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résolues par Roberval, et comprendre dès lors que les prix proposés concernaient exclusivement la solution des autres.

Ces restrictions mentales et l'intention manifeste d'apprécier les réponses des concurrents de manière à ne pas devoir décerner les prix firent une impression fâcheuse. Wallis, l'un des évincés, écrivait à Christiaen Huygens (1), que ces allures manquaient de franchise. Il y entrevoyait une manœuvre de Pascal et le soupçonnait de vouloir arracher leurs secrets aux concurrents naïfs, qui se laisseraient prendre à l'appât de prix. Peut-être, insinuait-il, était-ce chez Pascal un secret désir de les mettre à profit dans ses propres écrits.

Si je rappelle ces quelques faits, c'est pour dire que les prix n'ayant pas été décernés - Roberval et Fermat qui les eussent probablement remportés s'étaient abstenus Pascal était engagé d'honneur à publier sa solution. Il s'exécuta sans tergiverser, mais avec la préoccupation constante de montrer qu'il faisait œuvre très difficile. Pour un maître de la plume comme lui, c'était chose aisée.

Il faut reconnaître qu'avec les moyens dont on disposait alors, peu de géomètres étaient de taille à aborder les problèmes proposés, mais Pascal en complique adroitement la solution, par le choix de la méthode et l'agencement du plan.

La méthode est géométrique et strictement synthétique. A lire Pascal, on croirait qu'il ignore l'algèbre. Pour lui, Viète, Albert Girard, Descartes semblent n'avoir pas existé. Quant au plan, l'artifice est plus savant. Il consiste, tout en charmant le lecteur, à lui demander, en fait, un maximum d'attention. Pour cela, rien de mieux que de maintenir, pour ainsi dire, l'intelligence en suspens. Les problèmes sont au nombre de six. Sans en résoudre immédiatement un seul jusqu'au bout, Pascal commence par accumuler sans fin les théorèmes préparatoires et les lemmes, mais dans un enchaî

(1) Euvres complètes de Christiaen Huygens, publiées par la Société Hollandaise des Sciences, t. II. La Haye, Martinus Nijhoff, 1889; Lettre de John Wallis à Christiaen Huygens, Oxford, 22 décembre 1658 (1er janvier 1659, nouv. style), pp. 307-308.

nement parfait. Puis, ayant ainsi tenu longtemps le lecteur en haleine, il résout en fin les six problèmes en quelques pages.

Après coup, on reconnaît que les interminables préliminaires qui précèdent la solution ont été tous utilisés. Mais, comme l'attention eût été soulagée, en traitant séparément les questions d'aires, celles de volume et celles de leurs centres de gravité (') !

C'est ce soulagement que Pascal ne voulait pas, et peut-être a-t-il outrepassé le but, car, ni Montucla (2), ni Cantor (3), ni Zeuthen (*), qui parlent tous avec éloges des écrits de Dettonville, ne paraissent néanmoins avoir eu la patience de les lire jusqu'au bout. Seul Maximilien Marie en donne une analyse assez développée (5). Elle intéresse en nous faisant connaître la méthode infinitésimale de Pascal. Celle-ci lui est assez personnelle, et diffère de la méthode italienne Cava

(1) Avant d'arriver à la solution des problèmes, il faut préalablement lire et retenir :

1o La lettre de Dettonville à Carcavi;

2o Le traité des trilignes rectangles;

3o Le traité des sommes simples, triangulaires et pyramidales; 4o Le traité des sinus du quart de cercle ;

5o Le traité des arcs de cercle;

6o Le petit traité des solides circulaires ;

pour en arriver, enfin, 7o au traité général de la roulette.

Aucun des numéros 2-6 ne constitue un traité complet sur le sujet. Pascal n'y démontre que les propositions dont il se servira ultérieu

rement.

(2) Histoire des Mathématiques... Nouvelle édition, considérablement augmentée..., par J.-F. Montucla, de l'Institut national de France; t. II. Paris, Henry Agasse, An VII, pp. 70-71.

(3) Vorlesungen über Geschichte der Mathematik, 2e édition, t. II. Leipzig, Teubner, 1900; pp. 907-910.

(*) Notes sur l'Histoire des Mathématiques, par H. G. Zeuthen. IV. Sur les quadratures avant le calcul intégral et en particulier sur celles de Fermat. BULLETIN DE L'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES ET LETTRES DE DANEMARK, annće 1895. Copenhague, Dreyer, 1895-1896 ; PP. 74-75.

(5) Histoire des Sciences Mathématiques et Physiques, par Maximilien Marie; t. IV. Paris, Gauthier-Villars, 1884; pp. 189-230.

lie i-Torricelli, de la méthode flamande Grégoire de SaintVincent-Tacquet, et de la méthode française de Fermat. Mais l'histoien français ne nous semble pas l'exposer toujours avec toute l'exactitude désirable. Il fait toit à son compatriote, en la modernisant parfois à l'excès, et en donnant à son analyse un caractère déjà algébrique qu'elle n'a pas. La vraie originalité de Pascal est d'avoir su remplacer par la théorie des nombres figurés et par des artifices géométriques, souvent très ingénieux, les recherches que nous faisons aujourd'hui par l'algèbre littérale. Voilà ce que Marie oublie de mettre suffisamment en relief.

