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collection PATOISE; ses délicieux livres macaroniques. Quel choix exquis! Où trouver ailleurs une seconde collection pareille. Une telle bibliothèque est au-dessus de nos éloges, il nous suffira de tracer en quelques mots son histoire. En 1829, sa collection fut vendue, on sait à quelle touchante occasion, et ce qu'il en avait excepté fait le nouveau cadre de celle-ci dont il ne devait se séparer qu'à la mort. Fidèle à son premier plan, M. Nodier était pourtant devenu plus difficile encore pour ses exemplaires; à peine s'il admettait un livre qui ne fût pas relié en maroquin, le plus léger défaut suffisait pour motiver un rejet définitif; il est résulté de cela qu'à l'exception de quelques volumes qui n'existent plus autrement, tout y est parfait de condition.

Je ne citerai rien : je demande qu'on lise ce charmant catalogue rédigé sous ses yeux et annoté par lui; je prie le lecteur d'étudier cet ensemble, de voir, dans chaque classe, avec quel admirable goût la collection a été faite, et de décider alors, en parfaite connaissance de cause, si jamais homme du monde, homme de goût, a porté plus loin que M. Charles Nodier, a mieux recommandé par son exemple, la passion éclairée des raretés bibliographiques.

IMPRIMERIE D'E. DUVERGER,

Rue de Verneuil, n. 4.

J. TECH ENER.

هر

VIE

DE M. CHARLES NODIER

DE L'ACADÉMIE FRANÇOISE.

Il est des esprits éminents qui, venus au monde pour résumer en quelque sorte le caractère, les mœurs d'une époque ou d'une nation, semblent s'être enrichis çà et là, butinant comme l'abeille, et recevant le tribut intellectuel de leurs contemporains. Ces génies faciles à classer et tout formés aux allures de leur temps, dont ils sont les historiens et les peintres, jouissent d'une popularité fort grande. On se plaît à réfléchir son image dans leurs écrits; ils appartiennent à tout le monde, comme Molière; ils épurent, ils mettent en œuvre l'esprit de tout le monde, ainsi que l'a fait Voltaire. D'autres hommes, et la vocation de ces derniers est la plus impérieuse, la plus réelle, sinon la plus éclatante en résultats, ne puisent l'inspiration qu'en eux-mêmes; leur originalité est le trait distinctif de leur talent, leurs livres les racontent et leur esprit porte leur nom. Charles Nodier occupe une place unique et respectable au milieu de ces artistes inimitables et singuliers. Dès qu'on essaie d'appliquer à ces écrivains de

fantaisie, de sentiment et, si l'on peut ainsi dire, d'individualité, des comparaisons plus ou moins spécieuses, ils vous contredisent à l'instant, vous égarent et vous démentent, tant le vol de leur imagination est capricieux, tant leurs idées se succèdent imprévues et indépendantes.

Sterne, Hoffmann, Bernardin de Saint-Pierre, Balzac, Cyrano, Montaigne, Henri Estienne, nous présentent, chacun dans les conditions particulières de leur génie, quelques-uns de ces traits exclusivement propres à leur physionomie, et auxquels ils durent d'être exceptés et mis à part parmi les gens illustres de leur siècle. Qu'on ne s'étonne pas de ce rapprochement de plusieurs noms que l'on ne s'avise guère de grouper; ils ont tour à tour servi à dépeindre Nodier; à aider les critiques, dépistés quand les classifications leur font défaut dans leurs recherches obstinées de traditions d'école et de filiations littéraires; méthode vicieuse, et dont l'usage est périlleux lorsqu'il s'agit d'un auteur dans le genre de celui qui nous occupe. C'est en lui-même, et sans se préoccuper du dehors, qu'on doit chercher cet écrivain, bien plus complet, bien plus varié à notre sens, que la plupart de ceux auxquels on l'a assimilé.

Ce qui distingue principalement la manière de Charles Nodier, l'homme assurément le plus fin, le plus spirituel, le plus incisif qui ait paru en France depuis Voltaire, et avec un genre d'esprit bizarre et inédit, c'est le jeu continuel de la sensibilité, et l'animation incessante du cœur que l'on sent battre jusque dans ses passages les plus satiriques. Il raille avec une sorte de mélancolie; l'on sent qu'en lui l'esprit dont il abonde est doublé d'une âme compatissante et bonne. L'alliance de ces deux qualités est infiniment rare; c'est là ce qui a valu à Nodier, comme à La Fontaine, ce renom

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de bonté que seuls, dans les fastes de la littérature françoise, ils partagent avec Fénelon. Rien n'est plus juste que la voix du peuple. L'auteur de Trilby étoit affectueux et simple comme un enfant; de là, les séductions incomparables de sa personne, de son esprit, qu'épuroit le cœur. Il eût pu servir d'exemple dans la démonstration de cette vérité les grands cœurs font les grands esprits. Charles Nodier communiquoit du piquant et de la variété à ses moindres discours. Sa candeur étoit d'un enfant; ses passions, d'un jeune homme tout proche du premier âge; sa modestie, réelle et profonde; circonstance peu commune. Il apportoit en tout une exaltation, une chaleur juvénile, et, chose bizarre, cette exaltation étoit sincère, bien qu'elle fût exprimée sous une forme aussi incisive, aussi mordante, que s'il eût possédé le scepticisme de Voltaire, avec l'ironie positive de Beaumarchais. Ces contrastes sont inexplicables, mais la chose est ainsi. C'étoit René, tour à tour, Jean Sbogar, Werther ou Obermann, disant leur ame avec le style de Rabelais, de Molière ou du docteur Néophobus, ce qui est autre chose encore.

De là cette distinction qu'il faisoit en lui-même de plusieurs personnages dissemblables; donnée exploitée avec adresse et sous un symbole qu'on a mal deviné, dans l'Histoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux; satire malicieuse, le long de laquelle on rencontre sans cesse le portrait de l'auteur dépeint avec sa triple transformation.

Quand il se mettoit en scène dans un écrit ou dans la conversation, il faisoit les honneurs de sa personne avec une humilité comique, inventant parfois, jamais pour se faire valoir, et tournant avec soin contre lui-même les dards de son esprit impossibles à retenir. Il s'amusoit à

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