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en nommer les autheurs. Il est vray qu'il ne dit pas precisément que cela fust de luy ; mais il écrivit de sorte qu'en n'y prenant pas garde de prés, il sembloit que ce n'estoit que par modestie qu'il n'y avoit pas mis son nom; et pour deguiser un peu la chose, il changea les premiers noms de Roulette et Trochoïde, en celuy de Cycloïde. »

Pascal pousse les choses au noir. Il se trompe quand il dit que Beaugrand envoya à Galilée le problème du plan, ou de la quadrature de la Roulette. Beaugrand n'envoya pas davantage à Galilée le traité De Maximis et Minimis de Fermat. Mais, le philosophe de Port-Royal est parfaitement véridique quand il dit que Beaugrand connaissait ce traité. Il l'est encore, quand il insinue que le premier dépositaire des papiers de Fermat, abusant de la confiance du déposant, cherchait à les utiliser en cachette à son profit personnel.

Parlant ci-dessus de Carcavi, j'ai fait allusion aux habitudes de travail de Fermat. Mais avant de s'adresser à Carcavi pour revoir et classer ses papiers, le Toulousain eut recours aux bons offices de Beaugrand. Dans les premiers temps il lui témoigna beaucoup d'estime et de confiance. C'est ce que marque, par exemple, cet extrait d'une lettre à Mersenne du 26 avril 1636. Fermat y parle de son collaborateur en termes très sympathiques (1) :

« Vous m'obligerez beaucoup, dit-il, de me faire savoir si M. de Beaugrand est à Paris. C'est un homme duquel je fais une estime très singulière. Il a l'esprit merveilleusement inventif et je crois que sa Géostatique sera quelque chose de fort excellent. Je lui écrirai dès que vous m'aurez donné de ses nouvelles. >>

La Géostatique (2), quand elle parut, fut pour Fermat une désillusion et un chagrin. Une désillusion, car elle lui prouvait qu'il avait surfait le talent de son ami. La Géostatique était un ouvrage médiocre.

(1) Fermat, t. II, pp. 4-5.

(2) M. de Waard en donne le titre dans le BULLETIN DES SCIENCES MATHÉMATIQUES, t. LIII, p. 160: Ioannis de Beaugrand Regis Franciae domui regnoque ac aerario sanctiori a consiliis secretisque Geostaticae seu de vario pondere gravium secundum varia a terrae (centro) intervalla Dissertatio mathematica. Parisiis, apud Tussanum du Bray, viâ Iacobeaa, sub Spicis maturis. M.DC.XXXVI. In-folio de 27 pages. Je n'ai pas vu cet ouvrage.

Mais son apparition fut encore plus pour lui un chagrin, car l'auteur se vantait, dans la Préface, d'avoir trouvé une règle nouvelle et merveilleuse pour tracer les tangentes. Or, cette règle n'était autre que celle que Fermat avait donnée dans son traité De Maximis et Minimis (1), traité qu'il avait confié à la garde de Beaugrand. Il s'apercevait maintenant que le dépositaire en abusait.

Le géomètre de Toulouse en fut visiblement froissé. Lui, toujours si indifférent à ses droits d'invention et de priorité, ne put, cette fois, cacher son dépit. Il le manifesta notamment dans une lettre à Frenicle du 18 octobre 1640 (2). Ne craignez pas, lui dit-il, que j'use de vos découvertes « comme quelqu'un de ceux du lieu où vous êtes (Beaugrand), qui s'attribue impunément les inventions d'autrui après qu'elles lui ont été communiquées ».

Tel était Beaugrand. Après cela, personne ne s'étonnera outre mesure des in fidélités qu'il commit à l'occasion de ses rapports avec Thomas Hobbes. Si Beaugrand se fût contenté de faire part des démonstrations de Fermat au géomètre anglais, loin d'en être contrarié, le Toulousain en eût été flatté. Ce qu'avec raison il ne pardonne pas à son dépositaire, c'est d'avoir fait croire à Hobbes, qu'il était, lui Beaugrand, l'adroit et subtil auteur de ces beaux théorèmes.

Et voilà, en résumé, ce qui explique comment un mémoire de Fermat se trouve aujourd'hui au British Museum, sous le nom de Beaugrand, parmi les papiers de Thomas Hobbes (3).

Dans la pièce, telle que M. de Waard la publie, la dernière rédaction est de Beaugrand. Quant aux démonstrations elles-mêmes, nul doute qu'elles ne soient de Fermat. Que l'on compare, pour s'en convaincre, la construction de la tangente en un point de l'ellipse, telle que la donne ici Beaugrand, avec le même problème traité par Fermat dans son

(1) Fermat, t. I, pp. 133-136. Methodus ad disquirendam maximam et minimam. Fermat y formule au long sa règle.

(2) Fermat, t. II, p. 207.

(3) Beaugrand intitule son mémoire: De la manière de trouver les tangentes des lignes courbes par l'algèbre et des imperfections de celle du s (ieur) des C(artes). Voir Supplément, p. 102.

Ad eamdem Methodum (1); ou bien encore la construction de la tangente à la Conchoïde de Nicomède, avec celle qui se lit dans l'Ad Methodum de Maximis et Minimis Appendix (2) de Fermat. L'analogie est ici d'autant plus frappante que la Conchoïde est de part et d'autre définie, du moins équivalemment, en coordonnées polaires, ce qui à cette époque est encore très exceptionnel.

