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D'un si lâche dépit l'éclatante mémoire

Eût seule éternisé votre honte et sa gloire.

Notre âge est moins brillant, mais plus sage et plus doux.
Tu vaincras l'ignorance et tes rivaux jaloux.
L'aimable vérité sort enfin du nuage;

Un jour serein s'élève, et dissipe l'orage.
Ceux qui t'ont méconnu, contraints de s'éclairer,
Rougissent de leur faute, et vont la réparer.

C'est un si beau devoir! Eh! quelle âme insensible,
Au charme le plus pur quelle âme inaccessible,
Méprisant les talens, pères du doux loisir,
A gêner leur essor peut mettre son plaisir?
Heureux imitateur des chants de l'Ausonie,
Chaque jour remplis-toi de son divin génie;
Et, montant chaque jour de succès en succès,
D'un nouveau Pergolèse 1 étonne les Français.
Mais laisse autour de toi gronder quelque profanes,
D'un cagotisme obscur imbéciles organes.

I

Ces pompes, ces accords, ces chants harmonieux,
Plaisent au Roi des rois, au Dieu des autres dieux.
Des éternels concerts c'est la mortelle image;
Des arts qu'il a créés il accepte l'hommage;

1. Le Stabat Mater de Pergolèse est regardé universellement comme un chef-d'œuvre. Il finissait le dernier verset de cet admirable morceau, quand la mort vint le frapper à l'âge de trentetrois ans.

Offrande noble et sainte! encens digne du ciel!
Ce ciel a tressailli quand le Roi d'Israël
Offrait au Dieu jaloux un glorieux cantique,
Agitait devant lui sa lyre prophétique,

Et, poussant dans les airs ses accens généreux,
Contre le Philistin conduisait les Hébreux;
Ou lorsque, dans les jours de jeûne et de prière,
Pâles, couverts de cendre, au fond du sanctuaire,
De l'antique Lévi les enfans éplorés

Comme eux faisaient gémir les instrumens sacrés.

Habitans du vallon, secondez la nature.
De ce jeune arbrisseau dirigez la culture.
Faudra-il que son front, déja triste et penché,
Au niveau des sillons se courbe desséché?
Portez-lui le tribut de ces ondes fertiles;
Faible et timide encore, à ses rameaux fragiles,
Habitans du vallon, prêtez un sûr appui.
Du doux éclat des fleurs il se pare aujourd'hui :
De plus beaux tems viendront, qui seront votre ouvrage;
Je veux un jour vous voir, assis sous son ombrage,
Quand l'ardent Sirius enflammera les cieux,

Goûter avec transport ses fruits délicieux.

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Page 49, vers 4 et suivans.

Voltaire à soixante ans, loin des murs de Paris,
Fuyant avec la gloire, et cherchant un asile;
Les cités se fermant devant l'auteur d'Émile;
Le vainqueur de Térence à peine enseveli;
Corneille vieillissant presque mis en oubli;
Milton chez les Anglais mourant sans renommée :
La muse des Toscans à Ferrare opprimée;
Et les inquisiteurs, au fond d'une prison,
Près du vieux Galilée enfermant la raison;
Et la faim, etc., etc.

De tous les éditeurs des OEuvres de Chénier, aucun n'a fait observer jusqu'ici que les neuf vers ci-dessus désignés se retrouvent presque mot pour mot dans le Discours sur la Calomnie, page 18, vers 8 et suivans. Il est même suprenant que Chénier n'en ait pas fait la remarque, ces deux poèmes ayant été plusieurs fois imprimés de son vivant. Intéressés, pour la gloire de notre édition, à écarter jusqu'au moindre soupçon de négligence, nous croyons devoir signaler ici ce double emploi, dont peut-être la cause dépend uniquement du sujet lui-même, qui, en inspirant les deux épîtres, a dû nécessairement suggérer deux fois à l'auteur des idées et des expressions semblables. (Note de l'éditeur.)

ÉPITRE

A MON PÈRE.

1787.

Hic interim liber... professione pietatis, aut laudatus erit, aut excusatus.

TAC., Julii Agricolæ vita.

Le ciel a tout à coup fermé le précipice;

A nos larmes, mon père, il est enfin propice;
Tes jours, dans les douleurs à demi consumés,
Par les soins de Geoffroi sont enfin rallumés.
Après de longs chagrins, la nature affaiblie
Elle-même souvent s'abandonne et s'oublie:
Une lutte pénible a vieilli ses ressorts;

L'esprit souffre long-tems, et fait souffrir le corps.
L'édifice attaqué déjà crie et chancelle;
L'homme est près de quitter sa substance mortelle;
Son âme, succombant sous le poids de ses fers,
Demande à s'élancer dans un autre univers,
Appelle, et voit déjà, loin d'un globe d'argile,
Ce monde, espoir du juste, et son unique asile,

Où le bonheur commence, où les maux ne sont plus,
Où devant l'Éternel les temps sont confondus.
Ame, ne fléchis point, roidis ce grand courage;
Le ciel avec plaisir contemple son ouvrage :
L'homme de bien luttant contre l'adversité
Présente un beau spectacle à la Divinité.

Il honore ses jours, il rend digne d'envie
Ce cercle de douleurs qu'on appelle la vie;

Il laisse un digne exemple à ceux qui le suivront:
Sous les dieux, sous les lois courbant son noble front,
Chéri de ses pareils, béni des siens qu'il aime,
En guerre avec le sort, en paix avec soi-même,
Sachant mêler ses pleurs aux pleurs de ses amis,
Et sensible surtout aux maux de son pays.

Quel est donc ce vaisseau si voisin du naufrage?
Fier de son nom royal, il dédaignait l'orage,
Et, depuis sa naissance ignorant les revers,
Semblait l'île fameuse errante sur les mers.
Maintenant il chancelle; et ses voiles frémissent;
Ses mâts sont renversés; ses antennes gémissent.
Ni ses triples remparts, tout chargés de soldats,
Ni cent foudres d'airain qui lancent le trépas,
Ni les lis glorieux dont sa poupe est ornée,
Ne vaincront les autans et la mer effrénée,
Si d'écueil en écueil son pilote égaré
Ne connaît point les flots dont il est entouré.
O nocher! garde-toi de ces gouffres rapides,

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