par reléguer toutes les autres au second plan.

Et ceci me ramène à l'article de M. Agostini. Le lecteur y verra que le théorème ne fut l'œuvre ni d'un jour, ni d'un seul homme. Les plus grands génies du XVIIIe et du XIXe siècle, Euler, Gauss, Cauchy et vingt autres s'y appliquèrent. M. Agostini précise bien la part qui revient à chacun d'eux.

La Bohême en l'Histoire des Mathématiques, par Guido Vetter (1). — Article important, mais qu'il me suffit

(1) Guido Vetter, La Boemia nella Storia della matematica. Supplemento alla « Guida allo studio della storia delle matematiche » del Prof. Gino Loria. BOLLETTINO DI MATEMATICA. Bologna, Cuppini,

1924.

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