Chose tout à l'honneur de Fermat - et je ne puis m'empêcher d'en faire la remarque pour terminer - s'il se refroidit envers Beaugrand, s'il lui retira sa confiance, il ne se brouilla pas avec lui; bien différent en cela de Desargues et de Descartes, qui, par leurs mauvais procédés, se firent de Beaugrand, en des circonstances analogues, un ennemi irréconciliable. Après un mouvement d'humeur, le prince des mathématiciens de la France et de l'Europe entière se montra en définitive, cette fois, comme toujours, désintéressé et modeste (3). H. BOSMANS.

(1) Fermat, t. I, pp. 140-147. Il s'agit de la méthode de Maximis et Minimis et du Mémoire qui commence par les mots: . « Volo meâ methodo».

(2) Fermat, t. I, pp. 153-158. Le premier volume des Euvres de Fermat contient neuf mémoires sur la méthode De Maximis et de Minimis. Le Supplément en a trois autres, et même quatre en y ajoutant le mémoire de Beaugrand sur la construction des tangentes.

(3) On trouve plusieurs renseignements sur Beaugrand et notamment sur sa Géostatique, dans les Origines de la Statique, par Pierre Duhem. Paris, Hermann, 1905 et 1906, aux endroits indiqués à la fin du tome II, dans la Table des noms propres.

Les Origines de la Statique, on se le rappelle, parurent dans la REV. DES QUEST, SCIENT. de 1903 à 1906, tt. LIV et LVI-LX.

Louvain.

<< Établissements F. Ceuterick », rue Vital Decoster, 60.

Extrait des Annales de la Société scientifique de Bruxelles. Tome XLII, première partie, Documents et comptes rendus, p. 337 Session des 11 et 12 avril 1923. Première Section.

Sur l'interprétation géométrique donnée par Pascal à l'espace à quatre dimensions

PAR

le R. P. BOSMANS, S. J.

Sans être en soi de première importance, l'interprétation géométrique, que Pascal donne de l'espace à quatre dimensions, est curieuse, avant tout par l'ancienneté de sa date, ensuite parce qu'elle est correcte dans l'usage que l'auteur en fait, et qu'elle est simple.

Pour comprendre comment l'écrivain-géomètre arriva à la considération de cet espace, et pourquoi, d'autre part, ses idées ont été si peu remarquées, il ne sera pas hors de propos de rappeler l'une ou l'autre des circonstances dans lesquelles furent publiés les petits écrits où il est parlé de cet espace, je veux dire, la Lettre de Dettonville à Carcavi (1) et le Traité des trilignes rectangles (2).

Si on en excepte la correspondance échangée entre Pascal et Fermat sur le problème des partis, on ne lit plus guère les

(1) Euvres de Blaise Pascal publiées suivant l'ordre chronologique avec documents complémentaires, introductions et notes, par Léon Brunschvicg, Pierre Boutroux et Félix Gazier, t. VIII, Paris, Hachette, 1914, PP. 334-384.

Cette édition fait partie de la Collection : « Les Grands Écrivains de la France ». Je la désignerai en abrégé par le mot Pascal.

(2) Pascal, t. IX, pp. 3-44·

ouvrages de mathématiques du philosophe de Port-Royal; on ne lit même plus du tout les écrits où il emploie l'analyse infinitésimale; j'entends précisément la Lettre à Carcavi, et les opuscules qui y sont annexés, publiés après la clôture du concours de la roulette.

Faut-il rappeler (1) que ce tournoi scientifique tapageur n'eut pas un instant pour but le progrès de la science. Pascal songeait à un grand écrit en faveur de la religion; disons mieux, du jansénisme. Le duc de Roannes, son ami, lui persuada qu'il fallait préalablement se donner de l'autorité aux yeux des incrédules. Le hasard semblait en fournir l'occasion. Pendant les insomnies causées par une rage de dents, Pascal avait cherché à tromper la douleur en faisant des mathématiques et en résolvant quelques problèmes fort compliqués relatifs à la roulette. Que ne les proposait-il en défi à tous les savants de l'Europe, avec des prix pour qui les résoudrait le premier ? Si personne n'en venait à bout, comme c'était probable, il en publierait lui-même la solution, dont il aurait tout l'honneur.

La modestie n'était pas la vertu maîtresse de l'austère janséniste. Il accepta.

Mais à peine la pièce par laquelle il annonçait le concours eut-elle été lancée dans le public, que l'infatuation de l'auteur reçut une assez mortifiante leçon. Il y avait beau temps, en effet, que Roberval avait résolu plusieurs de ces questions que Pascal croyait si neuves, si difficiles. Le Professeur Royal de Mathématiques était lié d'amitié avec le janséniste, mais n'était pas d'humeur à laisser à autrui la gloire d'une découverte qui lui appartenait. Il avertit donc l'auteur du défi. Celui-ci n'eut jamais la bonne grâce de convenir ouvertement de sa méprise, mais il prit le parti équivoque de parler dès lors des questions mises au concours, comme si tout le monde avait dû savoir ou deviner que plus de la moitié d'entre elles étaient déjà

() Voir, par exemple, Pascal, dans l'Introduction à l'Histoire de la Roulette, par les éditeurs, t. VIII, pp. 181-194.

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