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blions pas que nous devons présenter les ré-sultats généraux nés de la réunion de toutes les observations particulières; élevons-nous par la pensée, et assez haut au dessus de toutes les mers, pour en saisir plus facilement l'ensemble, pour en apercevoir à la fois un plus grand nombre d'habitans; voyons le globe, tournant sous nos pieds, nous présenter successivement toute sa surface inondée, nous montrer les êtres à sang rouge qui vivent au milieu du fluide aqueux qui l'environne; et pour qu'aucun de ces êtres n'échappe, en quelque sorte, à notre examen, pénétrons ensuite jusques dans les profondeurs de l'Océan, parcourons ses abimes, et suivons, jusques dans ses retraites les plus obscures, les animaux que nous voulons soumettre à notre examen.

Mais si nous ne craignions pas de deman der trop d'audace, nous dirions: Ce n'est pas assez de nous étendre dans l'espace i faut encore remonter dans le tems; il faut encore nous transporter à l'origine des êtres, il faut voir ce qu'ont été dans les âges antérieurs les espèces, les familles que nous allons décrire; il faut juger de cet état primordial par les vestiges qui en restent, par les monumens contemporains qui sont en

core debout; il faut montrer les changemens successifs par lesquels ont passé toutes les formes, tous les organes, toutes les forces que nous allons comparer; il faut annoncer ceux qui les attendent encore: la Nature, en effet, immense dans sa durée comme dans son étendue, ne se composet-elle pas de tous les momens de l'existence comme de tous les points de l'espace qui renferme ses produits?

Dirigeons donc notre vue vers ce fluide qui couvre une si grande partie de la terre: il sera, si je puis parler ainsi, nouveau pour le naturaliste qui n'aura encore choisi pour objet de ses méditations que les animaux qui vivent sur la surface sèche du globe, ou s'élèvent dans l'atmosphère.

Deux fluides sont les seuls dans le sein desquels il ait été permis aux êtres organisés de vivre, de croître et de se reproduire; celui qui compose l'atmosphère, et celui qui remplit les mers et les rivières. Les quadrupedes, les oiseaux, les reptiles, ne peuvent conserver leur vie que par le moyen du premier; le second est nécessaire à tous les genres de poissons. Mais il y a bien plus d'analogie, bien plus de rapForts conservateurs entre l'eau et les pois

sons qu'entre l'air et les oiseaux ou les quadrupedes. Combien de fois, dans le cours de cette histoire, ne serons nous pas convaincus de cette vérité ! et voilà pourquoi, indépendamment de toute autre cause, les poissons sont de tous les animaux à sang rouge ceux qui présentent dans leurs espèces le plus grand nombre d'individus, dans leurs couleurs l'éclat le plus vif, et dans leur vie la plus longue durée.

Fécondité, beauté, existence très-prolongée, tels sont les trois attributs remarquables des principaux habitans des eaux : aussi l'ancienne mythologie grecque, peut-être plus éclairée qu'on ne l'a pensé sur les principes de ses inventions, et toujours si riante dans ses images, a-t-elle placé au milieu des eaux le berceau de la déesse des amours, et représenté Vénus sortant du sein des ondes au milieu des poissons resplendissans d'or et d'azur qu'elle lui avoit consacrés (1). Et que l'on ne soit pas étonné de cette allégorie instructive autant que gracieuse : il paroît que les anciens grecs avoient observé les poissons beaucoup plus qu'ils n'avoient étudié les

(1) Voyez particulièrement l'article du coryphène doradon.

autres

autres animaux ; ils les connoissoient mieux; ils les préféroient, pour leur table, même à la plupart des oiseaux les plus recherchés. Ils ont transmis cet examen de choix, cette connoissance particulière, et cette sorte de prédilection, non seulement aux grecs modernes, qui les ont conservés long-tems (1), mais encore aux romains, chez lesquels on les remarquoit, lors même que la servitude la plus dure, la corruption la plus vile, et le luxe le plus insensé pesoient sur la tête dégradée du peuple qui avoit conquis le monde (2); ils devoient les avoir reçus des antiques nations de l'Orient, parmi lesquelles ils subsistent encore (3): la proximité de plusieurs côtes et la nature des mers qui baignoient leurs rivages les leur auroient d'ailleurs inspirés; et on diroit que ces goûts, plus liés qu'on ne le croiroit avec les progrès de la civilisation, n'ont entièrement disparu en Europe et en Asie que dans ces contrées malheureuses où les hordes barbares de sauvages chasseurs, sortis de forêts

(1) Belon, liv. 1, ch. 62.

(2) Horace, Juvénal, Martial, Pline.

(3) Lisez les différentes descriptions des Indes, et Bur-tout celles de la Chine.

Poiss. TOME I.

E

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septentrionales, purent dompter, par le nombre, en même tems que par la force, les habitudes, les idées et les affections des vaincus.

Mais, en contemplant tout l'espace occupé par ce fluide au milieu duquel se meuvent les poissons, quelle étendue nos regards n'ont-ils pas à parcourir! Quelle immensité, depuis l'équateur jusqu'aux deux poles de la terre, depuis la surface de l'Océan jusqu'à ses plus grandes profondeurs! Et indépendamment des vastes mers, combien de fleuves, de rivières, de ruisseaux, de fontaines, et d'un autre côté, de lacs, de marais, d'étangs, de viviers, de mares même, qui renferment une quantité plus ou moins considérable des animaux que nous voulons examiner! Tous ces lacs, tous ces fleuves, toutes ces rivières, réunis à l'antique Océan comme autant de parties d'un mêine tout, présentent autour du globe une surface bien plus étendue que les continens qu'ils arrosent, et déjà bien plus connue que ces mêmes continens, dont l'intérieur n'a répondu à la voix d'aucun observateur, pendant que des vaisseaux, conduits par le génie et le courage, ont sillonné toutes les plaines des mers non enyahies par les glaces polaires.

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