C'est l'un de ces artifices qui conduisit tout naturellement Pascal à s'occuper de l'espace à quatre dimensions.

Mais, ici, il faut éviter un malentendu. Plus d'un mathématicien avait, depuis longtemps, établi, par la méthode euclidienne, des formules algébriques d'un degré supérieur au troisième. Je rappellerai Cavalieri, par exemple, et le procédé tout géométrique par lequel il démontre, pour un exposant entier quelconque, la formule

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J'ai consacré, en 1922, une note sur ce sujet dans MATHESIS (').

Ce qui mérite d'être remarqué, chez Pascal, c'est l'artifice conventionnel, mais géométrique, par lequel il représente les espaces de degrés supérieurs, ainsi que le langage dont il se sert quand il en parle.

Je relève dans la lettre de Dettonville et ses annexes trois passages relatifs à notre sujet. Mais avant de les transcrire, il faut rappeler quelques définitions.

Pascal nomme triligne, la figure formée par un angle droit AOB, dont les extrémités A et B des côtés de l'angle droit sont

() Un chapitre de l'Euvre de Cavalieri. Les propositions XVIXXVII de l' « Exercitatio quarta ». MATHESIS, t. XXXVI, Bruxelles, Stevens, 1922; pp. 365-373, 446-456.

reliées par un arc de courbe quelconque, circulaire, elliptique, parabolique ou autre, soumis à la condition unique de ne pouvoir être rencontré en plus d'un point par les perpendiculaires aux côtés de l'angle droit. Ces côtés peuvent d'ailleurs, d'après la nature du problème, être égaux ou inégaux entre

eux.

Le côté AO se nomme la Base du triligne, et le côté BO son axe. Les perpendiculaires à AO sont les Ordonnées à la base, et les perpendiculaires à BO les Ordonnées à l'axe. Ces dernières sont nos abscisses; les ordonnées à la base sont nos ordonnées actuelles.

Divisons l'axe en segments infinitésimaux égaux,

OC = CD = DE = EF...

et menons les ordonnées à l'axe CG, DH, EI, FK.......

Sur le triligne construisons un cylindre droit ; et 1 ar les ordonnées à l'axe que nous venons de tracer imaginons des plans perpendiculaires au plan du triligne.

Pascal fait plusieurs figures, mais je me servirai de la figure pécédente dans les trois citations, sauf, bien entendu, à modifier convenablement les lettres du texte. Je moderniserai aussi l'orthographe ().

« Avertissement. Quand j'ai parlé de la somme des lignes AKB, GKB, HKB, IKB, KB, on n'a dû entendre autre chose sinon la somme des rectangles compris de chacune de ces lignes, et de chacune des petites parties égales BF, FE, etc., (c'est-à-dire, avec chacune des distances égales d'entre les plans voisins); et qu'ainsi cette multitude indéfinie de petits rectangles de même hauteur forment un plan. C'est ce que j'ai déjà assez dit dans les avertissements précédents.

» De même, quand j'ai parlé de la somme des espaces BAO, FKAO, EIAO, DHAO, CGAO, on a dû entendre que chacun de ces espaces fût multiplié par chacune de ces petites distances

() Pascal, t. VIII, pp. 357-358.

égales d'entre les plans voisins BF, FE, etc., et formassent ainsi une multitude indéfinie de petits solides prismatiques, tous de même hauteur, la somme desquels formera un solide, qui est celui que l'on considère, quand on a parlé de la somme de ces plans.

» On doit entendre la même chose par la somme des solides ; car il faut entendre de même qu'ils soient tous multipliés par ces mêmes portions égales, ou au moins (si l'on ne veut pas admettre une quatrième dimension qu'on prenne autant de lignes droites, qui soient entre elles en même raison que ces zolides, lesquelles étant multipliées chacune par chacune de ces parties égales, BF, FE, etc., elles formeron un plan, qui servira de même à trouver la raison cherchée. Ce qu'il ne sera plus nécessaire de redire. »>

Pascal y revient cependant, bientôt après dans la même lettre et, comme on le verra, il dit beaucoup plus clairement que ci-dessus, que la notion de l'espace à quatre dimensions ne le blesse pas (').

« Il faut remarquer que, comme la simple somme de ces lignes fait un plan, ainsi leur somme triangulaire fait un solide, qui est composé d'autant de plans qu'il y a de divisions dans l'axe; lesquels plans sont formés chacun par les simples sommes particulières des ordonnées, dont la somme totale fait la somme triangulaire. Car, la somme triangulaire de ces ordonnées se prend ainsi : premièrement, en les prenant toutes ensemble AO, GC, HD, IE, KF, ce qui fait un plan égal au triligne; ensuite en les prenant toutes excepté la première, c'est-à-dire, GC, HD, IE, KF, ce qui fait un autre plan égal au triligne BCG; et ensuite IE, KF, ce qui fait un autre plan égal au triligne BIE, etc. De sorte qu'il y a autant de plans que de divisions, chacun desquels plans étant multiplié par les petites portions de l'axe, forme autant de petits solides prismatiques d'égale hauteur, tous lesquels ensemble font un solide, comme je l'ai dit d'ailleurs.

(1) Pascal, t. VIII, pp. 365-367.

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