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géométrie élémentaire; mais Gottignies choisit un algorithme étrange, si compliqué, qu'il n'eut pas de succès.

La troisième règle était, de l'aveu de Gottignies luimême, celle de l'Analyse des géomètres grecs. Il ne reproche donc pas à Euclide et à Archimède de l'avoir ignorée, mais, au contraire, de l'avoir employée couramment sans la formuler ni même y faire allusion. II va, en conséquence, réparer cette omission. Je traduis sa règle (1). C'est un des bons passages de la Logistica universalis qui donnera une idée du style de notre auteur. On verra comme il sait être élégant et clair, quand il s'en donne la peine.

« Troisième Règle de la Logistique. - Elle est utile pour résoudre les problèmes et démontrer les théorèmes, mais elle est plus vague que les règles précédentes et d'une application difficile, bien qu'elle jouisse d'une grande réputation chez les mathématiciens.

Premièrement: Qu'on suppose construit ce qu'on demande de construire, ou vrai, ce qu'on affirme et ce qu'il faut démontrer. Si cela paraît avantageux, comme c'est le cas ordinaire en géométrie, qu'on dessine une figure. Qu'on tienne note de ce qui est affirmé et de chacune des circonstances que requiert l'hypothèse dans laquelle se fait l'affirmation.

Secondement : Qu'on tire les conséquences de l'affirmation et des déductions de l'hypothèse, jusqu'à ce qu'on parvienne, soit à quelque conséquence, ou évidente par elle-même, ou démontrée, ou concédée; soit à une conséquence certaine, dont la fausseté est établie par ailleurs.

Troisièmement : Reprenant à partir de la conséquence reconnue vraie par ailleurs qui découle de l'hypothèse, qu'on en déduise successivement les mêmes intermédiaires par lesquels la conséquence a découlé. En poursuivant le raisonnement de cette manière, on démontrera finalement l'affirmation proposée qui avait été supposée vraie. Grâce à ce raisonnement, on devra regarder l'affirmation comme valablement démontrée, par le fait même que la conséquence qui a servi de point de départ à l'argumentation est évidente par elle-même ou correctement démontrée.

Si au contraire, par application du secondement de la règle, l'argumentation conduisait à une conséquence prouvée fausse par ailleurs, on en conclurait légitimement que l'affirmation admise au début est fausse, puisqu'il en découle le faux.

Enfin, si en appliquant le secondement de la règle, on suppose

(1) Pages 84-85.

comm› point de départ que l'affirmation est fausse, ou que ce qu'il faut démontrer est faux, et si l'argumentation conduit ensuite à une conséquence fausse, on en déduira légitimement que la fausseté de l'affirmation ou de ce qu'il fallait démontrer est impossible. Cela résulte de ce principe fondamental de l'art du syllogisme : Du vrai on ne déduit que le vrai, du faux on déduit l'un et l'autre, ex vero nil nisi verum, ex falso quodlibet. »

En rajeunissant quelques expressions un peu vieillottes, cette règle serait-elle indigne d'un mathématicien du vingtième siècle ?

Concluons par une appréciation d'ensemble de la Logistique de Gottignies. On y remarque des qualités d'ordre et de méthode et une disposition élégante dans les calculs, peu ordinaire à cette époque. D'autre part, ceux-ci manquent parfois de simplicité et je citerai comme exemple de complication inutile la démonstration de la règle de la division d'une fraction par une fraction donnée dans l'Arithmetica introductio (1).

Mais à d'autres points de vue l'oeuvre de Gottignies et notamment la Logistica universalis méritent une attention sérieuse.

A maintes reprises j'ai eu l'occasion de signaler les difficultés, qui nous paraissent aujourd'hui surprenantes, contre lesquelles les anciens algébristes se butèrent, quand ils essayèrent de résoudre les systèmes d'équations linéaires à plusieurs inconnues (2). Ces difficultés provenaient d'abord de leurs mauvaises notations, mais celles de Gottignies sont très satisfaisantes et s'inspirent des

(1) Pages 56-57.

(2) Pour se rendre compte des difficultés qu'éprouvaient alors les algébristes dans la résolution des systèmes d'équations à plusieurs inconnues, qu'il me suffise de rappeler la si curieuse leçon que Maurice de Nassau fit un jour à son maître Simon Stevin, relativement à ce sujet. Mémoires mathématiques. Descrits premièrement en Bas-Allemand par Simon Stevin de Bruges, translatés en François par Iean Tuning... A Leyde, chez Ian Paedts Iacobsz... M.DC.VIII. Tome V. Première partie des Meslanges. Des Annotations Arithmétiques, chap. 1, pp. 3-7.

notations de Descartes. Cependant, les embarras des algébristes venaient bien plus souvent de ce qu'ils manquaient de méthode en éliminant les inconnues. Il y a là une page de l'histoire des mathématiques qui reste à écrire et où il ne faudra pas oublier de mentionner les ouvrages du Jésuite bruxellois.

Mais, il y a une autre page d'histoire plus négligée encore. Pour nous, le calcul algébrique est une généralisation du calcul arithmétique, à la manière d'André Tacquet. Il nous semble évident a priori que ce calcul s'est créé par cette généralisation. Historiquement parlant, c'est peu exact. Dans ses débuts, le calcul algébrique apparaît plutôt comme une simplification de la géométrie et il s'appuye sur elle. J'ai dit plus haut pourquoi Viète et Descartes le présentèrent sous cette forme. Comment petit à petit se transforma-t-il, pour finir par s'affranchir complètement de la science de l'étendue ? Voilà une seconde page d'histoire qui réserve plus d'une surprise et qui reste à écrire.

Si l'un de ces problèmes historiques tente un jour un jeune historien des mathématiques, je lui signale la Logistica universalis de Gottignies. Sans doute, l'ouvrage lui-même ne fit pas beaucoup de bruit. Mais, écrit par un maître éminent, vers la fin de sa carrière, il résume le brillant enseignement qu'il donna pendant un quart de siècle.

N'exagérons cependant rien. Gottignies ne fut pas un génie créateur. Mais les progrès de la science ne sont pas seulement dus à ceux qui les créèrent, ils doivent aussi beaucoup aux professeurs des grandes écoles qui les vulgarisèrent par leur enseignement et les mirent à la portée du public intelligent.

A ce point de vue, Gottignies ne mérite que des éloges.

Du haut d'une des chaires de mathématiques les plus célèbres, il s'attacha à faire triompher cette thèse

que

l'Algèbre n'épiloguons plus sur le mot Logistique était une science indépendante, qui devait s'édifier sur ses propres fondements, en ne supposant connus que les principes de l'Arithmétique élémentaire ; principes qu'il résuma, pour atteindre ce but, dans son Arithmetica introductio.

Cette thèse est aujourd'hui admise par tout le monde ; mais par l'influence qu'il exerça sur ses élèves, dispersés plus tard dans les principaux collèges de la Compagnie, le professeur du Collège Romain contribua sérieusement à la faire triompher.

Louvain. Imp. F. CEUTERICK, rue Vital Decoster, 60.

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